En bordure de la place Voltaire dans le 11e arrondissement de Paris, l’agence de Maud Caubet se trouve au fond d’un immeuble haussmannien. En rez-de-chaussée déployé autour d’une cour, un ancien atelier de boulons a été réaménagé en espaces de travail rythmés par de hautes parois de verre. Quelques traces du passé industriel émergent, tels ces murs en béton brut, ou les restes d’un imposant monte-charge au-dessus d’un escalier descendant vers la matériauthèque du sous-sol. De cet espace lumineux se dégage une atmosphère très calme, à peine animée par la déambulation tranquille d’un Shiba, chien japonais aux allures de renard. Une multitude de plantes vertes confèrent aussi des allures de serre à l’agence. Dans son bureau-boudoir, petite table ronde en marbre, divan minimaliste, photos de famille, la conversation s’engage tout de suite sur les multiples engagements de l’architecte.

Il y a deux ans, Maud a rejoint l’Académie d’Architecture, avec l’envie de représenter une nouvelle génération d’architectes en dialogue avec la précédente. Surtout, la souriante patronne est convaincue de la nécessité de rendre sa discipline accessible à tous, de la sortir d’un entre-soi et de l’ego de la star-architecte. C’est la raison de son engagement dans le mouvement Unisson(s), en faveur d’une architecture bas carbone, porté par des acteurs de l’aménagement urbain (A4MT, IFPEB), et qui s’adresse à tous les protagonistes de la construction : élus, aménageurs, architectes, etc. Pour Unisson(s), Maud a ainsi participé à la réalisation d’un court-métrage qui synthétise, de façon simple et pédagogique, les enjeux et les solutions déjà existantes pour adapter la construction aux défis environnementaux.

Discrimination positive

Un autre engagement est son choix de s’entourer de collaboratrices : les femmes constituent 90 % d’une équipe de vingt personnes. « Nous avons besoin de solidarité entre les femmes » insiste Maud, qui s’étonne que certaines consœurs mettent en sourdine toute revendication trop féministe. Elle entend bien appliquer à son échelle une discrimination positive pour rattraper le retard, afin que la majorité d’étudiantes en écoles d’architecture ne s’évapore pas dans la nature, une fois leur diplôme obtenu. « On compte 60 % de filles dans les écoles, mais seulement 30 % qui s’inscrivent ensuite à l’Ordre et plus que 7 % qui dirigent leur agence » rappelle l’architecte.

Comment est-elle venue à cette profession ? « J’ai découvert ce métier lors d’une journée portes ouvertes en école d’architecture. J’avais envie d’être utile et puis j’avais le goût des matériaux, des jeux de matières et de lumières, et du rapport à la nature. L’architecture a ce pouvoir de créer du lien avec tous ces éléments, et l’homme se retrouve acteur ou spectateur dans cet art majeur ! »

Côté parental, une mère dirigeante dans l’industrie automobile « qui a réussi avec son sourire et sa conviction à faire bouger les lignes d’un univers très masculin », et un père, directeur d’équipes de Formule 1, lui ont appris « le sens de l’excellence, du jeu collectif et la bienveillance dans la gestion d’entreprise ». « J’ai toujours eu les pieds sur terre et la tête dans les étoiles avec cette envie de créer et faire du lien » résume-t-elle. À l’issue de sa formation à l’École des Beaux-Arts de Paris, la jeune femme poursuit ses études à l’École d’architecture de Paris-La Villette. Suivront des premières expériences professionnelles auprès de deux grands noms de l’aménagement intérieur. « Andrée Putman m’a appris l’élégance des espaces, l’intemporalité et le goût pour l’artisanat d’art. J’ai aussi travaillé pendant trois ans auprès du designer Jean-Marie Massaud, avec lequel j’ai développé des concept-stores. » Ces deux expériences marquantes la confirment dans sa volonté de créer sa propre structure, « pour expérimenter des projets de toute échelle ». En 2006, est donc créé son propre atelier (devenu l’agence Maud Caubet Architectes) avec l’envie d’une approche globale. « J’aime l’idée d’imaginer un projet réunissant petite, moyenne et grande échelles, dans lequel ce qui compte est la cohérence des espaces. »

Dessiner plus, démolir moins

Venus de France, mais aussi d’Italie, Pérou, Chine, Japon ou Ukraine, ses collaborateurs partagent tous « l’engagement au sens de l’intérêt général ». Et s’il fallait résumer sa méthode de travail, une expression lui vient spontanément : « l’esprit de synthèse ». Plus tard dans la conversation, le pragmatisme à l’anglo-saxonne sera aussi cité en référence. L’organisation de l’agence est de type horizontal, Maud assurant la direction artistique de chaque projet. « Je travaille en échange et en réaction avec mon équipe. Par le dessin, nous testons des scénarios, des formes, des matériaux, des plans. Nous n’avons jamais autant dessiné depuis cinq ans, pour préserver la ressource et concevoir à partir du déjà-là. Cela introduit une révolution qui consiste à dessiner plus pour démolir moins. » En matière d’outils, chaque collaborateur reste libre dans son approche du dessin, avec la nécessité d’une phase de tests en 3D. De même, l’architecte n’a pas vraiment de dogme en termes de matériaux, avec des réalisations en bois, terre crue, paille, etc. Si elle ne revendique pas de signature spécifique, on retrouve quelques éléments formels, tel un certain goût pour la ligne courbe, généralement associée à des lignes droites pour apporter de la tension. « Le fil rouge est d’essayer d’insuffler de la poésie dans chaque projet, tout en s’adaptant au contexte. » L’activité de l’agence est portée à 60 % par des projets architecturaux, avec une majorité de restructurations.

Dans le parcours professionnel de Maud Caubet, le concours Inventons la Métropole du Grand Paris en 2016 constitue sans aucun doute une étape-clef. « Cela a permis enfin à une nouvelle génération de tester avec succès des nouveaux programmes et des nouvelles manières de concevoir. » L’agence est alors sélectionnée à deux reprises : pour Les Lumières Pleyel, l’un des plus grands sites du concours assez emblématique d’une nouvelle mixité des usages (hôtel, résidence étudiante et maison du bien-être) et sur le site du Marché à la Ferraille de la Porte de Bagnolet. Depuis, d’autres réalisations ont enrichi le paysage francilien telles que Origine à Nanterre. Cet ensemble urbain de 70 000 m² est constitué de trois blocs, combinant logements, crèche, boutiques et bureaux, et apporte la nature au cœur du quartier de La Défense. C’est aussi un défi technique, celui d’un renouveau de l’architecture bois pour des volumes contemporains grâce à une structure bois/béton portant huit étages. Origine a d’ailleurs été récompensé en 2023 du premier prix du G20-100 Iconic Sustainable Buildings, et du Global Architecture Design Awards en 2021. Dans quelques mois sera livrée la Tour Racine, au cœur du 12e arrondissement. L’ancien siège de l’ONF (Office National des Forêts), bâtiment de bureaux à l’allure singulière, bénéficie d’une façade entièrement rénovée et d’une toiture coiffée d’une serre de verre comme un nouveau phare urbain. Des patios ont été creusés pour amener de la lumière dans les quatre étages en sous-sol.

À Pantin, dans les anciennes filatures Cartier-Bresson revivifiées en centre de petite enfance et espaces culturels, le choix a consisté à faire dialoguer la brique rouge avec le même matériau de couleur noire, pour réveiller un peu le paysage urbain. Outre la région parisienne, des réalisations se déploient à Montpellier, Bordeaux (logements dans le quartier Ginko) ou Lyon, avec notamment cette restructuration de bureaux à La Part-Dieu qui associe une façade en ossature bois avec de la terre crue.

La suite de l’histoire pourrait bien s’inscrire à l’international, avec un projet bien avancé à Reykjavik, en Islande. En 2019, l’agence a été finaliste de l’appel à projets Reinventing Cities, à travers un ensemble de quatre bâtiments reprenant la forme d’un volcan (avec le basalte en recouvrement de façades). En matière de programmes, les envies de Maud sont culturelles (centre d’art ou de danse) et surtout éducatives. « Je rêve de dessiner une école. En tant qu’architectes, nous avons la responsabilité de créer des espaces bienveillants, des lieux qui permettent aux jeunes générations de mieux apprendre et partager le savoir. » Une architecture engagée et pensée au service des usagers.

Texte : Mathieu Oui
Photos : Juan Jerez

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