ART ET ARCHITECTURE

ARTAVAZD PELECHIAN, « LA NATURE, LES SAISONS »
SARAH SZE, « DE NUIT EN JOUR »

FONDATION CARTIER POUR L’ART CONTEMPORAIN
24/10/2020-07/03/2021

Pour sa nouvelle exposition, la Fondation Cartier pour l’art contemporain, à Paris, dévoile les œuvres inédites de deux artistes : au rez-de-chaussée, l’Américaine Sarah Sze déploie deux grandes installations, et, à l’étage inférieur, le cinéaste arménien Artavazd Pelechian projette deux films. 

Si a priori rien ou peu ne réunit les installations de Sarah Sze et les films d’Artavazd Pelechian, la Fondation Cartier offre, avec ces deux artistes, l’exemple d’une relation de fidélité à long terme. Et néanmoins, il se dessine en filigrane une même sensibilité. Les œuvres de Sarah Sze et d’Artavazd Pelechian évoquent notre rapport au monde et à sa nature fugace, grandiose. Un monde fait d’images que les deux artistes s’approprient avec une grande subtilité.

L’actuelle exposition de Sarah Sze, « De nuit en jour », se tient vingt ans après sa première exposition à la Fondation Cartier, qui présentait l’installation Everything That Rises Must Converge. Deux décennies plus tard, force est de constater que l’artiste instaure toujours un dialogue avec l’architecture du bâtiment de Jean Nouvel et interroge encore le positionnement du spectateur face à ses œuvres invasives, inclusives, atemporelles.

Née en 1969 à Boston, Sarah Sze vit et travaille à New York. Ses installations, souvent monumentales, prennent l’apparence d’un microcosme complexe d’objets et de matières, qui dessinent ensemble des formes globales simples. À l’instar de son installation Triple Point (Observatory) à la Biennale de Venise en 2013, les installations originales créées à la Fondation Cartier cette année impliquent une déambulation. Tracing Fallen Sky est de ce registre. Posée au sol, mesurant deux mètres de diamètre et rehaussée d’un pendule en balance au-dessus de l’ensemble, cette œuvre à l’allure cosmique est composée d’objets hétéroclites : du sel, de la peinture, ainsi qu’un assemblage de morceaux d’acier qui suggèrent une terre aride. D’apparence, on pourrait penser à un inventaire à la Prévert, mais dans Tracing Fallen Sky chaque élément parle du processus de création de l’œuvre et questionne notre rapport ambivalent au temps. L’œuvre la plus grande de l’exposition, Twice Twilight, évoque dans sa structure un planétarium, la Terre aussi. À la manière d’un nid d’oiseau, des branches (de bambou et de métal) s’entremêlent et laissent pendre des papiers sur lesquels sont imprimées des images ou projetées des vidéos. Ce hub d’images s’étend aussi dans l’espace du rez-de-chaussée, des projections vidéo étant également faites sur les parois vitrées du bâtiment. Les images que le spectateur capte par bribes sur les murs et sur les papiers déchirés de l’installation ont été glanées sur Internet ou prises par l’artiste. Elles représentent des éléments de la nature — terre, feu, eau — dans ses actions les plus anodines, à savoir le mouvement des nuages, la croissance d’une plante…

Artavazd Pelechian, Les Saisons, 1975 – Image extraite

Au sous-sol, Artavazd Pelechian présente deux films : Les Saisons (29 min, 1975) et La Nature (62 min, 2020), ce dernier étant une production commandée par la Fondation Cartier et fruit de quinze ans de travail.
Né en 1938 en Arménie, Artavazd Pelechian a produit l’essentiel de ses films à Moscou entre 1964 et 1993. Pendant cette période, il en a réalisé neuf, courts ou moyens métrages, et l’arrivée de son dernier film, La Nature (2020), surprend car on pensait que le réalisateur avait achevé sa carrière il y a 27 ans avec La Vie. Dans ce film de 62 minutes, on retrouve la signature d’Artavazd Pelechian : le noir et blanc, l’utilisation d’images d’archives et ce travail minutieux du montage, ou plutôt, comme disait l’artiste en entretien avec Jean-Luc Godard en 1992, « la mesure de l’ordre ». La Nature est un poème visuel qui trouve un rythme particulièrement lyrique grâce à son association avec la musique. Aussi, il s’inscrit dans le sillon du cinéma expérimental, à l’instar d’autres fables visuelles et sonores comme la Trilogie des Qatsi de Godfrey Reggio (accompagnée de la musique originale de Philip Glass) ou aussi le cinéma — entre fiction et documentaire — de Werner Herzog. Uniquement trouvées sur Internet, les images de La Nature peignent une fresque apocalyptique. Cyclones, éruptions volcaniques ou tsunamis témoignent de la précarité de l’environnement, de l’hubris de l’humain face à la nature toute puissante. Artavazd Pelechian esquisse avec sa dernière œuvre une vision de fin du monde et semble nous interpeller sur le chaos écologique maintenant largement enclenché. La dramaturgie des images, renforcée par la musique (classique), contraste avec Les Saisons, film qui évoque un rapport moins conflictuel entre le Terrien et la nature. Dans ce film de 1975, Artavazd Pelechian capture certains moments de la vie rurale d’agriculteurs et de bergers arméniens. Grâce à la musique, les actions vernaculaires des hommes prennent des dimensions d’opéra et — à l’image du cinéma Artavazd Pelechian — nous engouffrent dans un tableau d’une grande universalité.

Texte Camille Tallent
Visuel à la une Sarah Sze, Centrifuge, 2017. Oeuvre présentée à Haus der Kunst. Matériaux mixtes, bois, bambou, acier inoxydable, impressions pigmentaires, vidéoprojecteurs, céramique, acrylique et sel. Dimensions variables © Sarah Sze Photo © Sarah Sze Studio

Retrouvez l’intégralité de l’article sur Artavazd Pelechian, « La Nature, Les Saisons » et Sarah Sze, « De nuit en jour » à la Fondation Cartier dans Archistorm janvier – février 2021