ART

AURÉLIE SLONINA, LA DÉRIVE DES MÉTÉORES

Peut importe la définition que l’on puisse donner au mot météore ; celui-ci nous fait lever les yeux au ciel et c’est exactement la position que nous adoptons instinctivement à la découverte de l’exposition personnelle d’Aurélie Slonina entre les hauts murs de la Maréchalerie. Dans une scénographie subtile qui offre un sentiment d’apesanteur physique et mentale, trois œuvres spéculent sur nos fantasmes de la nature du futur. Un voyage intérieur méditatif définitivement sensoriel dans un environnement calfeutré pour l’occasion.  

Météores
Grâce à la sculpture et la vidéo, Aurélie Slonina apporte un moment de latence à notre monde. Elle attire notre attention sur notre environnement, sur le paysage : une oscillation entre hasard naturel et le paramètrage minutieux de l’humain. C’est surement cet entre-deux qui anime le travail de l’artiste française née en 1970.
L’oeuvre La dérive des météores, qui donne son nom à l’exposition, est composée de plusieurs sculptures qui gravitent dans l’espace obscur. Ces sculptures brutes et géométriques ne sont pas l’oeuvre de la nature mais se comportent pourtant comme des minéraux en apesanteur. Pour créer ces formes, l’artiste dit s’inspirer du mobilier urbain des années 60 et de ses finitions typiques “en diamant”. Compositions manufacturées ou météores donc ? Dans ce décor de science-fiction, l’invasion libre des formes créées par la Nature semble bien avoir été éradiquée par l’homme et l’industrialisation. Comme si l’humain avait confié aux technologies les rennes de l’élaboration d’une espèce artificielle, les monolithes de Slonina semblent être les éléments “naturels” d’un écosystème bâti par des algorithmes et non plus par les sols de la Terre.
La sculpture en céramique émaillée Hors-sol souligne à son tour, par son nom, une culture de l’accéléré, artificielle et envahissante. Dans ces structures de béton aux allures mathématiques, on retrouve les réflexions récurrentes de l’artiste autour de formes archétypales, de symboles et de signes confrontant ce rapport endémique entre Nature et Humain. Cette enquête sémiotique se manifestait déjà en 2014 avec Diamond, une structure en forme de diamant et faite de rubalise (utilisé dans l’espace urbain pour signaler un danger), insérée dans un cadre naturel. C’est ainsi avec une logique toute juste que son travail se retrouve à Versailles, à deux pas du Château et de ses jardins ; une architecture de paysages qui constitue un noyau dur du travail de l’artiste, particulièrement attachée au problématiques de natures disciplinées et aux compositions végétales de Le Nôtre.

Aurélie Slonina, La Dérive des Météores, La Maréchalerie – centre d’art contemporain / ENSAV, 2020

Échappée
Un montage vidéo constitué d’un enchaînement frénétique de photographies donne à voir le portrait d’une nature parfois sauvage, parfois domptée par l’homme. Le rythme de défilement est très rapide, l’orchestration des images forment dans leur montage un mouvement circulaire totalement hypnotique, souligné par une musique drone digne d’un râga. Cette apparence de chaos souligne le paradoxe du sujet, la juxtaposition d’éléments naturels plus ou moins disciplinés (ronds-points, jardins, sculptures végétales) ou totalement vierges (forêts, déserts, etc). Si le récit est en apparence d’anticipation, les lieux sont bien réels : on y reconnaît le parc de Versailles, la France et ses ronds-points de villes dortoirs, l’Ouest américain et ses déserts. Dans son arrangement, les cactus sont totems, les bosquets mausolées, les ronds-points tumulus. Ce glissement est opéré par le montage schizophrénique — sorte de mandala cinématographique accompagné d’une musique en fréquence basse qu’on se peut s’empêcher, face à la répétition méditative, de rapprocher des recherches des courants minimalistes et expérimentaux des années 1960.

Qu’il s’agisse d’une utopie ou une dystopie, Aurélie Slonina construit un espace hermétique et subjectif qui prolonge ses recherches sur notre relation ambiguë à notre environnement. Toutes les conditions sont réunies pour nous faire perdre nos repères spatio-temporels : variations sonores intra-utérines, sculptures d’un autre monde et images animées hypnotiques.

Texte : Camille Talent
Photos : La Maréchalerie, Nicolas Brasseur

Exposition à la Maréchalerie du 24 janvier au 29 mars 2020
Retrouvez l’article de Camille Talent au sein du daté Mars-Avril 2020 d’Archistorm