À quelques mètres de la gare de Lausanne, se trouvera désormais le plus grand quartier européen dédié à l’art, Plateforme 10, constitué de trois musées. Aux côtés du Musée cantonal des Beaux-Arts (MCBA), le mudac et Photo Élysée ouvrent mi-juin les portes de leur nouvel écrin commun. Retour sur cette vision inclusive de la culture.

« Lausanne a toujours été à la croisée des chemins notamment entre Paris et Istanbul. Sa gare est la plus grande de Suisse romande et de toute la mobilité de l’arc lémanique. Un terrain lausannois ayant appartenu aux chemins de fer suisses est en passe d’être transformé en 25 000 m2 entièrement dédiés à la culture »

nous explique Chantal Prod’Hom, actuelle directrice du mudac et porteuse, entre autres, depuis plus de 10 ans, de ce projet titanesque et fou de réunir trois musées sur un même espace.

© Emmanuel Denis

« Les trois entités créées sont appelées à se parler, à se répondre et à collaborer ensemble. Le projet a été voulu avec l’idée de transversalité avec des lieux de monstration favorables à cette démarche transversale »

poursuit Chantal Prod’hom. Ainsi, la métaphore de l’ouverture est ici prise dans son acception la plus large. Notamment celle d’être ouverte aux autres, les musées entre eux, les musées avec leurs publics, les musées avec la ville, la ville avec les habitants et voyageurs. Plateforme 10 est un quartier des arts avec une agora centrale permettant à tout un chacun de se croiser, de flâner, de lire, de se poser, mais aussi d’avoir à disposition une offre culturelle unique en Europe. Un lieu de vie avec des espaces de découverte, d’échange, d’apprentissage, d’expérimentation, d’émerveillement, mais aussi de loisir et de contemplation.

© Gammuto Sàrl

En 2011, à la suite d’un concours architectural et urbanistique international, le projet proposé par le bureau d’architecture catalan réunissant Fabrizio Barozzi et Alberto Veiga (bureau EBV – Estudio Barozzi Veiga) a été retenu pour le Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne (MCBA). Leur proposition se fonde sur deux idées principales : définir un nouvel espace à la fois urbain et public, et entretenir un lien symbolique et émotionnel avec le passé. Le projet retenu propose une urbanité nouvelle, qui requalifie l’entièreté de la surface à disposition et l’offre aux visiteur·euse·s et riverain·e·s. Il respecte l’esprit du lieu par son déploiement longitudinal et parallèle aux voies de chemin de fer et sa capacité́ à fonctionner comme un lieu d’échange – non plus pour les locomotives, mais pour les œuvres d’art de toutes les époques et pour tous les publics. Le bâtiment du nouveau musée est à la fois le témoin du passé, avec le maintien du pignon de la nef centrale de l’ancienne halle aux locomotives, et un geste architectural contemporain qui ouvre vers l’avenir. Le sous-sol abrite les réserves, les locaux techniques et les espaces de stockage. Au rez-de-chaussée, un hall d’entrée majestueux intègre l’abside saillante de la halle historique et distribue les services tels que le restaurant, la librairie-boutique, l’auditoire ou l’espace médiation. Les deux niveaux supérieurs sont entièrement dédiés aux œuvres avec une aile pour l’accrochage permanent sur 1 700 m2 et l’autre pour les expositions temporaires sur 1 300 m2. Chaque aile bénéficie de salles basses et hautes, respectivement à 4,5 et 5,5 m de hauteur de plafond, et d’une variété d’éclairage, zénithal et latéral. S’y ajoutent un « Espace Projet », situé au rez-de-chaussée, qui bénéficie d’une programmation plus cadencée, tel un laboratoire expérimental en phase avec l’actualité, ouvert tant aux artistes locaux qu’internationaux. La collection du MCBA compte environ 11 000 œuvres. L’architecture du bâtiment vise à favoriser la meilleure relation possible entre la personne et l’œuvre. Elle permet de mettre l’art au cœur de l’expérience visiteur. Après l’inauguration du Musée cantonal des Beaux-Arts (MCBA) en 2019, qui abrite également les fondations Toms Pauli et Félix Vallotton, c’est au tour du mudac et de Photo Élysée d’ouvrir leurs portes le 18 juin 2022. En octobre 2015, au terme d’un concours d’architecture international, le bureau portugais Aires Mateus (les architectes Manuel et Francisco Aires Mateus) a été désigné lauréat pour réaliser le bâtiment abritant le Musée de l’Élysée et le mudac. Au cœur de leur projet « Un musée, deux musées », deux volumes pleins qui contiennent un espace vide qui se dilate et se comprime, créant des formes géométriques aléatoires. Il s’agit d’un espace d’entrée et de passage toujours en contact avec l’extérieur, telle une place couverte donnant accès au mudac et au Musée de l’Élysée. Le projet réunit de manière synthétique, en un seul volume, la dualité et la complémentarité des deux musées répartis de part et d’autre de l’entre-deux lumineux signalant l’entrée commune. Cette ouverture horizontale fait spectaculairement office d’appel pour les visiteur·euse·s et les voyageur·euse·s. Ainsi, dans un seul et même cube aux failles lumineuses et impactantes crevant littéralement les quatre côtés, les deux institutions vivront en parfaite harmonie. En socle, le musée de l’Élysée et au « premier », le mudac, qui en profite pour faire totalement peau neuve. Nouvelle identité graphique et nouvelle politique d’acquisition – ici aussi plus ouverte. Le mudac souhaite s’orienter vers une méthodologie moins axée sur une technique ou un matériau particuliers. Il ne s’agit dès lors plus d’acquérir un objet isolé, mais l’ensemble des éléments lui étant concomitants : esquisses, dessins préparatoires, échantillons ou prototypes avec en plus une ouverture supplémentaire à travers un regard porté sur les productions extraeuropéennes. Ce « tête-à-tête » entre les arts, généré par la proximité immédiate des trois institutions muséales, permet d’offrir aux visiteurs une perception étendue des approches artistiques, une vision contemporaine et prospective correspondant à l’approche multiple des arts portée par de nombreux artistes actuels. À l’ouest du site, en direction de Genève, une voie de mobilité douce, ouverte aux piéton·ne·s, vélos et autres moyens de transport non motorisés, vient renforcer cette ouverture sur la ville. Également dessinée par le bureau Aires Mateus, elle insère le quartier des arts dans la voie verte reliant l’Est à l’Ouest lausannois, offrant une topographie aplanie et un accès facilité à la gare de Lausanne à ses usagers et usagères. De nombreux espaces verts sont également implantés sur le site de Plateforme 10. Ce couloir vert commence dès l’entrée principale, depuis la place de la Gare, à travers une allée d’arbres qui longe les 14 arcades existantes jusqu’à l’agora qui marque un grand espace entre les trois musées. Ce projet ambitieux, financé par des fonds publics et des soutiens privés, crée un lieu exemplaire pour la promotion des arts, une extraordinaire image de marque pour le canton de Vaud et ses partenaires. À l’occasion de la réunion des trois institutions cantonales au sein de Plateforme 10, trois expositions inaugurales transdisciplinaires réunies sous une thématique commune, Train Zug Treno Tren, sont présentées du 18 juin au 25 septembre 2022. Chaque musée propose une approche différente et explore à sa manière la thématique ferroviaire, qui rend hommage ici au site sur lequel est bâti Plateforme 10, proche de la gare de Lausanne, ancienne étape du mythique Venice-Simplon-Orient-Express.

© Cyril Zingaro – Gammuto Sàrl

« L’ADN de Plateforme 10 est celui d’une recherche constante, de surprises fréquentes, de partenariats multiples, d’une hospitalité omniprésente et d’une inscription dans le monde. Ce faisant, le quartier des arts de Lausanne souhaite favoriser l’inclusion, la diversité, les formes porteuses d’un imaginaire à même de changer le regard en créant des expériences sensibles. Moteur dans la production d’une réflexion impactante qui dépasse ses murs, Plateforme 10 invite largement, affirmant que la culture et les arts sont des données essentielles ; ils sont au cœur de la société et de sa transformation indispensable »

déclare Patrick Gyger, directeur général de Plateforme 10. La ville de Lausanne est en pleine mutation. Le projet Plateforme 10, déjà très anticipatif sur les usages et la transformation de la culture, s’inscrit dans un tout visionnaire. En effet, fin juin 2021, la gare de Lausanne entamait un chantier colossal de rénovation sur 10 ans. Des travaux titanesques de 1,3 milliard de francs suisses financés par la Confédération, le canton, la ville et les CFF pour transformer la plus grande gare de Suisse romande et toute la mobilité de l’arc lémanique. Avec ce projet, la ville et le canton promettent une vraie gare du 21e siècle qui pourra accueillir 200 000 voyageurs et voyageuses par jour en 2030. En sortant sur la gauche de la gare de Lausanne, les voyageurs pourront ainsi poursuivre leur périple par un voyage… dans les arts et la culture. L’évasion de l’ouverture.

Texte : Yves Mirande
Visuel à la une : Bâtiment du mudac et du Musée de l’Elysée, Francisco et Manuel Aires Mateus © Gammuto Sàrl

— retrouvez l’article Ouvertures sur l’ouverture du mudac et Photo Élysée, dans Archistorm 115 daté juillet – aout 2022