DE LA NATURE EN VILLE

 

L’appétit de nature augmente aujourd’hui chez nos concitoyens, à mesure que les campagnes se dépeuplent, que les villes s’étalent et que leur population croît. Or il existe une forte tradition dans l’urbanisme à la française pour intégrer la dimension végétale et paysagère dans l’aménagement des villes. Mais le traitement de l’espace public vient maintenant contredire ce savoir-faire ancestral.

 

Certes les villes qui apparaissent au Moyen Âge, à partir des embryons d’urbanisation laissés par les Romains, présentent une configuration très dense, avec des rues étroites, des espaces publics rares, le végétal étant surtout présent dans les jardins privés qui prolongent sur l’arrière les espaces d’habitation. Enserrées dans leurs fortifications, les villes sont pourtant entourées d’espaces agricoles, voire forestiers, qui assurent leur subsistance. La ville classique glisse à l’intérieur de ce tissu très constitué des places, la plupart du temps minérales (par exemple à Paris la place des Vosges, à l’origine non plantée, la place Dauphine, la place des Victoires, la place Vendôme, la place de la Concorde) ainsi que des alignements d’arbres, notamment sur les grands boulevards qui commencent à remplacer les anciennes fortifications à partir de 1675, ou sur les grandes avenues qui convergent vers la ville, tels les Champs-Élysées. L’hôtel particulier urbain possède certes un jardin, tout comme la maison de ville mais sur l’arrière, à usage exclusivement privé. Le jardin des Tuileries est de même conçu pour servir de prolongement au palais du même nom, et son usage reste réservé à la famille royale jusqu’à son remodelage par Le Nôtre au XVIIe siècle.

 

Place Vendôme © Léo Serrat

 

Une culture de l’espace public

 

Lorsque les villes commencent à s’étendre considérablement à partir des années 1820, les espaces agricoles à leur lisière sont urbanisés par des lotissements privés, organisés autour de rues nouvelles et de rares places, fondés sur une conception dense de la ville dans les quartiers les plus centraux, et sur le modèle de la maison avec jardin en périphérie ou dans les petites villes. Les grands espaces libres subsistant aux marges des villes sont consacrés à l’établissement de nouveaux équipements, tels gares, hôpitaux, casernes… Mis à part les boulevards plantés d’alignements d’arbres, la nature n’est pas toujours mise au premier plan, et l’éloignement progressif des zones agricoles ou naturelles des centres-villes distendent le lien avec ceux-ci.

 

Jardin des Tuileries © Judith Ekedi Jangwa

 

Il appartient au Second Empire d’avoir instauré à Paris une politique d’aménagement qui tout en reprenant les principes de l’urbanisme classique intègre systématiquement la nature en ville. Le principe décliné par l’ingénieur Adolphe Alphand, directeur des Promenades et plantations sous la préfecture d’Haussmann, combine arbres d’alignement le long des rues les plus larges, des avenues, des places et des rives de la Seine, squares de quartier, jardins divers (Trocadéro, Champs-Élysées…), grands parcs urbains (Monceau, Buttes-Chaumont et Montsouris) et forêts préservées transformées en bois d’agrément (bois de Boulogne et de Vincennes). Le mobilier urbain qui équipe l’espace public comprend aussi des éléments spécifiquement adaptés au végétal : corsets tuteurs pour les jeunes arbres, grilles en fonte pour en protéger la base sans présenter de solution de continuité sur les trottoirs. L’extraordinaire résilience de cette formule a fait ses preuves. L’urbanisme à la française s’est par la suite largement inspiré de ces préceptes. Les villes nouvelles ont par exemple dans les années 1960-1970 toutes été conçues autour de systèmes de parcs reliés par de larges mails plantés, tels le parc central à Saint-Quentin-en Yvelines, créé en 1977 avant même toute urbanisation du secteur. Les aménagements urbains subséquents font aussi une grande place aux parcs urbains (à Paris, le parc de Bercy, le parc André-Citroën, le parc de Clichy-Batignolles). Dans le cas de Paris, les forêts et les parcs naturels définis par la Région complètent sa ceinture verte, un concept forgé en Angleterre dans les années 1920 sous l’impulsion de Raymond Unwin, l’un des pères des cités-jardins.

 

Texte : Bertrand Lemoine

Photo de couverture : Jardin des Tuileries © Kris Atomic

Retrouvez l’intégralité de cette chronique dans le numéro 100 du magazine Archistorm, disponible en kiosque.