Le jury 2022 du Pritzker Price, présidé par le Chilien Alejandro Aravena, a sacré en mars dernier Diébédo Francis Kéré, architecte burkinabé adepte du low tech, du low cost et du circuit court. Les réalisations de cet Africain du Sub-Sahel ont le goût de la terre natale, celle de Gando, Burkina-Faso, où ce charpentier devenu ensuite architecte a grandi avant de bénéficier d’une bourse à Berlin et d’y ouvrir en 2005 son agence, KÉRÉ ARCHITECTURE. Premier lauréat africain du Pritzker, Francis Kéré mérite amplement son prix ; n’aurait-il pas manqué çà et là de voix mal embouchées préférant voir dans son élection un effet de la discrimination positive, de l’actuelle mode « décoloniale » et du Black Lives Matter ?

Benin National Assembly © Kéré Architecture

Gando au Burkina-Faso ? Avant Diébédo Francis Kéré, un lieu inconnu. Depuis Diébédo Francis Kéré, une nouvelle Mecque de l’architecture contemporaine.

Gando est une ville moyenne de l’ancienne Haute-Volta située à 150 km au sud-est de Ouagadougou, la capitale. Environnement difficile que celui de cette bourgade agricole qui affronte depuis des décennies la paupérisation graduelle de son environnement, pour cause, surtout, de réchauffement climatique. Manque d’eau, vents chauds du désert, savane évoluant vers la steppe, l’écosystème de Gando est un milieu de crise, un triste témoin des menaces écologiques qui pèsent sur la zone subsahélienne. Diébédo Francis Kéré, fils de chef de village, est né et a grandi sur cette terre aride, chiche, où chaque geste coûte un effort et où la vigilance et le souci de la préservation s’imposent à chaque moment et à chaque stade de la vie économique. Fragilité, précarité, sobriété. Voici les maîtres mots pour qualifier Gando, plus la pauvreté.

Voici venu le temps du Grand Sérieux. Il est l’heure à présent, opportunément, d’« apprendre » de Gando et de son prophète, l’aussi sage que remarquable Diébédo Francis Kéré. MC Kéré, le Maître de Cérémonie de l’architecture hyper-écologique et de contexte de décroissance.

Serpentine Pavilion © Iwan Baan

Quoi apprendre, de Gando ?

On se souvient du livre culte Learning From Las Vegas, de Roberto Venturi, Denise Scott Brown et Steven Izenour, publié en 1972 : une leçon de choses sur l’architecture dite « symbolique » de Las Vegas, sommet de kitsch qui allait bientôt nourrir ad nauseam la vulgate postmoderne. Mais la roue tourne, les temps ont changé, beaucoup changé. Le kitsch a fini par lasser, il est retourné au petit peuple, a déserté les cerveaux des agences d’architecture et puis quoi ? Voici venu le temps du Grand Sérieux. Il est l’heure à présent, plus opportunément, d’« apprendre » de Gando et de son prophète, l’aussi sage que remarquable Diébédo Francis Kéré. MC Kéré, le Maître de Cérémonie de l’architecture hyper-écologique et de contexte de décroissance.

La saga de Francis Kéré commence par une prise de conscience doublée d’un passage à l’acte. La prise de conscience ? C’est celle de l’importance de l’éducation dans les parcours de vie pour qui entend s’en sortir, échapper à un destin écrasant et subi. Faute d’école à Gando, Francis Kéré doit aller étudier à Ouagadougou. Une fois en Allemagne pour parfaire sa formation de travailleur du bois (grâce à une bourse), le futur architecte se rappellera qu’il n’y a pas d’école à Gando. Quant au passage à l’acte ? En 1998, c’est le lancement, par le même Francis Kéré, de l’opération associative « Des briques pour l’école de Gando », depuis l’Europe occidentale. L’objectif est simple : financer une école primaire à Gando même, mais aussi, contexte local oblige, construire celle-ci avec les moyens du bord. Avec le matériau local le plus abondant, en l’occurrence, la terre : la terre brune, pulvérulente, et la terre rouge des latérites, l’une et l’autre abondantes dans la région. Francis Kéré, alors, retourne à Gando, forme des maçons locaux, y fait travailler une machine manuelle à tasser des briques tout en concevant avec les habitants, mis à contribution, plan et structure d’une petite école. Celle-ci sort de terre en 2001. Début de la saga Kéré-Gando, qui ne s’est plus arrêtée depuis, au rythme de récompenses toujours plus prestigieuses (prix Aga Khan en 2004, Global Award for Sustainable Architecture en 2009, invitation à enseigner à Harvard, aux États-Unis, en 2012…).

Gando Primary School © Siméon Duchoud

L’école primaire de Gando (déjà une icône et une image fétiche, à le parier, des futures anthologies d’architecture du XXIe siècle) est bien plus qu’un simple bâtiment. Un manifeste, en l’occurrence. Manifeste du construire « local », vernaculaire, en s’appuyant sur ce qu’offre l’alentour immédiat : le bois vient des environs, la terre de même, on l’a dit, et l’on évite le ciment, coûteux et qu’il faut faire livrer depuis la capitale. Priorité, également, au réemploi, au recyclage. Manifeste, encore, du construire « collectif », collaboratif, partenarial et social, par regroupement des bras, des compétences et de l’argumentaire des besoins. Plus un manifeste, tout autant, du construire « adapté » et « contextuel ». Le soleil ? Il frappe dur. Le vent ? Il surchauffe le bâtiment. Le toit de l’école sera sur-élargi pour éviter la chauffe des murs porteurs de l’édifice et tous les espaces collectifs sont recouverts : « L’une des spécificités du projet réside dans le design du toit. Large, il est en tôle ondulée et est supporté par une structure d’acier qui le met à distance du corps du bâtiment. Le toit protège les murs de la pluie et permet à l’air de circuler librement entre le toit et le plafond, en maintenant l’édifice au frais. La technique est devenue célèbre dans tout le Burkina Faso » (Wikipedia).

Quoi enfin, toujours côté « manifeste » ? Le construire « simple ». Inutile de chercher les complications, on s’en tient à l’essentiel. Des ouvertures ? Juste ce qu’il faut, car ici la lumière du jour aveugle les rétines et doit être filtrée ou stoppée. Un mot de l’esthétique ? Celle-ci passe au second plan. Le vieux Form Follows Function, « la forme suit la fonction », règne en maître. Efficacité d’abord, l’écriture architecturale est une affaire technique et d’adaptation, rien d’autre.

(…)

Texte : Paul Ardenne
Visuel à la une : Sarbalé Ke © Iwan Baan

— Retrouvez l’article Blockbuster Le Pritzker Price à Francis Kéré : Learning From Gando, dans Archistorm 114 daté mai – juin 2022