Associer le végétal à l’architecture, telle est la position défendue par tout un pan de la production architecturale actuelle. Aux quatre coins de la planète, bureaux, logements, écoles ou encore hôtels sont autant de projets remarqués par la place et le rôle accordés à la nature. Si ces constructions sont facilement regroupées sous l’expression générique d’ « architecture verte », ce greenwashing revêt des démarches très différentes dont les plus probantes possèdent des racines déjà bien solides. Toutes partagent un même objectif : la reconnexion de l’homme avec la nature.

Depuis la terrasse supérieure de la Villa Arson à Nice, on aperçoit dans le quartier du Ray une florissante canopée végétale émergeant d’une nappe de toitures en tuiles brunes. Rien ne laisse soupçonner qu’il s’agit d’un ensemble dense réunissant 350 logements, un hypermarché, un dojo ainsi qu’un parc de stationnement de 700 places. La grande qualité urbaine qui caractérise l’opération s’appuie sur une matérialité végétale utilisée par l’architecte Édouard François dès ses premières réalisations. « Le Ray » à Nice, en est une brillante synthèse. Ici, la mise au point de façades « support de végétalisation » – un terme que l’architecte préfère à façades végétalisées – permet d’éviter le sentiment d’un urbanisme de type boîte à sucres : « la seule façade qui peut se répéter à l’infini est celle de la forêt », défend le prolifique créateur. Ainsi, les constructions en béton brut sont-elles accastillées par des tuteurs en châtaignier entre lesquels des câbles en inox permettent aux plantes de grimper. Un système d’arrosage par des tuyaux d’eau métalliques reste visible en façade et participe pleinement de l’esthétique des lieux. Au pied des bâtiments, on trouve de hautes plantations en pleine terre. À terme, les végétaux savamment choisis opèreront un phénomène d’anastomose : grâce à des greffes multiples, les plantes formeront un système racinaire communicant ce qui leur permettra de partager les ressources, notamment en eau.

Cette ambiance presque tropicale et bienfaisante n’est en rien un décorum : le projet limite la perméabilisation des sols et les plantes rafraîchiront le site lors des fortes températures.

Depuis sa création en 1998, l’agence devenue « Maison Édouard François » a saisi à bras le corps les nécessités qui sous-tendent la discipline : « Une bonne architecture s’inscrit dans son époque, d’où l’enjeu de comprendre ce qui se joue à ce moment-là », déclare l’architecte, dont l’œuvre interroge un état du monde marqué par un impérieux besoin de reconnecter la société avec la nature. Cette idée relève d’une gestation de longue date et traduit chez Édouard François une « envie profondément ancrée dans le rejet d’une architecture moderne agonisante et sourde aux nouvelles aspirations de la société, et qui persévérait à reproduire à la chaîne des formes des années 1930 en béton blanc et en PVC sans tenir compte de ses futurs occupants qui avaient des envies de matériaux naturels, de végétation, d’arbres, de paysages… ».

Gites ruraux à Jupilles par Maison Edouard François et Duncan Lewis Scape Architecture © Nicolas Borel

La poétique du végétal en milieu urbain

Déjà dans les années 1990, Édouard François s’était distingué par des collaborations avec l’architecte écossais Duncan Lewis. C’est par exemple le cas des gîtes ruraux qu’ils livraient en 1997 à Jupilles dans la Sarthe et qui s’inscrivent dans le paysage telles des haies habitées afin d’éviter le mitage territorial provoqué par les villages de vacances traditionnels. Formant une épaisse paroi extérieure aux constructions, les végétaux sont partie prenante du refroidissement du bâtiment et forment un écosystème en lien avec la forêt proche. Depuis l’intérieur, l’épaisseur végétale reste très présente, notamment avec les ouvertures traversant les haies, tandis que l’espace de vie commune, avec cuisine aménagée en contrebas de chaque unité, crée un lien différent avec le sol naturel. Une année auparavant, les vibrionnants créateurs avaient publié Construire avec la nature, un livre dans lequel ils défendaient l’idée d’une disparition de l’architecture comme objet formel et comme discipline, les limites entre architecture et paysage étant de leur point de vue dépassées.

Œuvrant en solo depuis 1999 au sein de sa propre agence (Duncan Lewis Scape Architecture), Duncan Lewis n’a eu de cesse de développer une poétique du végétal en milieu urbain : « la nature a toujours réussi à infiltrer l’architecture, tout est question de va-et-vient entre ce qui est vrai et ce qui est faux, ce qui est opaque et ce qui est lisible. La modernité a séparé l’homme de son environnement. Il faut recréer les liens entre les deux où le temps n’est jamais figé, où nous faisons place à nos rêves ». Cette déclaration trouve une transposition parfaite dans chacun de ses projets porteurs d’un imaginaire fort : du lycée de Révin en Champagne (2016) dont les 16 000 m2 se déploient en fondu enchaîné dans le paysage pentu, au groupe scolaire de Cornebarrieu en Haute-Garonne (3 500 m2 réalisés en 2014, Duncan Lewis, architecte mandataire et Jean de Giacinto, architecte associé) fait de subtiles séquences spatiales et de filtres aiguisant les rapports complexes entre matières minérales et végétales. Quelques années plus tôt, en 2005 à Mulhouse, Duncan Lewis avec Hervé Potin de l’agence Block repensaient le logement social et expérimentaient de nouvelles formes d’habitat dans le cadre de l’édification de la Cité Manifeste Pierre Zemp. Tirant son nom de son initiateur, l’opération connaît aujourd’hui une nouvelle et heureuse actualité en se voyant décerner le label « Architecture contemporaine remarquable » attribué par le ministère de la Culture. Se référant au « carré mulhousien » des anciennes maisons ouvrières, les logements reposent sur une trame carrée de double hauteur à partir de laquelle viennent se greffer des pièces supplémentaires, en porte-à-faux et autour du vide. Ces volumes sont contenus dans des structures grillagées dans l’interstice desquelles une enveloppe végétale a absorbé peu à peu le bâti et délimite de plus des pièces extérieures qui prolongent les logements en jardin et en toiture du bâti.

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Texte : Sophie Trelcat
Visuel à la une : Ensemble de logements Le Ray à Nice par Maison Edouard François © weaerecontent(s)

— retrouvez le dossier sociétal : Du vert à tous les étages dans Archistorm 118 daté janvier – février 2023 !