Lancée par la mairie de Paris en novembre 2014, l’opération « Réinventer Paris 1 » consistait en un Appel à Projets Urbains Innovants (APUI) pour la réalisation de projets d’architecture à édifier sur des terrains, propriétés de la Ville et de ses opérateurs. Comme son titre l’indique, il s’agissait de réinventer la capitale grâce aux idées novatrices des équipes de conception qui associaient promoteurs, architectes et collaborateurs de tous horizons pour porter l’expérimentation. Au-delà de la polémique suscitée autour de l’opération, l’occasion est donnée, dix années après son lancement, de faire le point sur les projets ayant vu le jour et sur le degré d’innovation qui aura été possible dans la « Ville Lumière ».

Présentée au Pavillon de l’Arsenal de mai à avril 2016, l’exposition des projets marque encore les esprits. Les panneaux montrant des bâtiments aux programmes mixtes, couverts de végétation pour beaucoup d’entre eux, déclinant le bois, avaient déclenché les polémiques les plus vives au sein de l’ensemble de la profession.

L’opération avait mobilisé un grand nombre d’acteurs : 815 équipes étaient candidates, 372 projets furent déposés, 75 sélectionnés à concourir. Le résultat avait mené à la sélection de 22 propositions sur autant de sites, retenues sur des critères d’innovations constructives, programmatiques, opérationnelles et tout entiers tournés vers l’écologie. L’urgence climatique ne s’était pas encore invitée dans les débats, mais ces derniers s’inscrivaient néanmoins en filigrane du Plan Climat de la capitale qui avait été adopté par le Conseil de Paris dès 2007.

Tout à fait inédit, l’événement attendait des groupements lauréats qu’ils proposent un concept programmatique accompagné de son modèle économique et de ses partenaires exploitants. L’originalité du concours était, en parallèle, d’avoir exigé que chaque équipe candidate rassemble des professionnels venus d’horizons divers : paysagistes, programmateurs, écologues, économistes, sociologues… afin de « décloisonner les compétences », tel que formulé par la mairie de Paris1.

Il restait alors à charge de cette dernière de mettre en œuvre le cadre nécessaire afin que l’innovation fût respectée au fil de la concrétisation des projets, une clause d’affectation garantissant notamment le type d’usage sur une durée de quinze ans. Réinventer Paris 1 totalise aujourd’hui treize réalisations, dont l’une d’entre elles est en fin de chantier. Extrêmement variées du point de vue formel, elles déclinent chacune à leur manière les grandes directions qui étaient suggérées par la Ville : une mixité des programmes, à l’occasion partagés et solidaires ; des rez-de-chaussée actifs ; des toitures-terrasses et l’introduction de végétaux de toutes natures.

Réinventer Paris – Éole-Évangile, Paris, TVK © Julien Hourcad

Des immeubles vivants

Avec une livraison planifiée pour juillet 2024, Alguésens, réalisé par l’agence XTU avec le promoteur Marignan, porte on ne peut plus haut l’expérimentation : l’ensemble comprenant deux immeubles de logements avec arbres et jardinières à tous les étages accueille une troisième construction pour des laboratoires. Sa façade épaisse en verre, remplie d’eau, comprendra des microalgues qui seront utilisées pour la production de médicaments et de cosmétiques. Les algoculteurs de la jeune société ParisBloom exploiteront et commercialiseront les microalgues. Il faut encore patienter quelques mois avant de découvrir les lieux. En effet, les complexités liées au terrain – inondabilité, franchissement des voies SNCF, désolidarisation acoustique complexe, présence de câbles moyenne tension sur le site – ont retardé l’opération qui s’annonce surprenante.

Tout à fait étonnante, elle aussi, mais versant dans un registre moins spectaculaire, la Ferme du Rail, première ferme urbaine de Paris, est réalisée en bois et en paille. Édifié en bordure de la petite ceinture de Paris, dans le 19e, porté par la foncière sociale Réhabail, le projet relève d’une histoire bienheureuse : la rencontre entre la Scop Grand Huit et l’association d’insertion « Travail et Vie » a permis de réifier un généreux programme d’économie circulaire, de circuits courts et de réemploi des matériaux, où l’agriculture urbaine est l’occasion de réinsérer socialement des personnes en grande précarité. Ces dernières vivent et travaillent sur place à la production, elles ont la possibilité de manger gratuitement au restaurant dont la cuisine est approvisionnée, autant que possible, par les plantations du potager et de la serre. Le chantier école fait aussi valeur d’exemple avec de l’auto-construction par des artisans en formation. Depuis son ouverture, le lieu cerné par la végétation ne désemplit pas. Il est porteur d’une vision politique forte, et il convient de souligner que la Ferme du Rail a permis de dépolluer un site où s’élevait autrefois un garage. Le sol curé a reçu un terreau fertile issu d’un compost local, fabriqué pendant plus d’une année par la récupération des déchets organiques auprès des habitants et des restaurateurs du quartier.

Héritant également d’une parcelle très compliquée, petite et adossée au Conservatoire du 13e arrondissement, l’architecte Manuelle Gautrand et son équipe, au sein de laquelle figure le paysagiste Bas Smedts, ont développé un petit immeuble de 25 logements aussi intéressant formellement, économiquement que socialement. Réalisé principalement en bois, structuré par une fine ossature de béton, Edison Lite est une construction revendiquée comme étant « zéro charges ». Dans cet objectif, les rez-de-chaussée commerciaux sont la propriété partagée des habitants en accession et leur location finance les charges de copropriété. La toiture accessible est également partagée et offre la possibilité de pratiquer l’agriculture urbaine. Dès le départ du projet, la gestion des lieux fut mise au point par les concepteurs : lors de l’acte de vente, les habitants firent le choix d’être copropriétaires des jardins potagers, plutôt que de devenir propriétaires d’un petit lopin cloisonné. Aujourd’hui, le dispositif est opérant : chacun aide à tour de rôle à la culture des plantes et légumes. Les récoltes sont ensuite partagées grâce à une application commune. Quant aux 290 pieds de passiflores plantés dans les jardinières de façades, elles sont elles aussi une propriété collective. Leur entretien et leur arrosage par un système intégré sont financés par la location du rez-de-chaussée de la construction.

Préserver plutôt que démolir

La préoccupation de l’écologie des projets s’est à l’occasion manifestée de manière plus discrète, comme à travers la proposition de l’architecte Pablo Katz pour le Relais d’Italie.

L’équipe s’est interdit de combler la totalité du PLU et a retenu une intervention mesurée : la restructuration complète de l’ancien conservatoire occupant le site et sur lequel est édifiée une surélévation limitée à trois niveaux. Ces volumes supplémentaires ont été fabriqués en filière sèche, selon un système constructif léger consistant en la préfabrication en atelier de modules 3D en ossature bois. Ces derniers ont été livrés déjà équipés pour être assemblés sur site. La plupart des autres équipes avaient démoli le conservatoire, pourtant bien construit.

Fil d’Ariane de l’opération, la synergie entre les programmes (logements étudiants en triplex avec terrasse commune, coworking, café restaurant, salles de formation ou destinées aux associations) assure un tissage de relations avec le voisinage. Au sein de l’espace de coworking, par exemple, des personnes âgées du quartier sont accueillies pour être formées aux outils numériques.

Répondant en tous points à la demande d’innovations, le projet a valeur d’exemple. Il semblerait que la voie de la préservation soit de plus en plus empruntée par les acteurs de la construction. L’opération Relais d’Italie a néanmoins représenté des efforts titanesques pour les protagonistes du projet. Ne peut-on imaginer qu’elle aurait pu émaner directement d’une commande de la municipalité ?

À quelques encablures de la place d’Italie, projet hybride entre la construction neuve et la réhabilitation de l’ancien bâtiment des Bains-Douches dans le 15e arrondissement, l’opération Castagnary se distingue elle aussi à plusieurs égards. Réalisée notamment par RED architectes avec l’investisseur Natixis et BPGA paysagiste, elle évite de densifier au maximum ce qui lui aurait pourtant permis d’augmenter sa charge foncière. Une partie du bâti ancien est réhabilitée en espaces de coworking. La qualité de ce bâtiment de proue en briques est soulignée par la toile de fond que lui apporte la façade Sud de l’immeuble neuf consacré à un programme de logements en colocation. Ce dernier, réalisé en bois, figure comme le plus haut bâtiment de Paris avec un R+8 culminant à 27 mètres.

Morland Mixité Capitale, Paris, David Chipperfield Architects
Berlin avec BRS architects, CALQ et RDAI © Sebastien Veronese

Des bâtiments primeurs

L’Îlot fertile, dessiné par TVK et livré en 2022, représente également une première en ce qui concerne l’emploi inédit de matériaux : plus vaste site de l’appel à projets, il s’installe sur une ancienne friche industrielle de 1,7 hectare. Les façades de la superstructure de l’édifice sont en pierre massive porteuse ayant permis un chantier moins polluant. Son programme de logements divers – base logistique, hôtel, bureaux, jardins potagers – permet de traverser l’îlot par un jardin central tout en étant protégé des infrastructures ceinturant le site.

On laissera par contre à l’appréciation de chacun des innovations telles celles du NOC 42, dans le 17e conçue par AR Architectures, et l’entreprise OH4S présidée par Xavier Niel. Cette dernière offre aux étudiants des hébergements temporaires à faible coût et de fait, dans des dortoirs où s’alignent des lits cabines, superposés et équipés de rideaux censés préserver une intimité sonore et visuelle.

Bienheureux seront par contre les étudiants de la Serre habitée, un projet ayant permis de faire connaître l’architecte Vincent Saulier. Celui-ci a réalisé dans le 20e une chaleureuse résidence de 23 logements privilégiant cinq chambres à chacun des niveaux, équipées de sanitaires privatifs et de bureaux, et rassemblées autour d’un vaste espace commun avec cuisine partagée. Exemplaire du point de vue de ses matériaux et de ses consommations énergétiques, elle accueille une serre collective en toiture qui permet également aux étudiants de se réunir.

Extrême mixité

Du local au global, le Stream Building, face au TGI dans le quartier des Batignolles, accueille les nomades internationaux contemporains dans une résidence hôtelière aux multiples services dont les studios, équipés de kitchenettes et de bureaux, peuvent être loués pour quelques jours ou sur une longue durée. L’immeuble se distingue par sa superposition de fonctions multiples ainsi que par l’accueil d’activités solidaires.

Sully-Morland dans le 4e aura poussé encore plus loin la superposition des programmes s’élevant à onze fonctionnalités différentes. Ces dernières s’organisent verticalement dans une œuvre architecturale très réussie du Britannique David Chipperfield, lauréat du prix Pritzker en 2023, accompagné de l’agence CALQ Architecture et du groupe Emerige.

N’oublions pas de citer les opérations « Collectif Coulanges » et « La Compagnie des Philanthropes » qui, en investissant d’anciens hôtels particuliers, respectivement dans les 4e et 5e arrondissements de Paris, ont permis de valoriser et de préserver un patrimoine bâti historique. De même que les deux projets réalisés par l’agence Ory & Associés : l’espace de commerces Italik dans le 13e et l’Auberge Buzenval dans le 20e, à mi-chemin entre l’hôtel et l’auberge de jeunesse. Ces derniers répondent sans aucun doute aux labels environnementaux, mais ils restent timides du point de vue de l’expérimentation formelle et programmatique.

Une opération témoin

Dénoncé comme un gros coup de communication pour la ville de Paris, « Réinventer Paris 1 » s’érige incontestablement comme le marqueur d’une époque pointant la nécessité de matérialiser une pensée écologique du bâti. De même, l’événement a permis de mettre en évidence la colossale transformation du secteur tertiaire. Et l’on peut se rappeler à cet égard, que le télétravail était encore très marginal avant le Covid. Depuis, il a connu une croissance exponentielle et le coworking s’en est trouvé fortement boosté. Et encore, l’appel à projets avait intégré également le changement sociétal lié au numérique.

Le concept a essaimé aux échelles nationale et internationale, et l’on ne peut que saluer la démarche expérimentale de l’opération qui a donné lieu à des échanges prolifiques et non standard entre les multiples partenaires de la maîtrise d’œuvre et de la maîtrise d’ouvrage, inédite dans le cadre de la commande parisienne. Toutefois, ce type de procédure ne peut fonctionner que s’il existe un accompagnement rapproché de la puissance publique afin de définir les attentes, analyser les projets et suivre leur mise en œuvre. À propos de ce premier opus de 2014, il resterait la nécessité de mettre en place un retour sur expériences afin d’exploiter une manne incroyable – de projets réalisés ou non – et qui jusqu’à ce jour reste inerte dans une boîte noire à idées.

Texte : Sophie Trelcat
Visuel à la une : Bâtiment EDISON LITE, Paris, Manuelle Gautrand Architecte © Luc Boegly

— Retrouver l’article dans Archistorm 12 daté mars – avril 2024


1 – Site permettant de consulter la liste complète des équipes formées et qu’il n’est pas possible de citer en totalité dans le texte : https://www.paris.fr/pages/reinventer-paris-4632