À l’ancienne huilerie proche de la maison des écluses — commandant l’accès aux bassins à flot[1] — le groupe Legendre Immobilier a substitué un ensemble hôtelier. Au pied des huit silos originels — vestiges patrimoniaux hauts de 36 m —, les architectes Benjamin Colboc et Arnaud Sachet ont implanté autour d’une oasis luxuriante deux hôtels trois et quatre étoiles (aménagés par Michael Malapert) et une résidence étudiante couplée à l’hostel Whoo. Ce complexe concourt à faire du Bacalan, déjà riche de son passé industriel et portuaire, un lieu de plaisance urbaine plein d’avenir.

L’inox poli miroir habillant la sous-face des deux porte-à-faux des terrasses du roof-top troublent la perception de ce couronnement depuis la Place des Millésimes qu’ils surplombent.

S’insérer avec réserve dans le paysage pour l’offrir généreusement aux hôtes

Il importait à Nicolas Michelin, l’urbaniste en chef de la rénovation du site des Bassins à flot, que l’ensemble des opérations projetées dialogue avec le génie de ce quartier portuaire « habité d’une poésie post-industrielle », et en préserve les aspérités les plus caractéristiques, que ce soient les grues des anciens radoubs du XIXe siècle, la base sous-marine de la Seconde Guerre mondiale ou encore les silos à grains des années 1950.

Que faire de cette « nature morte » d’où émergent, telles des concrétions, des objets « aux géométries variées, dont le sens nous échappe » ?

« Tout le principe du bâti repose sur son inscription, voire son effacement dans le paysage qu’il offre au visiteur de vivre d’une multitude de points de vue différents. » Les concepteurs ont fait le choix de la minéralité pour les trois immeubles abritant chacune des composantes du programme. La modénature de leurs façades respectives module un système constructif « déclinant des assemblages frugaux de béton » blanc ou teinté dans la masse. Les baies des habitations reposent sur « une allège surbaissée à 70 cm afin de permettre à leurs hôtes de contempler le panorama depuis leur lit ».

Donnant au nord-ouest sur le quai du Maroc, le trois-étoiles battant pavillon Moxy accueille 133 chambres sur six étages, tout comme son vis-à-vis hébergeant, au sud-est, les 159 studios de la résidence étudiante et les 28 chambres collectives de l’hostel Whoo, desservis par la rue de la Gironde et la sente Marie-Galante.

Le jardin de plain-pied et la couverture plantée du lobby et du coffee-shop du Renaissance, tropicalisent le coeur d’îlot.

Les quatre étoiles du Renaissance se déploient dans l’entre-deux, sous forme d’une traversée historique et paysagère entre des hémisphères temporels. On y accède depuis deux des silos septentrionaux. Le premier, côté rue, — équipé d’une minimaliste marquise de métal et verre et entièrement évidé à l’exception de sa tétine ceinturée d’un anneau de lumière — se mue en un bien surprenant… impluvium ! Avec son oculus en EFTE protégé par une membrane de filtration, le second constitue le pôle d’accueil. Il commande l’accès à la galerie du lobby se dilatant en un généreux café dont la double hauteur est baignée de la lumière naturelle émanant du vaste jardin intérieur, et dont les grandes baies coulissantes sont ombragées par des stores blancs à projection. Accessible depuis le rez-de-chaussée du Moxy et visible (tout comme la toiture plantée de la galerie-café) depuis la résidence étudiante, ce jardin des silos — conçu par les paysagistes Neveux Rouyer — se veut une allégorie de la forêt landaise : « une strate basse de bruyères des clairières et fougères de sous-bois, de genêts blancs, cotinus et lierre est ponctuée de pins sylvestres et saules blancs » que colonisent quelques spécimens plus exotiques. Les 150 chambres du Renaissance investissent huit des neuf étages du bâtiment érigé au droit de la place des Millésimes, sur laquelle donne son socle affecté au centre de séminaires, en vis-à-vis des Halles (gourmandes) de Bacalan très appréciées des Bordelais. Constituée des cages d’ascenseurs panoramiques côté jardin et de leur palier côté sud, une faille vitrée médiane crée une habile échappée visuelle sur la ville. Directement accessibles au public, un restaurant et un bar occupent le rooftop du neuvième et dernier étage (aux sheds crénelant la toiture), d’où embrasser tout le panorama bordelais depuis de vastes terrasses — dont les porte-à-faux tapissés en sous-face d’inox poli miroir troublent la perception globale de l’édifice quand on le regarde, inversement, à partir des bassins. Les clients de l’hôtel peuvent y jouir en exclusivité d’une spectaculaire piscine avec vue sur la Garonne, la Cité du vin et les toits de la ville léchés par le coucher du soleil !

Les 8 silos originels ont conservé leur intégrité – visuelle et structurelle – à l’exception de celui donnant accès à l’hôtel Renaissance, que signale une marquise des plus minimaliste.

Traç (h) abilité locale

Michael Malapert met à profit ses deux casquettes d’architecte d’intérieur et de curateur pour s’« approprier le parcours architectural en mettant en scène chaque partie au regard de sa fonction », lesquelles parties s’enchaînant tels les différents actes d’une pièce de théâtre. Le décor marie habilement le neuf à l’histoire, le brut au précieux, l’intérieur à l’extérieur. À la mise en abyme des silos accueillant la clientèle succède la luxuriance du coffee shop ceinturé de végétal : par les plantations du patio-oasis et celles, tropicales, de la fresque de Julien Colombier, rappelant le commerce avec les colonies.

Dans les chambres, le béton brut des dalles de plafond est réchauffé par le miel du bois des menuiseries, cadrant avec la banquette la baie vitrée qui occupe toute la largeur de la pièce et dont le rideau de velours lie de vin théâtralise la découverte du panorama bordelais. Sur l’enduit-ciment derrière la tête de lit, la maison de peinture décorative Redfield & Dattner propose des fresques abstraites à la feuille d’or reprenant le parcellaire des appellations des vignobles environnants.

 

Lieu en vogue s’il en est, le rooftop abrite à l’arrière de son garde-corps aux allures de bastingage un bar à cocktails dont les bardages en bois blanchi et les luminaires-nasses en corde et osier évoquent les cabanes de pêcheurs du bassin d’Arcachon. Côté bassin à flot, le comptoir et le faux-plafond du restaurant italianisant Gina semblent avoir été façonnés par les vagues, comme du bois flotté. Côté Garonne, l’eau du bassin suspendu du couloir de nage est en partie chauffée grâce à l’énergie récupérée des cuisines. Une plage avec transats et trois bains à remous complètent ce havre de bien-être plein ciel !

Elévation + coupe système modulaire des façades du Renaissance

Fiche Technique

Surface : 17 669 m2 (bâti) + 4 700 m2 (espaces extérieurs)
Livraison : été 2021
Maître d’ouvrage : Legendre Immobilier
AMO : Suitcase Hospitality
Architecte : COSA
Architecte d’intérieur : Maison Malapert (Renaissance et Moxy), Wunder architectes
Paysagiste : Neveux Rouyer
Artistes : Julien Colombier, Bertrand Fompeyrine, Damien Boisson-Berçu, Séverin Millet
BET : Legendre Ingénierie (structure), Egis (fluides), Ried (cuisines), E. Caps (piscine et spa), Acousth (acoustique)
Entreprise générale : Legendre Construction

Texte Lionel Blaisse
Photo Ivan Mathie

retrouvez l’Expérience Hôtelière sur le Complexe hôtelier aux Bassins à flot, Bordeaux par COSA, architectes, et Maison Malapert, architecte d’intérieur dans Archistorm daté janvier – février 2022


[1]. Classés au Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2007.