Biome, darchitecture, par nature

Biome est, à Paris, dans le XVe arrondissement, une opération remarquable de par ses qualités mais aussi de par la méthode usitée par  le Studio Jouin Manku et l’agence Yrieix Martineau Architecture. Ce duo original a su transformer un immeuble des années 1960 et bâtir une extension contemporaine en étant guidé par l’esprit des lieux.

Que faire de la modernité ? La révéler ! Le projet conçu à la demande de SFL par le Studio Jouin Manku et l’agence Yrieix Martineau Architecture pour l’ancien siège de la SMABTP tire parti des qualités d’origine de la construction pour les révéler mais aussi les compléter. Ce parti pris architectural audacieux, encore trop rare de nos jours, permet de conserver l’esprit d’une construction à l’heure où le patrimoine hérité des Trente Glorieuses souffre d’un vandalisme aveugle.

L’architecture développée au début des années 1960 par Raymond Lopez et Henri Pottier a été ici judicieusement préservée dans sa structure et dans sa volumétrie. Fille de dogmes modernistes, la rationalité des plans permettait après tout une transformation aisée pour des usages variés. Par ailleurs, les dimensions conséquentes des espaces situés en rez-de-chaussée offraient de multiples possibilités. Parmi elles, un trait urbain permettant de relier visuellement l’avenue Émile Zola et la rue Violet, situées de part et d’autre de la parcelle.

« Avec cette transformation audacieuse, SFL montre qu’une approche singulière, associant considération patrimoniale et intérêt pour la création contemporaine est possible à Paris. »
Dimitri Boulte, directeur général, SFL

Continuité et fluidité

Cette mise en relation perceptible dès l’entrée du nouvel ensemble traduit le goût du Studio Jouin Manku et de l’agence Yrieix Martineau Architecture pour la lisibilité des espaces et, conjointement, pour leur fluidité. Le potentiel offert par ce rez-de-chaussée, pensé à l’origine comme un espace multifonctionnel desservant aussi bien les bureaux que la salle des congrès, a été pleinement utilisé ; il a même été enrichi d’une variété de propositions ingénieuses. Prolonger l’histoire a, de fait, été l’occasion de mettre en œuvre une générosité spatiale inhabituelle pour un immeuble de bureaux. En outre, la démolition, en sous-sol, d’un centre de congrès a permis de compléter ces espaces d’un volume monumental. Encore fallait-il relier sinon ouvrir ces niveaux souterrains pour les intégrer à l’ensemble. De nouveau, l’idéal de continuité et de fluidité a dicté une savante recomposition des lieux au prix de défis techniques considérables. Il s’agissait de permettre à la fois des parcours aisés mais aussi une mise en lumière naturelle des plus saisissantes. Pour ce faire, de larges trémies ont été créées dans des planchers précontraints et des escaliers aux allures d’élégantes sculptures attisent désormais la curiosité de haut en bas.

« Biome est le meilleur choix que nous puissions faire. SFL a, dans ce projet, répondu aux plus hautes qualifications du marché de l’immobilier. En faisant de cette opération notre adresse, nous illustrons nos ambitions et, surtout, notre raison d’être. »
Bertrand Cousin, directeur général de la banque de financement et d’investissement et membre du directoire, La Banque Postale

Sous-sol en lumière… naturelle

Cette utilisation des sous-sols est pour l’heure hautement stratégique. Alors que la verticalisation de Paris est impossible – sauf en quelques sites particuliers, aux portes de la ville –, les souterrains offrent un gisement d’espaces inexploités. Certaines opérations ont déjà tenté l’intégration de parkings dûment transformés. Parmi elles, le 83 Marceau, développé par SFL avec Dominique Perrault. Dans ce même élan, le Studio Jouin Manku et l’agence Yrieix Martineau Architecture ont conçu une stratégie spécifique de mise en valeur. S’il y avait certes un travail nécessaire portant sur la création d’habiles perspectives obliques, il était aussi question de penser des relations pleines et entières avec l’extérieur. Cette ambition a pris un tour topographique et le site a été creusé pour créer un nouveau linéaire de façade vitrée, lequel permet par ailleurs la mise en valeur des élégants piliers en béton dessinés par Raymond Lopez et Henri Pottier.

« La mise en exergue des qualités du bâti ancien autant que la conception d’extensions nouvelles constituent des opportunités pour introduire des méthodes de conception différentes et pour intégrer une ambition environnementale toujours plus forte. »
Éric Oudard, directeur Technique et Développement, SFL

Un biome d’architecture

Cette logique tellurique a conduit à une étude paysagère poussée afin que la relation avec l’extérieur soit la plus généreuse possible. Aussi la transformation de l’ancien siège de la SMABTP a été l’opportunité d’une réflexion sur la manière dont la nature peut pénétrer à l’intérieur d’un ensemble de bureaux pour devenir une sorte de « macro-système biologique autonome ». Thierry Laverne, paysagiste, davantage habitué aux réflexions territoriales, a saisi cette opportunité rare pour appliquer sa philosophie à une échelle plus modeste, celle d’un immeuble qu’il a imaginé « 100 % fertile depuis le sol jusqu’au ciel ». Il s’agissait pour lui de proposer un cadre de vie harmonieux mais, avant tout, un paysage naturel qui puisse fonctionner comme un véritable écosystème. Ce sont dès lors des perméabilités entre architecture et nature qui ont été pensées et réalisées. Des ouvertures généreuses cadrent un jardin entièrement repensé, et des terrasses contribuent à créer plus d’interactions avec celui-ci. De la sorte, le nom de l’opération était trouvé : Biome.

« Un dessin n’est jamais simple. Il s’agissait de trouver une forme qui réoriente l’ensemble et qui, en outre, permette de trouver un équilibre entre l’existant et le nouveau. Cette recherche plastique nous a fait prendre conscience que l’angle droit n’est pas naturel et que l’extension doit interagir avec des figures voisines différentes. Nous voulions une nouvelle fois trouver un contrepoint, mais aussi exprimer l’idée d’une poussée organique et verticale. Un plan en courbe nous paraissait donc le plus adapté. »
Patrick Jouin et Sanjit Manku designers et architectes, fondateurs de l’agence Jouin Manku

Réconcilier l’environnement

Cette analogie biologique illustre la volonté d’agir avec subtilité et respect sur l’ensemble d’un environnement. Aussi, le jardin se mêle visuellement aux cours voisines et se laisse apercevoir depuis l’avenue Émile Zola. Dans l’idée de réconcilier une construction moderne avec des alentours qu’elle a longtemps ignorés, le Studio Jouin Manku et l’agence Yrieix Martineau Architecture ont imaginé compléter l’ensemble, le long de la rue Violet, d’une extension courbe. Cette nouvelle façade, désormais noble, assure la transition avec les constructions voisines, l’une datant du XIXe siècle, l’autre des années 1970. Cet ajout a été l’opportunité pour les concepteurs, après avoir travaillé le thème de la profondeur, d’aborder celui de l’épaisseur. En effet, en s’accolant à la construction d’origine, cette excroissance produit des plateaux singuliers, loin des standards habituels. Pour les rendre habitables et confortables, un large patio y a été aménagé. Celui-ci a fait l’objet de nombreuses recherches plastiques. Sur les premiers plans, il se montre entaillé d’une faille ; il a finalement été réalisé dans son ensemble afin d’assurer, une fois encore, une circulation des plus aisées.

« Le projet de paysage de Biome ne propose pas une nature décorative et d’agrément, mais un véritable milieu équilibré et adapté aux différentes situations cultivées, pour contribuer à la fois au confort et au plaisir des urbains, mais aussi à l’épanouissement de la faune et de la flore parisiennes. »
Thierry Laverne, paysagiste

Exosquelette

Dans cet exercice complexe visant, entre restructuration et construction, l’équilibre entre le respect d’une situation donnée et la volonté de compléter un ensemble, l’extension de l’avenue Émile Zola fait l’objet d’une attention particulière. Là où certains auraient pu imaginer prolonger en toute littéralité la géométrie rationnelle ainsi que la trame régulière de l’architecture d’origine, le Studio Jouin Manku et l’agence Yrieix Martineau Architecture ont fait un choix original alliant au désir de contraste, une volonté de réinterprétation.

Placé le long de l’avenue Émile Zola pour combler la béance moderne laissée par Raymond Lopez et Henri Pottier et recréer un alignement historique, ce nouvel immeuble adopte des lignes courbes qui relèvent, autant que l’édifice d’origine, d’une géométrie parfaite. La structure de cet ensemble est, elle aussi, mais à sa façon, totalement rationnelle. Sa matérialité – un béton teinté – est une autre référence au siège de la SMABTP. Les architectes sont toutefois allés plus loin dans cette idée de relecture. Si l’édifice conçu par Raymond Lopez et Henri Pottier a constitué une prouesse technique à l’époque de sa construction, cette nouvelle opération en est l’écho fidèle. Le nouveau défi structurel propose de déporter l’ensemble de la structure à l’extérieur. Poteaux et poutres forment un exosquelette de forme tronconique et asymétrique épousant la douce volumétrie rêvée pour cet ensemble. L’association d’éléments inclinés et d’autres courbes s’est révélée d’autant plus difficile qu’il s’agissait en outre de « porter » l’ensemble du bâtiment. Coulée en place, cette structure a nécessité la mise au point de techniques nouvelles. Pour placer parfaitement les coffrages – des coffrages sur vérins – et faire en sorte que tous les poteaux soient parfaitement alignés, une maquette BIM a été utile pour géolocaliser la position exacte de chaque élément. GPS, laser et électropneumatique ont été mis au service d’une exécution minutieuse.

Aujourd’hui, l’immeuble parfaitement restructuré et son adjonction résolument contemporaine forment un tout harmonieux relié par un ensemble de passerelles. Différents scénarios ont été étudiés, de l’indépendance totale des deux entités à leur fusion complète. In fine, la solution la plus évanescente, tout en transparence, a été préférée pour relier l’ensemble des espaces offerts afin qu’un seul utilisateur puisse aisément circuler d’un bâtiment à l’autre.

Biome, dans sa grande variété d’espaces, renouvelle l’art de vivre au travail. Un socle de services, des espaces généreusement ouverts, des loggias, un jardin constituent un cadre unique pour un programme tertiaire. D’une architecture manifeste à l’autre, d’un trait moderne à une silhouette contemporaine, cette opération conçue par le Studio Jouin Manku et l’agence Yrieix Martineau Architecture marque une étape significative quant à la manière d’aborder la rénovation d’un ensemble bâti hérité des Trente Glorieuses ; le respect pour l’architecture d’origine et, dans sa dimension la plus large, pour l’environnement – l’opération arbore les plus hautes certifications – , a été la règle d’un projet soucieux d’harmonie. Biome marque ainsi, à Paris, un jalon important dans la fabrique urbaine d’une capitale qui espère, sans cesse, se renouveler.

« Le cas du siège de la SMABTP – une construction héritée des années 1950 – n’est pas si différent qu’on le pense. Ce bâtiment était un démonstrateur des savoir-faire des constructeurs d’alors. Les ingénieurs y ont excellé pour créer à partir de techniques nouvelles, encore à l’étude, des planchers précontraints. »
Jessica Jung, directrice générale de Bouygues Bâtiment Île-de-France, Rénovation Privée

Croquis © Jouin Manku

Fiche technique

Maîtrise d’ouvrage : Société Foncière Lyonnaise (SFL)
Maîtrises d’œuvre : YMA – Yrieix Martineau Architecture et Studio Jouin Manku
Entreprise Générale : Bouygues Bâtiment Ile-de-France – Rénovation Privée
Surface : 24 000 m²
Livraison : juin 2022

Texte : Jean-Philippe Hugron
Photos : Alexis Paoli