La Maison Chanel a ouvert en 2021, dans le nord parisien, au sein d’une géographie changeante et pour le moins attractive – la porte d’Aubervilliers –, un nouveau site pour héberger une part de ses activités.

Son nom de code ? le19M.

Le nombre évoque une adresse, plus exactement, un arrondissement, le 19e. Il est aussi un clin d’œil au jour de naissance de Gabrielle Chanel – le 19 août 1883 – et, dit-on, l’un des « chiffres magiques » de la Maison.

La lettre, quant à elle, est l’initiale de métier, mode et main, trois maîtres-mots pour illustrer la vocation artistique mais aussi artisanale d’une institution… d’une Maison.

Un site

Une nouvelle implantation ne pouvait s’émanciper de choix opérés en amont. Les Maisons d’art, en pleine expansion, se trouvaient alors à l’étroit dans les ateliers du centre de Paris. Lemarié, par exemple, rue du Faubourg Saint-Denis, a vu son effectif passer de 15 à 75 salariés en quelques mois seulement. En 2007, une décision importante a été prise : construire à Pantin un bâtiment de 5 000 m².

Fin 2011, Lesage, Lemarié, Maison Michel, Paloma et Goossens s’y sont installées. À proximité, l’ancienne Manufacture des Allumettes située à Aubervilliers, usine délicatement transformée par MW Architecture, abrite depuis 2015 Massaro, Lognon et Maison Michel. Poursuivant sur cette lancée géographiquement ciblée, Chanel jette son dévolu sur une parcelle en agrafe entre le 19e arrondissement de la capitale et Aubervilliers. Ce terrain de 9 000 m² est alors jugé idéal pour créer un trait d’union entre Paris et sa première couronne autour d’un thème familier : la mode.

© Olivier Amsellem

Du concours au projet

Le nom de Rudy Ricciotti a été retenu au terme d’un concours organisé en avril 2016 au Pavillon de l’Arsenal. Ce choix a été largement motivé par les qualités urbaines et architecturales de sa proposition. Les objectifs fixés par Chanel en matière de fonctionnalité, d’innovation, de développement durable et de « qualité créative » ont été pleinement remplis. La maîtrise d’ouvrage a salué, à cette occasion, un projet « pensé sur mesure », lequel « respecte les spécificités et les usages de travail de chacune des Maisons résidentes ».

À l’intérieur, Rudy Ricciotti a en effet imaginé, sur cinq étages, des plateaux où les Maisons résidentes se répartissent dans un espace qui leur est propre. Les ateliers ont été pensés et conçus pour leur permettre d’exprimer librement leurs univers créatifs respectifs et leurs identités visuelles propres. Chacune peut ainsi créer, produire et recevoir en toute confidentialité.

L’exostructure promise lors du concours était, au-delà d’une prouesse technique, un symbole utile à même d’incarner l’ambition de Chanel. Pensée en béton fibré à ultra haute performance – intimement dénommé BFUP par les connaisseurs –, elle aligne 231 modules monolithiques de 24 mètres de haut. Tous sont inspirés d’une trame textile verticale, qui évoque les savoir-faire à l’œuvre au sein du bâtiment. Ce merveilleux portique agit par ailleurs en masque solaire. Il se densifie en fonction de l’orientation et de l’exposition au soleil.

« Si l’exosquelette du bâtiment évoque un tissage de fils de béton, il est aussi un clin d’œil au tweed, tissu iconique de la Maison Chanel. Cette structure est également un écho à certains savoir-faire présents au 19M, et un symbole du maillage unique des expertises qui y résident », assurent les équipes du 19M.

« le19M est un projet exceptionnel avec un exosquelette innovant constitué de filaments minéraux, agissant en masque solaire, leur densité variant selon l’orientation et l’exposition au soleil.
La complexité des façades du 19M, tissage de fils de béton inspiré d’une trame textile verticale, est le fruit de recherches et de développements engagés par le cabinet Ricciotti depuis presque quarante ans, et accompagné aujourd’hui par le bureau d’études spécialisé dans l’ingénierie des structures Lamoureux & Ricciotti Ingénierie. »
Rudy Ricciotti, Architecte, Grand Prix national d’Architecture

© Olivier Amsellem

« L’ensemble des 16 000 m² de façades est composé de 231 pièces en BFUP blanc monolithique fabriquées en atelier et d’une hauteur de 24 mètres, pour une épaisseur moyenne de 15 cm, marquant ainsi une première mondiale. […] Le système géométrique obtenu forme à la fois la structure porteuse et l’enveloppe de protection solaire du bâtiment, rappelant la mécanique et le rôle du fil et de la trame dans la conception des tissus. »
Romain Ricciotti, Ingénieur des Ponts et Chaussées

Un projet politique de sauvegarde

le19M est à la fois un lieu de travail et un hub créatif où se jouent la préservation, l’innovation et la transmission des Métiers d’art de la mode et de la décoration. Il est ainsi un projet éminemment politique, qui s’inscrit dans une volonté, entamée il y a près de quarante ans par Chanel, de sauvegarder les Métiers d’art de la mode et de la décoration. Leurs savoir-faire sont extrêmement vulnérables, soumis à une tension de recrutement : Chanel encourage leur transmission et stimule leur innovation créative.

Cette ambition passe par l’échange et la diffusion au sein de la Galerie du 19M. Parmi ses visiteurs, quelques-uns, en plus d’être curieux, sont gourmands. Un espace de restauration leur est offert pour plus de convivialité. La salle de quarante couverts jouit d’une lumière naturelle tout au long de la journée, et son élégant mobilier a été dessiné sur mesure par le Studio GGSV.

Cette Galerie du 19M, un espace de 1 200 m², est pensée comme un lieu événementiel à géométrie variable. Elle est, en quelque sorte, la vitrine de ce site généreusement ouvert sur la ville. Lieu à vocation culturelle, éminemment « pluridisciplinaire », il prône « les valeurs de l’artisanat d’art et assure la diffusion de l’excellence » grâce à une programmation artistique mêlant expositions, ateliers d’apprentissage et conférences. À ce jour, plus de 60 000 personnes ont été accueillies à la Galerie du 19M depuis son inauguration par le Président de la République Emmanuel Macron en janvier 2022. « Nous estimons que notre objectif est déjà largement atteint, ce qui est très enthousiasmant, affirment les équipes du 19M. Nous travaillons désormais à accroître la notoriété des Maisons, auprès des professionnels, mais aussi auprès des visiteurs amateurs et curieux, parmi eux, les publics jeunes. Nous avons la double ambition de les faire rêver et de susciter des vocations, de rendre hommage aux savoir-faire inestimables tout en les rendant désirables, toujours à la pointe de l’innovation. »

© Olivier Amsellem

L’art de la main

La Maison Chanel a toujours fait appel aux meilleurs fournisseurs, des artisans maniant avec la plus grande dextérité des savoir-faire désormais rares. En 1985, elle a même été la première à réaliser l’acquisition de l’un de ses fournisseurs, le parurier Desrues. L’enjeu de cette politique est de préserver des métiers uniques en leur genre. Avec le succès de leurs créations, ces Maisons d’art ont toutes connu des dynamiques de croissance ; leurs effectifs et leur patrimoine se sont faits grandissants.

Aujourd’hui, partout dans le monde, elles sont près de cinquante à avoir rejoint Chanel tout en continuant de travailler pour l’ensemble du secteur. Ces partenaires privilégiés de l’industrie du luxe sont situés en France – notamment au 19M, à Paris – mais également en Italie, en Inde ou en Écosse. Ils emploient près de 8 200 collaborateurs de toutes générations au service des créations de Chanel mais aussi d’autres grands noms de la mode.

L’idée d’un « hub culturel » est née de ces circonstances. Il s’agissait de penser un lieu permettant d’œuvrer à la préservation et à la transmission des Métiers d’art de la mode et de la décoration. Si, au début des années 2010, il était question de réunir de nombreux savoir- faire sous un même toit, il était en outre ambitionné de les exposer à tous les publics : amoureux d’artisanat et des métiers de la mode, jeunes apprentis, scolaires et étudiants, professionnels, familles et associations du territoire, toutes générations confondues. Encore fallait-il choisir un projet et, avant tout, une adresse.

Les 700

Derrière la façade « tissée » de béton, le19M rassemble sous un même toit onze Maisons avec leurs équipes et leurs archives : Desrues, Goossens, Lemarié et Lognon, Lesage et Lesage Intérieurs, Maison Michel, Massaro, Montex et Studio MTX, et Paloma. À cette liste s’ajoutent l’École Lesage et ERES. Sept cents personnes, artisans et experts, y sont réunies. Les voici, par un ordre qui n’est qu’alphabétique, aussi bien au masculin qu’au féminin : des apprêteurs, des bichonneurs, des bijoutiers – plus ou moins fantaisistes –, des bottiers, des brodeurs, des chapeliers, des coloristes, des coupeurs, des couseurs, des couturiers, des dessinateurs, des émailleurs sur métal, des ennoblisseurs textile, des finisseurs, des fleuristes, des fondeurs, des formiers, des gaufreurs, des liégistes, des maquettistes, des modélistes, des modistes, des monteurs, des orfèvres, des patronniers – dont certains coupeurs –, des piqueurs, des plisseurs, des plumassiers et des tisserands.

Les artisans des Maisons travaillent avec de nombreuses marques françaises et internationales, grands groupes ou jeunes créateurs de la mode comme de l’architecture d’intérieur et du design. le19M est en réalité pensé comme un « lieu de patrimoine et de création ».

Plan masse

Fiche technique :

Maître douvrage privé : SCI FAIMIN – Chanel
Assistant maîtrise douvrage : 2PGB / CAP 5 Conseil
Maîtrise doeuvre : Rudy Ricciotti
Entreprises : FAYAT Bâtiment (entreprise de grosoeuvre), Méditerranée Préfabrication (Groupe Vinci) (entreprise de préfabrication BFUP)
Programme : Construction neuve d’un immeuble tertiaire voué à la création et à la transmission des Métiers d’art de la mode Chanel, regroupant sur un seul site les Maisons d’art appartenant à la filiale Paraffection de Chanel (onze Maisons d’art et la Maison ERES – 700 artisans et collaborateurs), comprenant des ateliers dédiés, une école de formation et la Galerie du 19M, lieu pluridisciplinaire de 1 200 m2 destiné à des expositions, des conférences et des ateliers pratiques, ouvert au grand public.
Projet BIM niveau 2
Surface : 25 478 m²

Texte : Jean-Philippe Hugron
Visuel à la une : © Olivier Amsellem

— retrouvez l’article dans Archistorm 126 daté mai – juin 2024