ARCHITECTURE D’INTÉRIEUR

HERMÈS – RDAI

 

Entre la maison Hermès et l’agence RDAI, c’est une relation d’extrême confiance qui s’est tissée au fil des ans. La première confie à la seconde l’architecture intérieure de la plupart de ses magasins, qu’ils se logent dans un immeuble classé parisien ou dans un mall futuriste asiatique. C’est que le célèbre sellier et l’agence d’architectes ont un goût commun pour l’élégance, les matières nobles, le luxe sans ostentation, si bien que les projets qu’ils façonnent ensemble, si singuliers soient-ils, partagent tous le même degré d’exigence et le même soucis du détail. Denis Montel, directeur général de RDAI, nous éclaire sur cette collaboration symbiotique.  

 

Quel est le fil rouge stylistique qui relie entre eux les magasins Hermès dont vous concevez l’aménagement ?

Chaque magasin Hermès est unique. Toutefois, il y a certains codes de marque qui sont récurrents et que nous déclinons. Il s’agit d’éléments décoratifs qui proviennent de la maison-mère du 24, rue du Faubourg Saint-Honoré, à l’image de la grille décorative qui en orne le plafond ou de la mosaïque, sorte de méandre grec, qu’on trouve sur son sol. D’un magasin à l’autre, nous recréons et réinterprétons ces éléments en faisant, par exemple, varier la mosaïque selon différentes gammes de couleurs.

Quel type de matériaux privilégiez-vous ?

En terme de matériaux, je préfère parler de qualité plutôt que de préciosité. Nous sommes ainsi très exigeants sur la qualité d’un plaquage de bois, d’un mur de pierre – au point que nous nous déplaçons souvent dans les carrières. Nous nous efforçons, aussi, de mobiliser les savoir-faire locaux et artisanaux. Par exemple, nous allons aménager à Djakarta, en Indonésie, un magasin Hermès dont le roseau, tressé localement, sera le matériau-clé.

Dans le magasin Hermès de la rue de Sèvres, à Paris, comment est née l’idée de ces huttes de frêne qui parsèment l’espace ?

Par une combinaison de plusieurs facteurs. Ce magasin-là est situé dans une ancienne piscine art déco inscrite au patrimoine : comme les architectes des bâtiments de France étaient assez réticents à l’idée de transformer le lieu, nous avons dû imaginer des structures réversibles qui ne l’endommagent pas. Cette problématique réglementaire a alors aiguillonné notre inspiration sur la thématique du nomadisme, chère à la maison Hermès. Enfin, l’espace étant très haut, il a fallu le fractionner, créer des « boites dans la boites » afin de réduire le sentiment d’immensité. L’idée d’une cabane, d’une hutte, a alors émergé car elle entrait en résonnance avec toutes ces données. Et si ces objets en frêne donnent une impression de grande simplicité, ils sont en fait d’une extrême sophistication : de la conception analogique jusqu’au montage, tout est d’une précision millimétrique.

Coupe Hermès Rive Gauche Paris

En Europe et aux Etats-Unis, les magasins Hermès sont installés en général dans des bâtiments historiques de centre-ville. En Asie, davantage dans des malls. Quelles sont les particularités de ce dernier cas de figure ?

Les marques qui signent des baux dans les malls ont en général une liberté d’expression totale. Il n’y a donc pas de règles d’aménagement spécifiques à ce type de bâtiments. Dans les malls, néanmoins, et surtout en Chine, les devantures de magasins affichent des dimensions énormes. Il nous est arrivé de concevoir des devantures de 30 mètres de haut sur 15 de large et c’est un travail complexe, car il se situe à la jonction entre l’architecture, l’image commerciale et le marketing.

En guise de contre-exemple, il faut citer le cas de la « Maison Hermès » de Shanghai située, elle, non dans un mall, mais dans une bâtisse historique.

Cette Maison Hermès reflète bien l’attitude singulière de la marque. Dans une ville comme Shanghai, archétype de la mégalopole ultramoderne, où la notion de patrimoine n’est ni très présente, ni très valorisée, la maison a pris le contrepied de cela en installant son magasin-ambassade, en effet, dans un ancien bâtiment administratif du quartier de la Concession française que nous avons totalement rénové.

De quelle manière le contexte culturel local entre en ligne de compte dans votre travail ? Car on imagine que vous n’aménagez pas de la même façon un magasin à Oslo qu’à Dubai.

C’est vrai. A Oslo, nous avons imaginé un camaïeu de bleus et de blancs qui s’inspirent des paysages qui bordent la ville, très maritime, de cette neige et de cette glace qui la recouvrent durant de longs mois d’hiver. A Dubaï, au contraire, nous avons joué sur des couleurs de terre. Il y a aussi, comme un clin d’œil à la géographie locale, une sorte de dôme, au plafond du magasin, en forme de dune renversée.

Hermès Dubaï Mall © Robert Bova

Comment avez-vous conçu la Cité des métiers Hermès de Pantin qui, elle, est bien plus qu’un projet d’architecture intérieure ?

La Cité des métiers est un vrai projet d’urbanisme. Sa construction a même nécessité la création de deux nouvelles rues. C’est un bâtiment immense, situé dans la ZAC de Pantin, qui ne devait pas entrer en trop grande dissonance avec son environnement. D’une part car la maison Hermès porte en elle une tradition de discrétion. D’autre part par soucis d’intégration du bâtiment – sans pour autant qu’il singe l’architecture des immeubles voisins. Les façades extérieures sur rue, un peu solennelles, consistent ainsi en des murs de briques percés. Les façades intérieures, donnant sur des jardins, sont au contraire beaucoup plus ouvertes et vitrées. Quant à l’architecture intérieure, elle n’a rien de luxueux car il s’agit d’un environnement de travail [c’est ici, entre autre, qu’Hermès a rassemblé ses ateliers de production] Nous avons donc mis l’accent sur l’ergonomie, les ambiances, les circulations, la lumière. La Cité est un bâtiment en forme d’éloge de la banalité.

Texte : Thomas Jean
Visuel à la une : Hermès Munich ©Christian Kain