La ville de Bègles
Pêle-mêle historique
Bègles apparaît au visiteur telle une mosaïque de villages urbains. La ville est constituée d’un pêle-mêle disparate, composé de zones d’activités étendues, de quartiers d’habitats populaires ou plus résidentiels, de grandes zones de nature et de petites places, de commerces de proximité… On dirait qu’il flotte ici un petit air à l’âme frondeuse, hérité des engagements politiques historiques. Bègles la rebelle ? En tout cas, Bègles a toujours marié les genres, mixé les classes sociales.
Au XIXe siècle, la ville est une bourgade essentiellement agricole où se pratiquent la culture de la vigne et le maraîchage, sur des sous-sols irrigués par les affluents de la Garonne. L’histoire de Bègles est aussi celle des sécheries de morues. Cette activité a disparu au cours du XXe siècle tout en laissant des traces dans le territoire : de grands terrains où la morue séchait autrefois à ciel ouvert ; quelques hangars et des maisons bourgeoises. Dès la seconde moitié du XIXe siècle, Bègles devient aussi la banlieue industrielle de Bordeaux qui y implante les activités dont elle ne veut plus! Pâte à papier, engrais pour le vignoble, entreprises de travaux publics, fabriques diverses… La disparition progressive de ces activités après-guerre a laissé place à de vastes friches constitutives du paysage urbain depuis les années 1970.
Le patrimoine architectural moderne
L’un des charmes du patrimoine béglais réside dans son côté hétéroclite issu de son histoire ouvrière. L’un des bâtiments publics les plus intéressants est sans doute la piscine municipale, autrefois les bains-douches, monument Art déco rénové en 2006 par Patrick Bouchain, Loïc Julienne et Nicole.
Le Delta Vert, un patrimoine naturel partagé
L’une des caractéristiques du territoire béglais est d’avoir conservé de vastes parcelles de nature qui représentent près d’un tiers de sa superficie ! C’est ce que l’on appelle aujourd’hui le Delta Vert, qui s’étend jusqu’aux rives de Garonne.
En lien avec les rives de la Garonne et au coeur des municipalités écologistes depuis plusieurs décennies, le Delta Vert incarne une spécificité́ du territoire béglais. L’architecte et urbaniste Tania Concko, qui connaît bien la ville, compare l’urbanisme à une forme d’acupuncture, avec ses zones d’intensité et de densité, entrecoupées de grandes respirations. Le point de départ a été le réaménagement du parc de Mussonville, aux 40 hectares d’espaces verts dédiés à la promenade. Le but est de laisser grandir une biodiversité qui participe au maintien de certaines espèces rares. Bègles se caractérise au fil des rues par de nombreux espaces végétalisés pour recréer des liaisons urbaines, comme dans les ensembles de logements sociaux de Thorez-Goélands ou de la cité Monmousseau. Dans ce panorama, on peut également citer la plage de Bègles, lieu de détente estival
Garonne, les enjeux des rives
Bègles possède également toute une frange sur les rives de la Garonne, plus sauvages que les quais de Bordeaux. On y trouvait autrefois des brasseries de bière et des petites guinguettes. En 1990, lors de son premier mandat, Noël Mamère constate que les habitants ne s’intéressent plus tellement à la Garonne. Celui-ci a l’idée d’une Fête du Fleuve qui devient quelques années après la Fête de la Morue, rendez-vous toujours très prisé par les Béglais et les habitants de la métropole bordelaise.
Les rives de Garonne incarnent aujourd’hui l’un des secteurs à enjeux pour Bègles. Celles-ci se positionnent dans le périmètre de l’OIN Euratlantique, opération d’aménagement d’envergure nationale qui se déploie sur Bordeaux, Bègles et Floirac, sur l’autre rive. À l’horizon 2024, ce secteur sera desservi par le pont Simone-Veil conçu par l’agence OMA Rem Koolhaas.
L’enjeu consiste aujourd’hui à préparer la reconquête de ce paysage en bord de fleuve, coupé par la rocade, elle-même appelée à devenir un boulevard urbain. Entrée sud de la métropole bordelaise, Bègles Garonne hérite de son passé composite. L’objectif est d’en faire un territoire mixte plus homogène, mieux rattaché au reste de la ville, réunissant habitat et activités économiques, tout en valorisant son horizon vers les coteaux de la rive droite.
« Notre exigence porte aussi sur l’indispensable virage de la transition énergétique, avec un bâti bien isolé et le développement de la production d’énergies renouvelables. Nous voulons également des projets insérés dans le tissu urbain, traversés par des espaces publics accessibles aux mobilités douces, véritables espaces partagés et arborés redonnant une place à la nature et à la convivialité. »
Clément Rossignol-Puech, maire de Bègles
L’amorce de nouveaux quartiers
Les ambitions
Lauréate de plusieurs prix régionaux et nationaux, la réussite de cette ORU (qui se termine désormais vingt après) repose sur les trois piliers du développement durable : le social, l’économique et l’écologique, auxquels on peut ajouter la dimension participative dont elle a fait l’objet, et qui à l’époque n’était pas si fréquente.
La mixité urbaine et sociale doit sa réussite aux partenariats solides construits avec les opérateurs du logement, bailleurs sociaux girondins et acteurs de la promotion privée qui ont su créer une offre diversifiée. Voici bien l’une des caractéristiques du projet urbain béglais : faire le pari de la qualité architecturale, urbaine et paysagère au cours de ses différentes phases.
La ville accessible
Depuis les années 2000 et le démarrage du renouvellement de Bègles, c’est aujourd’hui quasiment la moitié de son territoire qui est en transformation ! Terre Sud, Terres Neuves, Cité Numérique, Parc Newton. À travers ces trois derniers sites (Terre Sud étant principalement du logement), près de 4 000 emplois verront le jour dans les prochaines années. Bègles a construit son évolution en réfléchissant d’abord au développement économique au sein des projets urbains. Cette approche lui a permis de retrouver une attractivité, tout en restant une ville à taille humaine.
Mixité, lieux d’échanges
Ajoutons qu’à Bègles, il n’y a jamais de systématisme dans la vision urbaine ! Si la mixité des fonctions a toujours été au coeur des réflexions, celle-ci s’écrit au cas par cas, en s’appuyant sur le respect de l’existant. Par exemple, s’il est aujourd’hui quasi automatique d’avoir des commerces en pied d’immeuble, plusieurs programmes développés à Bègles ne le proposent pas. Pourquoi ? Parce que l’urbanisme a été pensé en lien avec ce qui existait déjà, à savoir des commerces de proximité sur les petites places ou le long des boulevards mitoyens avec Bordeaux : boulangerie, café, pharmacie, poissonnerie, cinéma…
Démarche durable et ambitions environnementales
Les enjeux en matière de développement durable guident les projets urbains à toutes leurs phases d’élaboration, intégrant des objectifs tels que la maîtrise des impacts environnementaux et les spécificités locales dans un souci de cohérence environnementale, économique et sociale. Aujourd’hui, les aménagements d’espaces verts composent avec l’histoire de Bègles, ville aux jardins multiples, venelles et placettes, conférant à chaque quartier sa particularité et son identité.
Vivre à Bègles
La Ruche : habiter collectivement
Il s’agit de la première opération d’habitat participatif de Gironde ! Livrée en 2016, cette résidence pilote a été initiée par Bordeaux Euratlantique, la Ville de Bègles et l’opérateur Axanis (filiale accession sociale du bailleur Aquitanis). La Ruche réunit onze logements et s’intègre à l’environnement existant. Les participants ont pu choisir l’aménagement de leur logement et définir ensemble les espaces partagés (salle polyvalente, jardin). Privilégiant le bois et les matériaux biosourcés, ce programme innovant fait le pari d’une architecture plus durable, en donnant aux habitants la possibilité d’être acteurs de leur logement, en leur transmettant des savoir-faire lors d’ateliers et une vision humaine de la ville.
Les Sécheries, écoquartier novateur
Réalisée de 2012 à 2017, la ZAC des Sécheries est aujourd’hui un écoquartier sur un site où se trouvaient autrefois des activités manufacturières. L’opération comprend 350 logements, réunit six opérateurs immobiliers, huit architectes (dont Alain Charrier pour le pilotage général) et cinq paysagistes. Cet écoquartier à taille humaine s’appuie sur une certaine densité des logements pour ménager de vastes extérieurs végétalisés.
Terre Sud, la reconquête de la ville
Avec Terres Neuves qui la précède de quelques années, Terre Sud est la deuxième opération emblématique du renouveau urbain béglais. Les premiers aménagements ont démarré en 2011 et se sont terminés en 2020 ! Cet éco-quartier se caractérise par de vastes espaces de nature : zone humide, prairie, jardins ouvriers. Terre Sud montre cette recherche d’équilibre entre bâti et extérieurs : 30 hectares sont dédiés à des espaces verts et d’agrément, 26 hectares à la réalisation de 1 600 logements. On retrouve à Terre Sud la volonté de la mairie de conserver également une mixité de populations, avec du locatif social, de l’accession sociale et de l’accession libre. Le site comprend en outre une résidence pour seniors dans un esprit intergénérationnel.
Terres Neuves : acte fondateur
Initiées dans le cadre d’une grande Opération de Renouvellement Urbain, les Terres Neuves représentent le secteur emblématique du renouveau béglais, amorcé à partir des années 2000. Les Terres Neuves, baptisées ainsi en hommage au passé morutier béglais, étaient à l’origine composées d’anciens entrepôts en béton construits par l’Armée au début du XXe siècle. L’architecte et urbaniste, Tania Concko, déjà autrice de plusieurs reconversions d’anciens sites industriels, crée un espace ouvert qui devient un lieu de vie global, reliant les bâtiments aux espaces publics, eux-mêmes reliés aux venelles voisines reprenant la morphologie en archipel du réseau urbain béglais.
L’opération des Terres Neuves, très ambitieuse, a mobilisé de nombreux architectes et urbanistes. Outre Tania Concko, on peut citer LAN architectes, les Bordelais BLP architectes, Lanoire & Courrian…
Le renouveau du quartier Thorez-Goélands
Construits dans les années 1960, les bâtiments de Thorez-Goélands forment un ensemble de 510 logements sociaux. Ce quartier populaire est intégré au début des années 2000 à l’Opération de Renouvellement Urbain qui transforme également le secteur des Terres Neuves. Ici, la première étape consistait à requalifier les espaces publics de façon à relier la résidence à son environnement. La transformation du quartier s’inscrit dans un schéma directeur plus large, intégrant les anciens terrains d’Esso, voisins. En collaboration avec l’équipe municipale, l’agence DBW compose une Traversée Urbaine Paysagère reliée à d’autres cheminements, travaillant sur les niveaux des sols et des plantations végétalisées. Aujourd’hui terminée, cette Traversée Urbaine Paysagère a été suivie de la requalification des logements qui se termine en 2022.
Le quartier Monmousseau, Cité-jardin
De 1990 à 2000, le quartier Monmousseau a connu une profonde requalification avec les mêmes objectifs que ceux du nord-est de Bègles (où se trouvent les Terres Neuves). Dans ce Quartier Prioritaire de la Politique de la Ville, la rénovation urbaine et architecturale s’est accompagnée d’une mixité de l’offre, selon la règle de trois tiers : 1/3 de locatif social, 1/3 en accession sociale et 1/3 en accession libre. À cette volonté de la municipalité correspondent des programmes architecturaux combinant du collectif, de la maison de ville et des échoppes.
Bègles et Bordeaux Euratlantique
L’Opération d’intérêt national (OIN) Bordeaux Euratlantique se déploie sur trois communes : Bordeaux, Bègles et Floirac. C’est une des opérations d’aménagement les plus importantes actuellement menées en France, avec une superficie de 738 hectares (soit l’équivalent d’une ville comme Arcachon). À l’image de Lille ou de Lyon, cette opération a été structurée autour de l’arrivée de la LGV7 en 2017, qui place Bordeaux à deux heures de Paris. Au total, une vingtaine de quartiers ou de territoires seront transformés sur ces trois communes d’ici 2030. Bordeaux Euratlantique incarne les enjeux de la ville du XXIe siècle, mixte, résiliente, combinant aménagement urbain et développement économique, habitats et transports durables.
Innover à la Cité Numérique
Illustration de cette ville résiliente développée par l’OIN Bordeaux Euratlantique, la Cité Numérique est une des réalisations phares du projet urbain béglais. Dans cet ancien centre de tri édifié en 1978, le départ de la Poste a laissé vacants trois bâtiments de béton représentant une superficie de 20 000 m2. Pour la municipalité, accompagnée de la Région et de la Communauté urbaine à l’époque (aujourd’hui Bordeaux Métropole) et de l’Etablissement public d’aménagement Bordeaux Euratlantique, le projet consiste à réinvestir ces espaces pour y créer un lieu de référence dans l’industrie majeure du XXIe siècle : le numérique. L’idée vient en lien aussi avec tout un écosystème métropolitain riche en entreprises du secteur, représenté par une French Tech bordelaise très dynamique. Alexandre Chemetoff détermine la ligne générale de cette renaissance finement insérée à l’existant.
Le ferroviaire, voie(s) d’avenir
Dans son étude Bègles 2030, Tania Concko évoque un imaginaire du rail que l’on retrouve dans beaucoup de villes. Les emprises ferroviaires traversent Bègles selon un axe nord-sud, constituant un lien et une coupure, un atout et un défi à relever ! Les lignes de chemin de fer sont situées sur un axe majeur en direction du sud-est de la France (Toulouse, Marseille). De la même façon que l’arrivée du tramway a structuré le projet urbain béglais (2008) , ou la LGV celui d’Euratlantique, les transports collectifs participent au développement de la ville durable.
Le projet est de faire de Bègles faire un nouvel espace intermodal, permettant des liaisons avec les trains, le tramway, les bus, reliant un axe en direction de la gare de Bordeaux et un autre en direction du campus universitaire. Ce maillage de mobilités nouvelles deviendra un atout majeur pour le dynamisme du territoire et son développement économique.
Texte : Benoît Hermet
Photo : Juan Jerez
— retrouvez l’intégralité de la réalisation du Bègles dans Archistorm 118 daté janvier – février 2023 !