TRIBUNE LIBRE | ARCHITECTURE

DE LA PISCINE MUNICIPALE AU CENTRE AQUATIQUE
JEAN-LUC CALLIGARO ET BRUNO PALISSON
ATELIER PO&PO

C’était sur la Seine en 1785, pont de la Tournelle à Paris, que la première piscine ouvrait en France. Bien que l’idée fût de développer la pratique du sport et du jeu, elle pouvait être considérée comme la première école de nage. Cependant, il fallut attendre la fin de la Première Guerre mondiale pour qu’une vingtaine de piscines soient construites, toujours au nom des notions de sport, de jeu et de plaisir.

La première piscine pour la natation apparaît en 1924, et c’est à ce moment-là que les deux univers de la natation et du jeu se séparent du plaisir et du bien-être. Ce n’est véritablement que dans le milieu des années 1990 que ces deux mondes se retrouveront. C’est toujours dans ces Années folles que la France contradictoire construira quelques piscines, tout en considérant comme secondaire l’univers de l’eau – quand on sait, à titre d’exemple, que l’Allemagne comptait environ 1 400 bassins.

En 1958, la France ne compte qu’une soixantaine de piscines, puis environ 400 en 1965. S’ajoutent en 1968 les résultats des nageurs aux Jeux olympiques de Mexico, très décevants. Il faut apprendre à nager, aux scolaires en priorité.

Et c’est en 1969, sous le gouvernement Chaban-Delmas, que le secrétariat d’État à la Jeunesse et aux Sports met en place le plan des 1 000 piscines « municipales » sur l’ensemble du territoire. Avec une volonté d’industrialisation, ce secrétariat d’État ne retient que cinq modèles de piscines : les Caneton, Iris, Plein-Ciel, Plein-Soleil et, particulièrement, la Tournesol, née d’un concours au début des années 1970. Ce concours fut remporté par l’architecte Bernard Schoeller. La Tournesol a été construite à 183 exemplaires, sur 250 prévus.

C’est permettre la construction de modèle standard, avec des bassins de 25 mètres pourvus de quatre ou cinq lignes d’eau, sur l’ensemble du territoire. Le plan des 1 000 piscines à dominante sportive se traduira par environ 650 piscines réalisées, jusqu’au début des années 1980.

C’est aussi d’une façon générale, en France, la fin d’une époque, celle de l’État central et financeur, la fin aussi de l’État interventionniste, notamment pour le choix délibéré de piscines industrialisées. Hormis les cinq modèles, la piscine municipale de ces années-là ne doit répondre qu’à un usage : l’apprentissage de la natation.

Dorénavant, il appartient aux collectivités locales de choisir leur modèle – sportif, éducatif et/ou ludique –, et c’est bien dans les années 1990 que le centre aquatique voit le jour, par le regroupement de tous les univers de l’eau. L’eau permet des activités variées, et la natation n’est qu’une de celles qu’on peut y pratiquer. Ces nouveaux équipements peuvent proposer un bassin sportif, une pataugeoire, un bassin d’apprentissage comprenant entre autres les activités d’aquabike et d’aquagym, intègrent aussi le jeu (toboggan, pentagliss, splash pad, etc.) et le bien-être (sauna, hammam, jacuzzi, douches massantes, marbre chaud, etc.). Ils peuvent aussi comprendre des fosses à plongée et accueillir des clubs de sport. Ces centres « nouvelle génération » font en sorte que le corps soit en harmonie avec les éléments naturels que sont l’eau et la lumière. De cette nouvelle thématique privilégiée certains architectes, précurseurs dans les années 1990, font leur signature. Ces centres aquatiques se vivent à l’intérieur comme des piscines découvertes en s’installant dans le paysage. Les lumières transpercent la toiture pour se répandre généreusement depuis le sud sur les activités pédagogiques et ludiques, puis avec délicatesses et sans reflets par le nord pour les sportifs. En tous points, à partir de la halle des bassins s’installent des jeux de transparence et des générosités d’espaces. C’est offrir un bâtiment ouvert et ouvert au plus grand nombre.

Parallèlement à cela, dès les années 1960, en plein développement de la maison individuelle, la piscine s’invite au cœur de l’habitat français. On estime aujourd’hui qu’environ 80 % des maisons possèdent une piscine, tous types confondus, notamment hors-sol ou non. Ce chiffre fait de la France le deuxième pays au monde, derrière les États-Unis, à être équipé de piscines privées. Les profils bénéficiant de ce loisir correspondent majoritairement à des seniors en bonne santé et à leurs petits-enfants. Très souvent, cette nouvelle population ne sait pas nager. Ces seniors sont les nouveaux utilisateurs à considérer dans les programmes des centres aquatiques, tant pour l’apprentissage de la nage et le bien-être que pour leur caractère social (associatif) : ils viennent se retrouver dans ces nouveaux lieux.

Centre aquatique d’Objat © Antoine Heusse

Face à cette évolution, nous constatons que les centres aquatiques sont un des seuls équipements accueillant des personnes de tous les âges et de toutes les classes sociales.

Le centre aquatique est devenu un lieu fédérateur et intergénérationnel. C’est un lieu de convivialité, permettant des activités de groupe et, principalement, des loisirs en famille. C’est l’équipement sportif le plus sollicité par la demande sociale.

Tout en suivant cette évolution sociétale, le centre aquatique est aussi devenu un véritable enjeu politique. Aucune collectivité locale, même des plus reculées, ne souhaiterait se passer aujourd’hui de son centre aquatique neuf ou de sa piscine transformée. Bien évidemment soucieuses de valoriser leur territoire et de répondre à la demande des citoyens, ces collectivités ajoutent donc systématiquement à leurs objectifs la dimension architecturale. La piscine municipale technique et fonctionnelle n’est plus : le centre aquatique – son contemporain sportif, ludique et familial – intègre ces nécessaires plus-values et répond tant aux ambitions politiques et urbaines qu’à la mise en espace et en lumière de ses activités.

Sources : Fédération française de natation – Ministère de la Jeunesse et des Sports – Jean-Luc Bœuf, haut fonctionnaire spécialiste des collectivités locales – Wikipédia.

Visuel à la une Centre aquatique de Neufchâtel-en-Bray © Atelier PO&PO

Retrouvez la tribune de l’atelier Po&Po dans Archistorm daté novembre-décembre 2020