RÉALISATION

COMÉDIE
CLERMONT-FERRAND
SOUTO MOURA ARQUITECTOS ET BRUHAT & BOUCHAUDY ARCHITECTES

À partir d’une construction matricielle, l’ancienne gare routière, l’architecte portugais Eduardo Souto de Moura associé à l’agence Bruhat & Bouchaudy compose pour la Comédie de Clermont-Ferrand un ouvrage qui intègre cet héritage moderniste. Ensemble, ils développent un vocabulaire formel et matériel en résonance avec les éléments de béton existants, et déploient des spatialités au service du spectacle vivant. L’approche sensible et l’organisation fonctionnelle concrétisent pour cette Scène nationale longtemps nomade un espace à sa mesure, avec deux salles : l’une rassemblant sous une rotonde étudiée un public fidèle, l’autre, modulable pour expérimenter de nouvelles formes. L’architecture repose sur une délicate équation entre échelles humaine et urbaine, en considérant toutes les faces, suivant une écriture rigoureuse et la recherche de croisements multiples entre artistes et publics. 

L’audace du parti, l’art de la greffe

Proche du jardin Lecoq, la friche de l’ancienne gare routière construite dans les années 1960 par Valentin Vigneron, ancien collaborateur de Perret, affiche un style moderne tardif. Pour les équipes d’architectes concurrentes, il fallait donc composer avec l’existant pour y greffer les salles de spectacles et leurs services attenants. La plupart s’est cassé les dents sur cette façade minérale, singulière avec ses colonnes fuselées en béton désactivé, ses panneaux en lave émaillée colorée et ses claustras de forme triangulaire qui couronnent l’ensemble, apportant une certaine qualité de lumière dans l’ancienne salle des pas perdus où les voyageurs d’antan réservaient leurs billets avant d’accéder aux quais d’embarquement. Ces derniers, situés à l’arrière de l’édifice, offrent l’espace foncier qui a permis d’y projeter le futur théâtre.

Mais Clermont est construite sur les vestiges de sa cité antique Augustonemetum fondée au Ier siècle av. J.-C. – d’ailleurs le plateau de Gergovie, où Vercingétorix a résisté aux assauts de César avant de céder plus tard à Alésia, n’est pas très éloigné ! Des fouilles archéologiques ont révélé la présence de vestiges, notamment la découverte du pied d’une statue en bronze monumentale de la période romaine, lequel a gelé l’avancement du projet durant deux ans et demi. De fait, le cahier des charges du théâtre exigeait de préserver une ultime bande de huit mètres de largeur pour terminer les fouilles, ce qui entravait la possibilité de disposer les deux salles du futur équipement côte à côte. Les installer au même niveau permettait toutefois de régler bon nombre de problèmes de logistique, de circulations techniques, d’approvisionnement de décors, mais aussi de confort d’accès pour les spectateurs depuis l’entrée principale. La plupart des architectes concurrents ont donc superposé ces deux salles, lorsque, de façon audacieuse, l’équipe composée du maître portugais Eduardo Souto de Moura et de l’agence clermontoise Bruhat & Bouchaudy représentée par François Bouchaudy joue son va-tout en occupant cette lanière afin d’exaucer cet horizon partagé par l’ensemble du programme. L’histoire leur a donné raison, puisque finalement les recherches n’ont rien révélé de significatif en termes d’objets anciens ni d’autres parties de la mystérieuse figure antique. Et ils ont remporté le concours.

 

Bien entendu, le choix du jury ne s’est pas limité à l’intelligente stratégie de cette posture, mais il a surtout apprécié la manière dont l’équipe a su composer avec le patrimoine existant. Et pour cause. Lorsqu’il a sollicité Souto de Moura pour participer au concours, François Bouchaudy a non seulement su identifier l’habileté nécessaire avec laquelle l’architecte portugais savait composer avec le déjà-là. Il a ainsi anticipé la difficulté de faire avec l’architecture néo-moderniste en présence et les négociations formelles que cela appelle. Il fallait que cette intervention soit la plus humble possible, et leur proposition commune délaisse le devant de la scène urbaine au patrimoine pour inscrire le programme en second plan, tout en reliant les deux dans un continuum intérieur par des jeux de dialogues volumétriques. C’est donc la posture architecturale de disposer les deux salles de plain-pied qui leur permet de demeurer à une altimétrie honorable, avec seulement le volume de la grande salle qui émerge, sans grandiloquence.

« La Comédie de Clermont, unique scène nationale d’Auvergne, a été labellisée tardivement en avril 1997. Elle n’avait pas pu bénéficier immédiatement d’un lieu qui lui soit propre. Au fil de nos discussions avec les directeurs successifs de La Comédie, Jean-Pierre Jourdain puis Jean-Marc Grangier, il est apparu que le projet de rénovation de l’Opéra-Théâtre ne pourrait pas vraiment répondre aux exigences du spectacle vivant. Implanter La Comédie en centre-ville, sur le site de l’ancienne gare routière, juste à côté de la Maison de la Culture, s’est finalement imposé comme une évidence, à même de faciliter l’accès de tous à la culture. »
Olivier Bianchi, maire de Clermont-Ferrand, président de Clermont Auvergne Métropole

« C’est une architecture humaniste. Il y a de l’humilité dans cette conception. Les matériaux sont modestes, et le seul luxe, c’est finalement l’espace. Il n’y a aucun endroit où l’on se sente à l’étroit. L’enchaînement de situations spatiales permet de multiples appropriations. »
Jean-Marc Grangier, directeur de La Comédie entre 2002 et 2021

Des transitions douces, des circulations intuitives

L’édifice ne dispose pas de parvis à proprement parler. Dès lors, les architectes se saisissent de la salle des pas perdus de l’ancienne gare routière pour accueillir naturellement les publics, visiteurs et spectateurs. Cet espace de transition entre la ville et les salles est intégralement ouvert sur la rue, par de grandes baies vitrées, pour ne pas entraver l’accès au lieu. Depuis l’avenue, les passants peuvent aisément envisager les espaces intérieurs et pénétrer dans cet édifice théâtral, généralement réputé réservé à une élite éduquée. En dehors des soirées dédiées aux spectacles, le fonctionnement diurne de l’équipement facilite cette libre appropriation. Ce vaste hall relie les parties programmatiques : accueil et billetterie à main droite, restaurant à main gauche, les deux salles situées côte à côte en face, même si la grande domine dans la composition. Décoré des fresques naïves restaurées de l’artiste Jean Mosnier et coiffé d’une coupole éclairée naturellement, subtilement soulignée par un anneau de lumière, ce hall de voyageurs devient atrium de spectateurs. Le sol en granito rouge et noir originel n’a pu être conservé et il a été recouvert par un matériau local et durable, la pierre de lave extraite à Volvic. Cernant ce nouveau “plateau”, des coursives supérieures peuvent former autant de balcons sur cet espace de croisements, potentiel espace scénique. Elles distribuent à l’étage les salles de médiation.

 

Depuis la rue, le sol est continu jusqu’à la rive de la grande salle, qui se devine par le galbe de son dos. Surlignée par un éclairage zénithal, cette paroi courbe et aveugle guide naturellement vers les accès. La lisibilité des entités rend fluides les flux de publics, avec la possibilité de jouer simultanément dans les deux salles, ainsi que dans d’autres espaces que les artistes s’approprieront certainement. La signalétique n’est là que pour signifier les composantes, les circulations étant intuitives pour se rendre dans les différents lieux.

De manière logique, la partie réservée au public regarde la ville, sur le front nord, tandis que la technique est de l’autre côté, au sud, à proximité des artistes mais aussi des usagers au quotidien. Si le programme réclamait de rapprocher l’équipe administrative du public, les architectes ont préféré réunir dans un corps commun tous les utilisateurs, permanents et de passage, afin de mieux servir la création et la diffusion, grâce à un rapprochement spatial bienvenu. L’expression architecturale de ce regroupement constitue, telle une ruche, des alvéoles en béton déployées sur une façade courbe qui regarde le stade nautique récemment restructuré ainsi que ses espaces plantés. Une vaste terrasse fournit la plateforme de convivialité propice à des échanges et détentes après l’intensité liée aux événements et représentations. (…)

« La difficulté résidait dans la rencontre entre ce cercle et le rectangle de la scène. Plusieurs options étaient possibles, et là encore c’est chez Perret que nous avons trouvé la solution par les retours en contrecourbes qu’il a réalisés dans sa salle parisienne de 1913. De plus, ce dessin permettait de répondre aux besoins du scénographe pour la lumière comme pour la diffusion du son, avec l’accroche de haut-parleurs pour des concerts. »
Eduardo Souto de Moura (Souto Moura Arquitectos)

Ancienne salle des Pas-Perdus de la gare

« La Comédie est une Scène Nationale, dont la mission est notamment de diffuser des spectacles. La programmation combine des pièces de théâtre, de la danse, des concerts et d’autres arts scéniques. Il était requis d’installer un cadre de scène et les balcons en courbe élaborent l’enveloppement des spectateurs. Ces galeries sont purement techniques et participent du traitement acoustique de la salle, mais aussi, par leur éclairage, de l’atmosphère du lieu. »
François Bouchaudy (Bruhat & Bouchaudy Architectes)

Fiche technique

Maîtrise d’ouvrage : Ville de Clermont-Ferrand
Maîtrise d’œuvre : Souto Moura Arquitectos et Bruhat & Bouchaudy Architectes
Livraison : 2021
Équipe design : Pierre Fonlupt et Ricardo Prata (coordinateurs), Afonso Romana, Andrew Duff, François Fayard, Lydia Golan-Newmann, Luis Costa, José Carlos Mariano, José Maria Vieira, Rute Peixoto et Tiago Simão.
Scénographie : KANJU – Félix Lefebvre
Acoustique : KAHLE – Eckhard Kahle + Salto Ingenierie
Études techniques : EGIS + Tribu HQE (Lyon)
Budget : 21,5 M€

Texte Rafaël Magrou
Photos Mathieu Noël

Retrouvez l’article sur la Comédie, Clermont-Ferrand par Souto Moura Arquitectos et Bruhat & Bouchaudy Architectes dans Archistorm daté novembre – décembre 2021