Les héritiers du fondateur des laboratoires pharmaceutiques Hoffmann-La Roche (sup)portent depuis plusieurs décennies nombre d’initiatives tant en Camargue qu’à Arles. Inspiré et financé par Maja Hoffmann, L’Arlatan est non seulement un hôtel quatre étoiles modelé par Max Romanet, mais aussi une « œuvre globale » de l’artiste américano-cubain Jorge Pardo. Un réjouissant palimpseste patrimonial et culturel !

Il était… plusieurs fois

Docteur en biologie passionné d’ornithologie, Luc Hoffmann – le petit-fils de Fritz, le patriarche de la dynastie – achète en 1947 les 1 844 hectares du domaine camarguais de la Tour du Valat afin d’y étudier la conservation des zones humides méditerranéennes. La station biologique ouverte en 1954 devient, vingt-quatre ans plus tard, une fondation scientifique privée, tandis que plus de mille hectares sont classés en réserve naturelle volontaire. Cofondateur en 1961 de WWF International (il en sera vice-président jusqu’en 1988), il « contribue » à la naissance en 2008 de la Fondation Vincent Van Gogh Arles – projet amorcé vingt ans plus tôt par Yolande Clergue (épouse du photographe arlésien Lucien Clergue, l’un des pères des Rencontres de la photographie d’Arles) – que préside désormais sa fille Maja Hoffmann.
Cette dernière démarre sa collection d’art contemporain dans les années 1980, à l’époque où elle réalise quatre documentaires sur des artistes et collectionneurs américains. Après avoir financé plusieurs institutions et programmes tant cinématographiques qu’artistiques ou encore environnementaux et humanitaires (Human Rights Watch), elle pérennise son engagement philanthropique avec sa propre fondation, LUMA, afin de promouvoir l’art, la culture, l’environnement et les droits humains via la recherche, l’éducation et les archives. En 2007, elle invite Frank Gehry à en concevoir les locaux et espaces d’exposition à Arles, sur les anciens ateliers de la SNCF, en partie reconvertis, le reste laissant la place au parc dessiné par Bas Smets.
En 2014, elle rachète, non loin de la place du Forum, un ensemble immobilier autour d’un hôtel de tourisme (menacé de fermeture pour insalubrité) pour y développer un incroyable quatre-étoiles.

Transposant des paysages arlésiens retravaillés par Jorge Pardo, les nouveaux « lambris acoustiques » et ce luminaires sur mesure du restaurant se nourrissent de la lumière d’Arles si chère à Vincent van Gogh.

Un millefeuille patrimonial

« L’édifice se compose de l’hôtel particulier de la famille Arlatan de Beaumont et de sept maisons annexées au corps principal à différentes époques, explique l’architecte Max Romanet chargé de sa métamorphose. L’hôtel particulier a été construit au XVe siècle sur les bases d’une maison romane inscrite à l’intérieur du palais de la Trouille, peu connu, lui-même établi dans la basilique antique du iv e siècle, elle aussi assise sur des vestiges du ii e siècle. Ce passé architectural exceptionnel marque le lieu, et la superposition des vestiges de grande qualité fait de cet ensemble un exemple de monument antique habité. Les campagnes de restauration les plus récentes menées par les précédents propriétaires ont été l’occasion de mettre en scène des fragments de vestiges antiques, médiévaux et classiques. »

Deux magistrales volées balancées en béton contenues par leurs spectaculaires garde-corps ciselés au laser aux motifs des banderines (guirlandes découpées mexicaines).

L’établissement hôtelier quatre étoiles commandé devait offrir différents types d’hébergements, depuis la chambre jusqu’à la maison de ville. Regroupées autour d’espaces de séjour communs, 14 des 44 chambres ou suites permettent d’engendrer trois appartements. Disséminés dans les étages, des salons et des lieux collectifs réservent aux hôtes autant de pauses bienvenues. Il est vrai qu’à force de vouloir ouvrir les hôtels sur la ville, les clients se retrouvent souvent privés d’accès, faute de place, aux aménités d’abord conçues pour eux. S’y ajoutent ainsi une salle de sports, un bar et, dans l’un des jardins arborés, une piscine. Seul le restaurant est accessible sur réservation à la clientèle extérieure.
La mission architecturale était des plus complexes, puisqu’il fallait tout à la fois respecter tout en les valorisant dix-sept siècles de vestiges, redistribuer les volumes tout en satisfaisant aux contraintes actuelles en matière de sécurité, d’accessibilité, de techniques et de confort hôteliers, à commencer par la circulation à l’intérieur de l’hôtel particulier, tel le spectaculaire escalier en béton construit à l’extrémité de la cour d’honneur, dont les volées balancées en porte-à-faux permettent de remonter le temps en frôlant les témoins hérités de la basilique antique. « Les vestiges des galeries extérieures nous ont amenés à renouer avec une circulation par galerie autour du patio, cœur de l’hôtel particulier. Ainsi nous avons pu dégager de grands volumes pour les hébergements et les salons, et redécouvrir de belles salles gothiques et leurs plafonds peints. Les résidents vont donc retrouver la perception originelle de l’un des vestiges les plus étonnants, la charpente peinte de l’aile nord. »

L’Atelier du Sud

Fasciné par Arles, Vincent Van Gogh rêvait d’y réunir une communauté artistique que seul Paul Gauguin rejoignit… quelques mois. Les initiatives qu’y mène Maja Hoffmann semblent vouloir concrétiser son rêve. « À l’origine, je voulais réunir une série de petits hôtels dont Arles aurait été le lobby. » Après avoir racheté Le Cloître, rénové par India Mahdavi, elle recrée L’Arlatan tandis que le mythique Nord Pinus est entré en 2019 dans son giron.
La mécène aspire à faire de L’Arlatan une œuvre d’art totale. Elle en confie la « maîtrise d’œuvre » à Jorge Pardo, un artiste américain d’origine cubaine pratiquant avec autant d’allégresse la peinture et le graphisme que le design et l’architecture. Adepte du dialogue entre les formes utilitaires et contemplatives, entre l’esthétique et la fonction, entre l’art et la vie, il pourrait s’inscrire comme un héritier baroque des recherches menées en son temps par le Bauhaus autour de l’œuvre d’art totale. « Tous les enjeux qui forment cet endroit relèvent davantage de ceux d’une exposition que du design. Je me suis servi du bâtiment comme d’une sorte de parcours d’images et de peintures. Principe d’organisation le plus évident et le plus intense, les 6 000 m2 de mosaïque du sol constituent son propre paysage quand on s’y déplace. » Portes palières des habitations, cloisons (y compris acoustiques), agencement et mobilier se parent de toiles ou s’impriment de paysages arlésiens photographiés, puis retravaillés par le peintre. Ils sont certes bien présents, mais aucun n’altère la perception de ce que le passé a su transmettre aux lieux. À l’image du palimpseste architectural, le décor-installation imaginé par Jorge Pardo ajoute une nouvelle page au millefeuille des arts décoratifs dont subsistent sur place ou dans la cité tant de témoignages : mosaïques et fresques de la basilique antique et des Thermes de Constantin, plafonds peints et cimaises sculptées du palais gothique, fulgurances colorées des arts et traditions populaires d’Arles, mais aussi de la tauromachie. Mais impossible d’ignorer la lumière ayant tant inspiré Vincent Van Gogh, qui infuse à L’Arlatan !

Chaque meuble produit pour L’Arlatan est unique. Chacun d’entre eux a été produit avec un bois tropical, le guanacaste, arbre national du Costa Rica.

Maître d’ouvrage : SCI Le quartier du Sambuc
Maîtrise d’oeuvre : Agence Max Romanet, Renzo Wieder (architecte du Patrimoine), Myamo (AMO)
Artiste : Jorge Pardo
Entreprises : TANZI (gros œuvre), FOUQUE & Fils (menuiserie bois extérieures et intérieures et agencement), TONELLO-BRISENO Frères (carrelages – faïences)
Surface : 4 500 m2

Texte : Lionel Blaisse
Photos : Adrian Deweerdt, Hervé Hôte

— retrouvez l’expérience hôtelière sur Les contes d’Hoffmann à Arles, Hôtel L’Arlatan, Max Romanet architecte, Jorge Pardo artiste, dans Archistorm 119 daté mars – avril 2023 !