Le domaine de Chaumont-sur-Loire vient d’ouvrir Le Bois des Chambres, un hôtel-restaurant d’une quarantaine de lits et de 74 couverts, qui se caractérise par l’omniprésence de la nature. Un projet conceptualisé par Patrick Bouchain sur le site d’une ancienne ferme.

« Le château de Chaumont-sur-Loire n’est pas très beau », concède Patrick Bouchain, en référence à ses intérieurs remaniés au xixe siècle par la famille de Broglie. Qu’à cela ne tienne ! Chaumont, c’est surtout une multiplicité d’expériences que ne sont pas en mesure d’offrir les autres propriétés royales et aristocratiques du Val de Loire, pourtant préservées dans leur jus Renaissance, comme celles de Loches ou d’Amboise. « Patrimoine, art contemporain et jardins : il s’agit d’un monde à trois piliers », se félicite Chantal Colleu-Dumond, directrice du domaine. Le Festival international des jardins et la Saison d’art contemporain fêtent respectivement leur trentième et quinzième anniversaire en 2022. Il est désormais recommandé de se procurer un billet d’entrée de deux jours pour explorer l’ensemble du domaine, qui a accueilli plus de 500 000 visiteurs en 2019, contre 200 000 en 2006. Et sa directrice de résumer : « Les gens aiment Chaumont parce qu’il s’agit d’un lieu où tout change chaque année. »

Le restaurant en bord de mare

Confiance rendue

Ce « royaume d’expériences », transféré de l’État à la Région Centre-Val de Loire en 2007, « est autofinancé à 75 %, grâce aux boutiques, aux restaurants et à la billetterie », précise Chantal Colleu-Dumond. Afin de combler le déficit de lits sur la commune, c’est désormais un hôtel assorti d’un restaurant gastronomique et d’espaces polyvalents, qui concentre l’attention de la direction. Outre sa vocation touristique, le projet vise à offrir un lieu d’hospitalité et de rencontres aux artistes, philosophes, écologues et paysagistes. Pour quel investissement ? « Le coût total est de 10,6 millions d’euros. La moitié de cette somme provient de la Région. L’autre moitié est apportée par le domaine », est-il souligné. Car le domaine de Chaumont-sur-Loire, comme à l’accoutumée, entend gérer lui-même la nouvelle structure avec l’inventivité et la prise de risque qui prévalent depuis 30 ans : « Nous souhaitions un hôtel qui nous ressemble », à savoir « une exigence de simplicité dans l’authenticité. »

Familier des lieux (il a contribué à la création du Festival des Jardins) et grand catalyseur de projets en dehors des sentiers battus, Patrick Bouchain a naturellement trouvé sa place en tant que conseiller artistique (bénévole) de l’opération. L’architecte Loïc Julienne (atelier Construire), nourri aux méthodes singulières de son ancien associé, s’est vu confier la maîtrise d’œuvre à l’issue d’un concours d’architecture. Une profusion de compétences, comme les apprécie Bouchain, complète l’organigramme : Isabelle Allégret pour la décoration des chambres, Philippe Berthomé à la création lumière, Clarisse Béraud pour les créations florales,  mais aussi Damien Roger pour la conception du jardin, que les 18 jardiniers de Chaumont ont réalisé sous l’autorité de Bernard Chapuis. Sans surprise, le chantier a été conduit en corps d’état séparés avec des entreprises locales (à l’exception du charpentier bois), afin de favoriser l’expression des savoir-faire. « Il est essentiel de faire confiance aux entreprises. Cette confiance sera forcément rendue », juge utile de rappeler M. Bouchain.

Situé à l’extérieur de l’enceinte du château, au sud du parc contemporain des Prés du Goualoup, le projet s’inscrit dans une ancienne ferme très délabrée du domaine, dont les concepteurs ont fait restaurer la grange et l’étable du xixe siècle, afin d’y placer les moments de rencontre et les manifestations culturelles. Les 39 chambres (22 à 38 m2) sont logées dans deux bâtiments neufs, taillés comme des longères, où la palette de matières renvoie au monde agricole. Sous l’impulsion de l’ABF, « il s’agissait d’employer les matériaux que les agriculteurs utilisent eux-mêmes lorsqu’ils construisent leurs granges ou leurs étables », explique Loïc Julienne. Les façades sont ainsi revêtues de bois non raboté (lasure blanche ou noire) et bardées de plaques ondulées de fibrociment, que de « vulgaires » pièces de catalogue raccordent à la couverture. Leur structure est réalisée avec des murs à ossature bois, isolés par 40 cm de paille (confort d’été). Les refends et les planchers sont en revanche faits de panneaux de CLT, qu’il est plus rare de rencontrer dans les constructions de peu de moyens et de technicité.

La plupart des chambres disposent d’un coin salon

Intérieur-extérieur

À l’intérieur des chambres, tout s’écarte du standard international auquel nous ont trop habitués les chaînes hôtelières. Les lits de 2 x 2 m (dimension qui permet de choisir son sens de couchage) sont le plus souvent placés dans l’alcôve enveloppante d’une fenêtre. Les dénominations commerciales traduisent l’atmosphère particulière des habitations (145 à 320 € la nuit) : « chambre perchée », « chambre au jardin », « chambre haute », etc. Les plus originales d’entre elles sont les « chambres buissonnières au jardin », dont les lits sont installés dans des cabanes de bois sur pilotis, qui, entourées de végétation, sont disjointes du corps de bâtiment principal, où demeurent les toilettes et la salle de bains. « Passer par le jardin est une constante pour aller dormir, se rendre à l’accueil, au restaurant ou à une activité culturelle. Il faut s’habiller, prendre une ombrelle ou un parapluie, se préparer à la rencontre », résume Patrick Bouchain.

Le seul édifice qu’il est malaisé de rapprocher de la simplicité et de l’authenticité ailleurs revendiquée est le restaurant de 74 couverts, dont la terrasse borde l’ancienne mare aux animaux. Pour Loïc Julienne, « l’idée était de créer un évènement » qui fédère l’ensemble du projet. Compte tenu de sa géométrie complexe, la couverture est faite de chaume couronné par des iris et des sedums plantés dans l’argile (mise en œuvre traditionnelle de l’étanchéité du sommet). Flanqué d’une charpente métallique, dont les arbalétriers se composent d’arcs et de flèches, l’intérieur est dominé par la rôtissoire centrale et les couleurs vives inspirées des enluminures. Les fenêtres sont basses, à hauteur du regard en position assise, et l’intensité de l’éclairage artificiel de chaque table (luminaire sur mesure qui éclaire également le plafond) est réglée à la demande par le maître d’hôtel. Car « manger au restaurant peut aussi bien servir à traiter des affaires qu’à faire une déclaration d’amour ! 

Fiche technique :

Maîtrise d’ouvrage : Domaine de Chaumont-sur-Loire
Maîtrise d’ouvrage déléguée : 3 Vals Aménagement
Conseiller artistique : Patrick Bouchain
Architecte : Loïc Julienne (atelier Construire)
Architecte d’intérieur hôtel : Isabelle Allégret
Paysagiste : Damien Roger (agence Paludes)
Ingénierie : Cyril Macquaire (structure bois), Timothée Bind (structure béton), Yves Jacquet (charpente métallique), Éric Charrier (fluides), Nicolas Albaric (acoustique)
Économiste : Pedro Villega
Surface : 2 500 m2
Livraison : 2022

Texte : Tristan Cuisinier
Photos : Éric Sander

– retrouvez l’article Expérience hôtelière sur Bois des Chambres à Chaumont-sur-Loire par Patrick Bouchain et Loïc Julienne dans archistorm 116 daté septembre – octobre 2022