« Il ne s’agit pas uniquement d’une stratégie départementale mais d’une vision commune entre plusieurs partenaires publics et privés, à savoir soutenir un lieu présentant un projet artistique ambitieux qui, à en juger la fréquentation, répond aux attentes du public. »

Marc Houver, Directeur général du Conseil Départemental de la Moselle

Meisenthal – Cœur de verre

Meisenthal est une belle endormie, réveillée seulement par quelques rockeurs les soirs de concert, et quelques autres amateurs de boules de Noël qui y affluent lors des fêtes de fin d’année. Drôle de mélange diront certains, que celui de la fragilité d’une boule de Noël combinée aux solos stridents d’un concert de métal. Ce sont pourtant les principaux ingrédients qui font l’identité de ce village de 700 âmes aux belles maisons lorraines, qui fut autrefois un haut lieu de la fabrication verrière. Meisenthal vient de voir l’usine qui occupe son centre être radicalement transformée. Depuis la construction de la Grande Halle en 1920, le village n’a sans doute jamais connu un chantier aussi important que celui qui a permis le réaménagement des accès et des espaces communs du site verrier. Le projet d’aménagement a concrétisé de manière très organique la centralité de l’usine dans la topographie du village.

“Un vent nouveau souffle aujourd’hui sur le Site Verrier de Meisenthal. Merveilleuse machine à remonter le temps, il rend hommage à la mémoire ouvrière de son territoire en croisant son héritage technique, artistique et architectural avec des expressions créatives contemporaines »

Yann Grienenberger, Directeur du Centre International d’Art Verrier (CIAV) de Meisenthal

Chaque site reconverti l’est selon des modalités qui sont propres à son histoire, à son ancrage économique et social. Une usine, c’est tout à la fois un édifice et la communauté constituée autour d’une chaîne de production. Parfois, ce sont les locaux qui sont réaffectés, plus rarement, c’est un collectif d’hommes et de femmes qui décide de prendre part à un nouveau projet culturel. À Meisenthal, c’est ce second scénario, beaucoup plus rare, qui semble s’être produit. La séquence habituelle de fermeture, d’abandon et d’occupation sauvage par un collectif créatif présente ici une variante qui lie inexorablement le nouvel usage à l’ancien. On y souffle encore du verre et on y produit des objets d’un artisanat réputé. Si l’ancien site verrier de Meisenthal n’a pas échappé au déclin et à la cessation d’activité à la fin des années 1960, le projet qui réinvestit les lieux est dans l’esprit de ce qui y était produit.

Plan de référence

L’idée d’un continuum s’applique à l’histoire architecturale du site verrier. Loin du scénario habituel d’un avant et d’un après, le site semble pris dans une série de transformations qui s’échelonnent dans le temps, et qui relient inlassablement la période industrielle au présent. La Grande Halle verrière, construite en 1920 et restaurée en 2004, avait déjà bénéficié de l’attention qui lui permettait d’envisager sereinement son avenir en tant que salle multifonctionnelle. Les deux bâtiments plus anciens, qui abritent les ateliers du CIAV et le musée, font eux aussi partie à la fois du passé et de l’avenir du lieu. Ils ont été restaurés sans grandes altérations volumétriques. Reste enfin l’ancien atelier de gravure à l’acide, qui a subi la plus importante transformation. Les anciens murs de brique ont été conservés et recouverts d’une dalle en béton incurvée qui leur sert de toit. Ce toit se prolonge au-delà des limites du bâti pour devenir la place centrale du site. Un disque incurvé qui évoque sans pastiche l’art de courber la matière minérale, inhérent à la fabrique artisanale du verre. Ce plan se soulève autant qu’il le faut pour recouvrir l’espace de vente, sans pour autant fermer le site sur lui-même. Il redescend au niveau du sol, créant aussi les conditions pour l’ouverture effective (visuelle et circulatoire) de la place. Un sol qui devient toit pour redevenir sol et qui sert de plan de référence au projet et aux nouveaux usages du site. L’accessibilité de certaines parties en forte pente renforce l’illusion d’un espace de jeu conçu pour expérimenter une spatialité courbe. Elle prend tout son sens une fois que l’on réalise qu’elle sert de plan unificateur aux différentes composantes du projet. Ce plan matérialise la centralité de la place, et sa mutation au fil des saisons et des événements festifs, de l’ancienne cour d’usine qu’elle fut au centre effectif de la vie collective du village qu’elle est aujourd’hui. Fonctionnant comme un principe unificateur, ce plan circulaire engage les administrateurs du site à le laisser fonctionner comme un espace public, indépendamment de la programmation des institutions. En tout cas, c’est ce que dit son architecture, et tout autre aménagement qui en restreindrait l’accès viendrait contredire le concept qui dicte sa forme.

“Il n’y a pas de fabrication de prestige qui s’épanouisse hors d’un écrin somptueux, et c’est précisément ce tour de force alliant modernité et histoire que sont parvenues à réaliser les agences SO – IL et FREAKS Freearchitects pour abriter non seulement le Musée du verre et du cristal, mais également le Centre international d’art verrier et le CADHAME”

Jean Rottner, Président de la Région Grand Est

« La sensible œuvre architecturale imaginée par l’agence So-il associée à l’agence Freaks, marquera indéniablement son époque. »

David Suck, Président de la CCPB

L’intervention des architectes ne se limite pas à ce cercle unitaire en béton qui consiste en une place. Si elle prend soin de s’inscrire dans l’existant, leur intervention s’avère capable de révéler des qualités intrinsèques des bâtiments. Il en va ainsi des combles du musée, dont la charpente en carène a été mise en valeur par un travail de restauration et par l’adjonction d’ouvertures qui s’inscrivent dans la géométrie de la charpente. L’entrée du musée se fait par la cave voûtée, qui abrite le tout premier four du site verrier. Le visiteur accède aux combles puis poursuit la visite en descendant d’un niveau. La restauration combine la mise en valeur des caractéristiques architecturales de la structure, avec une rationalisation des circulations. L’objectif final est que le musée puisse fonctionner en harmonie avec les ateliers. Cette imbrication est matérialisée par une nouvelle passerelle qui permet de poursuivre la visite du musée dans les espaces de production. Contrairement au musée, qui a fait l’objet d’une nouvelle proposition muséographique, les ateliers ont conservé les caractéristiques d’un lieu de production. Aucun lissage ne vient effacer la réalité de ce lieu d’apprentissage et de création. Si un nouveau bâtiment a été ajouté pour augmenter les espaces dédiés aux équipes de verriers, il a lui aussi tendance à s’effacer en dupliquant la volumétrie du local abritant l’ancien générateur. L’ajout crée un binôme équilibré là où préexistaient deux corps de bâtiment de tailles différentes. L’effet obtenu n’est pas sans rappeler la dédoublement d’une halle à l’origine du FRAC de Calais, par Lacaton et Vassal en 2013. Ce mode de transformation, à la fois résolu et attentif à l’existant, se poursuit dans la grande halle, qui avait déjà fait l’objet d’une restauration pour pouvoir accueillir des concerts. Ici, comme au musée, l’entrée s’effectue par le niveau de la place, qui est l’ancien sous-sol du bâtiment. La cour circulaire en pente met au même niveau l’entrée du musée et celle de la halle. De ce foyer d’accueil enfoui, les spectateurs montent vers les espaces de concert. La scène ouvre sur deux espaces, asymétriques et qui se font face : une black box avec des sièges télescopiques pouvant accueillir entre 300 et 700 personnes, et la grande halle dont la jauge d’accueil culmine à 3 000 spectateurs. Cette disposition offre un équipement modulable, avec une capacité combinatoire démultipliée par le fait que la scène peut être entièrement démontée. Asseoir 2 000 personnes dans la grande halle, ou supprimer complètement la scène sont des options qui font de cet équipement un outil d’une grande adaptabilité. Là encore, l’accent a été mis sur l’optimisation d’une utilisation déjà existante et qui réussit au fil des ans à transformer cette commune éloignée des centres urbains en pôle culturel régional. On vient à Meisenthal en voiture, et le trajet fait partie de l’expérience musicale ou scénique recherchée.

« Nous sommes devenus un exemple pour de nombreuses collectivités qui viennent nous voir pour comprendre comment faire de la programmation de haut niveau en milieu rural.”

Pascal Klein, directeur de programmation artistique et culturelle, Association Cadhame et Halle Verrière de Meisenthal

Entretien avec Florian Idenburg, architecte et cofondateur de l’agence SO – IL, New York

Quels sont les éléments, outre la topographie, l’usage des locaux et le bâti existant, qui déterminent la conception de ce que vous avez réalisé à Meisenthal ?

Florian Idenburg : La composante « temps » était centrale dans notre réflexion, et a certainement déterminé ce qui est sorti. Et je ne fais pas référence à l’histoire récente, mais plutôt à l’histoire ancienne du lieu. La fabrication du verre était autrefois une pratique nomade. Avant l’avènement des combustibles fossiles, du charbon et plus tard du pétrole, l’énergie nécessaire à la production du verre ne pouvait provenir que du bois. Les verriers travaillaient pendant un certain temps dans des lieux où le bois et l’eau étaient abondants puis se déplaçaient lorsque le bois venait à s’épuiser. C’est pourquoi l’industrie du verre au Moyen Âge était nomade. Ces étranges familles travaillant avec le feu étaient considérées comme des alchimistes.

L’endroit a donc une longue histoire qui remonte à l’époque où les deux frères qui ont créé Meisenthal s’y sont installés. Nous voulions que notre design fasse référence à cette superposition temporelle. Nous voulions que cette superposition soit ressentie intuitivement. Le design doit être considéré comme une combinaison de ces deux concepts :la nature moulée du verre et la stratification temporelle du site. Nous avons choisi de ne pas effacer la diversité constructive que nous avons trouvée sur le site. À certains égards, nous avons conservé l’aspect bric-à-brac des choses.

Le paysage associe tout, mais si l’on y regarde de plus près, il y a une sorte de sous-base qui relie tout, puis une sorte de couche supérieure qui fait de même.

Il ne s’agit donc pas d’une disposition de connexion unique, mais plutôt de deux plans superposés. C’est une disposition multiple.

Ilias Papageorgiou, ancien architecte associé de l’agence SO – IL, architecte fondateur de l’agence PILA

Que voulais-tu faire à Meisenthal ?

Ilias Papageorgiou : En 2014, lorsque nous avons gagné le concours avec Freaks, j’étais le partenaire SO – IL en charge du projet. Comme le commanditaire était public, les différentes phases du projet étaient assez formelles et longues. En 2019, j’ai quitté SO – IL et j’ai créé PILA à Athènes, tout en continuant à travailler sur le projet.

C’est un ancien site industriel du XIXe siècle qui accueillait, depuis les années 1980, trois institutions culturelles, le CIAV, le Cadhame et le Musée du Verre. Ce réinvestissement du site n’avait pas fait l’objet d’aménagements particuliers, à l’exception de la réhabilitation et de la mise aux normes de la grande salle en 2004. Notre objectif était à la fois de doter ces institutions d’un équipement plus adéquat, mais aussi de travailler à un aménagement qui permette à ces acteurs culturels de s’identifier.

Dans un premier temps, nous avons cherché à mettre en valeur le caractère distinct des bâtiments qui composent le site. Le premier acte de ce projet a été un relevé détaillé pour avoir une idée de l’existant. Il s’agissait de séparer ce qui avait une utilité et potentiellement un avenir, de ce qui n’en avait plus.

Comme vous pouvez l’imaginer, il s’agissait d’un ensemble hétérogène, de construction et d’intérêt variables. Compte tenu de la différence de niveau, ces constructions étaient de hauteurs différentes, à des niveaux différents. Il était assez complexe d’unifier tout cela. Notre objectif était de maintenir certaines des distinctions tout en essayant d’unifier les trois entités pour créer une identité commune.

C’est ainsi que nous avons imaginé la solution de la dalle de béton ondulée. Il s’agit d’une proposition paysagère qui relie les différentes composantes du site, en offrant un accès commun depuis la cour intérieure. À un moment donné, la dalle s’élève pour laisser place à un programme nécessaire sur le site : le bâtiment du centre d’accueil qui comprend une billetterie, une boutique, un café et une salle polyvalente.

 

Entretien avec Yves Pasquet, architecte co-fondateur de l’agence Freaks

Comment vous êtes-vous engagés sur ce projet ?

Yves Pasquet : Le concours que nous avons remporté en 2014 avec SO-IL portait sur la réhabilitation d’une friche culturelle qui fonctionnait déjà. Il s’agissait de réfléchir à une réhabilitation lourde en site occupé, capable de s’inscrire dans le binôme originel formé par le CIAV, centre d’expérimentation autour de l’art verrier, et le Cadhame, scène de musiques actuelles. C’était un écosystème très atypique de centre culturel avant-gardiste, dans un village rural de Moselle, à égale distance de Strasbourg et de Sarrebruck. Je me souviens de la première fois où j’ai découvert Meisenthal, au milieu de la forêt vosgienne. Il y avait une exposition d’Erwin Wurm, que je venais de découvrir à la Biennale de Venise. Le site de l’ancienne verrerie était déjà un petit miracle culturel avant notre intervention, avec une histoire particulière, un public et un rayonnement local important, vu la taille de la commune.

Le CIAV a été créé en 1992 dans cette ancienne verrerie industrielle qui avait fermé en 1969. Son objectif était de sauvegarder et de transmettre les arts du verre. L’initiative de Yann Grienenberger, qui dirige toujours le CIAV, a consisté à faire appel à d’anciens maîtres verriers pour faire revivre la partie la plus intéressante du travail qui s’effectuait à Meisenthal : l’expérimentation et l’innovation autour de l’art verrier. Un autre enjeu de la création du centre était la préservation de milliers de moules de la période de production industrielle, qui constituent indéniablement un trésor patrimonial dont l’importance est peu appréciée. Notre intervention a consisté à renforcer les trois composantes du site, le Musée du verre et du cristal, le CIAV et le Cadhame, en accentuant la centralité et l’accessibilité de la cour de l’ancienne friche culturelle afin d’en faire la place du village.

Fiche technique :

Maitrise d’ouvrage : Communauté de commune du Pays de Bitch (CCPB)
Maitrise d’œuvre :
SO-IL (architecte mandataire), Freaks (architecte associés)
PILA (Ilias Papageorgiou, ancien architecte associé de l’agence SO – IL)
Lukas Florent Architecture (architecte d’execution)
BET Scénographie : dUCKS
Economiste : VPEAS
BET TCE et HQE : M.H.Ingenierie
BET Acoustique : PEUTZ
Coodonnateur OPC : C2BI
Bureau de contrôle : Socotec
SPS : Qualiconsult
Livraison : 2021
Surface : 6 500 m² SDP
Budget : 12,5 M€

Texte : Christophe Catsaros
Photos : Iwan Baan

— retrouvez l’article Réalisation sur le Site verrier de Meisenthal SO – IL, Freaks et PILA, dans Archistorm 115 daté juillet – aout 2022