Man(n)e sacré(e)

Dans la haute Provence de Giono, à trois kilomètres à peine au sud de Forcalquier, l’ancien couvent des Minimes construit à Mane en 1613 s’est métamorphosé en Relais & Châteaux. Mené de main de maître par l’agence genevoise De Planta, son dernier « remaniement » lui restitue sa typologie d’origine tout en le dotant d’un exceptionnel spa L’Occitane de 2 500 m2.

Des racines…

Pelletiers arrivés de Langres à Aix puis Marseille à la fin du xive siècle, les Forbin y font fortune dans le commerce maritime méditerranéen. Devenus cinquante ans plus tard l’une des plus puissantes familles de marchands de la cité phocéenne, ils essaiment en Provence. Ayant acquis la seigneurie de Mane en 1588, Melchior de Forbin de Janson y bâtit un quart de siècle plus tard le couvent des Minimes, un ordre de pénitents prônant une vie de carême et d’études. Plusieurs théologiens, philosophes, mathématiciens, naturalistes, etc., sortirent de leur rang. Le plus célèbre, Louis Éconches Feuillée (1660-1732) – botaniste, explorateur, géographe et astronome –, était issu du couvent de Mane, ce qui explique qu’il ait donné son nom au nouveau restaurant gastronomique du Relais & Châteaux.

Vidé à la Révolution, l’édifice se délite irrémédiablement jusqu’à ce que le chanoine Terrasson – archiprêtre de Forcalquier – le restaure en 1862 pour y installer un hospice au sein du que les sœurs franciscaines missionnaires de Marie prennent soin des résidents et du jardin (mais un peu moins du bâti) jusqu’à sa fermeture en… 1999.

Après l’échec d’un éphémère centre de séminaires et de réceptions, la marque de cosmétiques naturels L’Occitane – basée à Manosque et passée en 1996 sous le contrôle du milliardaire autrichien Reingold Geiger – rachète en 2005, avec d’autres investisseurs, le couvent des Minimes pour le transformer en un Relais & Châteaux de 46 clés ouvert trois ans plus tard avec un spa de 700 m2. Une première rénovation intervient en 2014, coïncidant avec l’arrivée de Fabien et Valérie Piacentino à la direction.

… et du zèle

À la suite du rachat d’une parcelle en fond de vallon – ayant appartenu au couvent et portant la superficie du domaine à 8 ha –, il est décidé d’y construire 4 000 m2 comprenant un spa de 2 500 m2, un centre de séminaires et 15 suites. Le démarrage des études en 2020 coïncide avec le premier confinement ayant entraîné la fermeture de l’établissement. L’agence De Planta, chargée du projet, suggère d’en profiter pour procéder simultanément à la rénovation complète de l’existant afin d’en valoriser le potentiel à l’aune de son extension. L’idée ayant séduit la maîtrise d’ouvrage, le couvent des Minimes ne rouvre ses portes qu’en juin dernier, suivi par le spa trois mois plus tard.

Pour ce premier chantier hôtelier, il importait aux concepteurs suisses de réinventer un héritage tout en se nourrissant du paysage. Ils s’accordent avec le P.D-G du Groupe L’Occitane sur deux orientations claires : le respect des plans d’origine et l’intégration des principes de durabilité. « Pour préserver l’intégrité du lieu, il est apparu comme une évidence de rétablir dès le départ la typologie originelle en redonnant aux cellules le rôle de chambres avec vue sur le paysage environnant », commente l’architecte Anthony Micoud. Si sept suites sont construites au-dessus du spa et huit autres à l’arrière (dont une de 130 m2) dans une annexe neuve précédée de cèdres, il a été convenu de ne créer globalement que trois clés supplémentaires (49 au lieu de 46) afin que la plupart des hébergements fassent désormais 42 m2, à l’exception de la suite en duplex de 72 m2 devant investir la tour du clocher. Auparavant espace événementiel, la chapelle xviie – entièrement restaurée, vitraux xixe compris – accueille aujourd’hui la réception et son généreux lobby, les hôtes y accédant par une agréable allée arborée d’oliviers et plantée de vivaces. Un bel escalier balancé en pierre de taille dessert un niveau plus bas l’ancien cloître – couvert en 2014 d’une remarquable charpente artisanale pour abriter alors le restaurant gastronomique – ayant recouvré son déambulatoire, ses carrés de simples à ses angles et le nouveau bar-salon de thé de l’hôtel. Un étage plus bas, la salle voûtée présentant les agapes du petit-déjeuner commande les deux restaurants : La Feuillée – le gastronomique, plus intimiste, dans l’ancien lavoir – et Le Pamparigouste, dont la longiligne salle embrasse les champs de lavande en contrebas et jouit d’une belle terrasse libérée par le déplacement de la piscine extérieure.

Que ce soit dans les espaces partagés ou dans les chambres, on est immédiatement séduit, pour ne pas dire cueilli, par le minimalisme de la décoration aux allures scandinaves. Mais à bien y regarder, quasiment tout y est méridional : la pierre blonde de Verfeuil, les terres cuites de Raujolles, le mobilier en chêne clair, dont les radassiers[1], leurs assises en paille et coussins en lin, les suspensions en osier, etc.

SPA-cieuse extension

En écho aux restanques gradinant une partie du parc – chemin de croix, bassin et pesquier compris –, la nouvelle construction hébergeant le spa étage ses grandes toitures-terrasses végétalisées. Les murs en pierres d’Apt et les portiques en béton rythment subtilement le parcours aquatique et bien-être des hôtes entre zones sèche et humide, ménagent les vues sur la nature environnante ou celle des patios habilement disséminés ici et là entre circulations, plages, salles de repos, de yoga ou de fitness. La plus grande des trois piscines intérieures se projette à l’extérieur, entourée d’un élégant solarium. Une dizaine de cabines de belle taille (dont une double) abritent l’ensemble des soins dispensés à partir des produits de L’Occitane en Provence que commercialise la boutique à laquelle s’adosse l’espace bar-restauration.

Prônant les circuits courts tant en matière d’alimentation, de matériaux et d’entreprises de construction que d’énergie, 43 sondes « plongées » à 150 m de profondeur dans le parc alimentent le système de géothermie général chauffant dorénavant bâtiments et bassins, d’où son label Bâtiment Durable Méditerranéen.

Le patrimoine végétal accumulé ici pendant des siècles par les religieux a été le préalable au projet de jardins. Pas moins de 11 260 végétaux ont été plantés à l’occasion de cette rénovation globale d’exception. Un avant-goût du jardin d’Éden ?

« Pour nous, le luxe, ce n’est pas ce qui brille, c’est la simplicité des lignes et des couleurs, c’est ce qui est vrai et sobre. »
Fabien Piacentino DG

Fiche technique : 

Maître d’ouvrage : Le Couvent des Minimes
Assistance à Maîtrise d’ouvrage : Eric Fournier (PI Conseil)
Maîtrise d’oeuvre architecture : Anthony Micoud, Javier Armengol (De Planta & Associés Architectes)
Maîtrise d’oeuvre paysage : Etienne Voiriot, Philippe Convercey, Lili Guiton, Loïc Jacob, Rémi Projean (TERRITOIRES Paysagistes), Vincent Thiesson, Floriana Imperiale (ON Eclairagistes), Audrey Durand (BET Cerretti)
Entreprise générale : Aurélien Prest (Bouygues Bâtiment Sud Est)
Entreprise de paysage: Philippe Toutain (ATP), Philippe Pourrière (Nature et Paysage), Florent Pinatel, Damien Billot (BS Voirie), Mathias Rohee (Equans), Kenan et Adem Tekin (Pierre)
Surface : 8 000 m2, dont 2 500 m2 de spa
Livraison : Juillet 2023

Texte : Lionel Blaisse
Photos : Think utopia


[1] Banquette provençale à trois ou quatre places.

— retrouvez l’artcicle dans Archistorm 124 daté janvier – février 2024