Il y a des situations urbaines étranges ; des édifices précipités, au cœur de la ville. Fruits d’une modernité optimiste, caractéristique de trente années jugées « glorieuses », ils sont des traumatismes qui survivent d’une génération à l’autre. Des Halles de Paris aux Halles de Pau, un même chemin semble avoir été emprunté avec brutalité.

Dans la cité pyrénéenne, le courage d’élus fut déterminant quant à la manière de « réparer la ville ». À l’issue d’un concours de maîtrise d’œuvre, l’agence choisie – Ameller Dubois – a développé les moyens de contrer l’affront moderne, d’envisager une contemporanéité désirée.

Mieux, de faire d’une architecture un nouvel urbanisme.

Ameller Dubois à l’épreuve du concours

Un concours d’architecture est lancé en 2014 opposant six équipes françaises et étrangères. Il appelle la « rénovation » du complexe de la République, autrement dit de la tour et des deux bâtiments commerciaux que sont le hall des étaliers et le carreau des producteurs.

« Les grandes orientations du projet de rénovation des Halles Centrales de Pau sont, pour la tour, [de] conserver la vocation civique, [de] retraiter les façades, [de] rendre possible l’affectation des étages à l’usage de bureaux [et d’]accueillir des salles de réunion aux niveaux inférieurs. Pour les bâtiments commerciaux, [d’]inverser les fonctions des Halles, [d’]installer les étaliers sous l’actuel carreau des producteurs et inversement, [de] valoriser le volume commercial du carreau des producteurs avec création de mezzanines en niveau supérieur [et de] favoriser le lien entre les Halles et l’espace public » précise le document administratif. La date de remise des projets est fixée au cœur de l’été, au 8 août 2014.

Alors que rien n’indique l’enjeu urbain d’un tel projet, l’agence parisienne Ameller Dubois Architectes et urbanistes convoque des thématiques étrangères à la demande initiale. L’observation attentive de l’existant montre combien le complexe occupe l’intégralité de l’îlot, créant une césure importante en cœur de ville. Il est aussi caractérisé par des toits plats, que ce soit au-dessus du carreau des producteurs ou du hall des étaliers. Premier sujet donc : « la cinquième façade ».

L’expression a fait florès ces dernières décennies. Alors que le toit-terrasse s’est répandu comme une figure incontournable de l’architecture contemporaine, la multiplication des édicules techniques et des équipements liés, souvent, à la bonne ventilation des lieux, a fait de ces espaces l’endroit de toutes les relégations inesthétiques.

À mesure que la ville a pris de la hauteur, ces terrasses ont pu devenir visibles ; de fait, elles exigent un traitement singulier et soigné, au même titre qu’une façade. Toutefois, pour les architectes, la question ne relève pas d’un seul exercice de composition ; il s’agit d’y associer une vision complète et, pourquoi pas, d’envisager un usage. Ainsi, une grande partie du projet transforme un toit en véritable podium urbain accessible à tous. C’était là, outre les qualités architecturales de la proposition, l’idée qui a fait la différence lors du concours.

L´expérience marlychoise

L’agence, au moment du concours, travaillait à l’achèvement de la halle de marché de Marly-le-Roi. Bien que résolument différent – Philippe Ameller et Jacques Dubois prennent soin de ne jamais se répéter –, le projet trahit une méthode de travail spécifique et, déjà, la question de la cinquième façade, outre le traitement du programme commercial, s’était invitée dans la réflexion. Les architectes ont ainsi pris le parti avec leurs associés d’ouvrir le regard, d’aller au-delà des limites de parcelle. Marly-le-Roi est une commune des Yvelines, le long de la Seine, qui file à cet endroit le long de coteaux boisés. La Halle imaginée allait donc être visible depuis les hauteurs de la ville aussi, le toit ne pouvait être l’envers technique du décor ; il bénéficie donc d’un traitement singulier aussi bien dans sa géométrie expressive que dans son habillage planté. L’ensemble est couvert de végétation qui permet sa parfaite intégration au paysage.

La conception de ce projet comportait un autre enjeu : « réaliser, selon les mots de l’agence, une construction séduisante, susceptible de favoriser la vie de quartier en constituant un repère identitaire ». En outre, il fallait un plan rationnel, « adoptant une forme carrée, libérée de tout poteau intérieur ». Il y a là les grands principes des plans de Pau.

Les nouvelles Halles de Pau

Pour l’agence Ameller Dubois Architectes et urbanistes, le projet palois devait reprendre la trame d’implantation de l’ancienne construction.

En outre, la nouvelle halle à l’image du marché de Marly-le-Roi devait adopter un plan simple à la fois pour son fonctionnement et pour sa lisibilité. La structure imaginée en conséquence a été prévue en acier ; elle se compose aujourd’hui de onze poutres treillis d’une portée de 46 mètres et de 3 mètres de hauteur. L’espace est de la sorte libéré de tout poteau. Il ne souffre ainsi d’aucune scansion, d’aucune division. Les architectes y voient, au-delà de l’effet visuel, le moyen de fluidifier les parcours et de favoriser les échanges. La générosité de ce volume s’offre ainsi au regard de tous, magnifié par la lumière du jour qui peut parfaitement entrer.

À l’extérieur, le dessin présente une enveloppe unitaire, « en façade comme en toiture », autrement dit, sur ses cinq côtés, une résille métallique blanche, aux perforations déclinées selon deux densités, vient unifier l’ensemble en plus de contribuer au filtrage de la lumière.

À l’intérieur, l’agence prend le parti de « mettre en scène » trois matériaux « qui entrent en résonance pour offrir une atmosphère chaleureuse » : le traitement en verre des garde-corps, allié aux structures légères métalliques des ciels d’étals, permet de dégager les vues, tout en dialoguant avec la sous-face du plafond à claire-voie en chêne.

L’environnement se révèle séduisant pour abriter, sur deux niveaux, cinquante commerces et la nouvelle halle des étaliers. La ville de Pau, à travers cet équipement, se dote d’une véritable vitrine gastronomique régionale. Aussi, d’autres usages ont été pensés en amont, notamment des espaces de dégustation et de restauration.

Pour desservir le niveau supérieur mais aussi pour utiliser les importantes toitures-terrasses, l’agence a très tôt donné à son projet d’architecture un trait urbain. Le nouveau complexe de la place de la République a en effet été l’occasion de créer une nouvelle esplanade en belvédère. Cet espace de 3 200 m2 assure la liaison avec les différentes parties du programme en plus d’être relié à la ville par un monumental escalier. Depuis, ce promontoire est le lieu de tous les rendez-vous.

La tour qui domine l’ensemble depuis les années 1970 a été préservée pour être restructurée et accueillir les locaux de la Police Municipale, divers services de la Ville et les bureaux de plusieurs associations. Elle a fait l’objet d’un traitement architectural ambitieux visant à lui donner une image contemporaine par le traitement différencié mais complémentaire de ses deux parties.

À l’est, l’immeuble est habillé de la même vêture métallique blanche que celle de la halle mais déclinée, cette fois-ci, selon une trame horizontale ; les enveloppes se répondent ainsi aux deux extrémités du complexe.

Côté terrasse, à l’ouest, la tour est revêtue de panneaux verticaux perforés de couleur bronze déclinés sous deux types de pliages, dont les degrés des angles ont été calculés pour s’adapter aux dimensions de l’ensemble. Pour parfaire sa silhouette et, plus encore, son élancement, la structure d’origine a été rehaussée de 8 et de 4 mètres. L’exercice de transformation n’a pas été sans poser de difficultés. À l’intérieur, le noyau central de circulation a été déplacé pour créer des plateaux de bureaux libres offrant la plus grande souplesse d’usage et d’organisation.

Le dernier étage, enfin, est conçu pour accueillir des salles de réunions offrant une vue panoramique sur la ville et les Pyrénées.

Depuis son achèvement, l’adresse est devenue attractive. Elle souligne le dynamisme d’une ville, de jour comme de nuit, car l’ensemble a fait l’objet d’une savante mise en lumière de la tour, imaginée comme le 1 % artistique de l’opération. Elle est l’œuvre de François Migeon (8’18’’) qui, à cette occasion, par des traits de lumière, vient souligner pour les sublimer les lignes de la tour.

Les architectes font ainsi, à Pau, la plus délicate démonstration, sans dogme ni religion, que la pire des situations peut constituer le terreau fertile d’un projet d’exception.

« Ici, on ne vient pas faire ses courses. On vient aux Halles. Pour choisir, pour prendre le temps, pour déguster, pour échanger et pour se rencontrer surtout. C’est un lieu d’épanouissement et de solidarité. Un lieu qui honore les traditions locales, qui met en valeur des produits et des savoir-faire de femmes et d’hommes passionnés, autant qu’il aide à vivre et faire vivre la ville. »

François Bayrou, Maire de Pau

Extrait d’entretien de Jacques Dubois, Architecte fondateur associé, Ameller Dubois Architectes et urbanistes

Comment ce projet a-t-il débuté ?

Nous avons été retenus pour participer au concours, que nous avons remporté, il y a plus de cinq ans maintenant. Le projet, dans ce temps long, s’est étoffé. D’autres missions se sont vues ajoutées à la demande initiale, certaines ont été modifiées. Il était notamment demandé de travailler l’ensemble du complexe à partir de l’existant, mais nous nous sommes rapidement rendu compte, au vu de l’état de la structure des Halles, qu’il serait impossible de la conserver.

Pourquoi ne pas avoir « restauré » la structure d’origine ?

La structure réservait de mauvaises surprises. La Ville allait, selon nous, au-devant de problèmes, plus encore d’une dérive financière certaine.

Le projet a-t-il évolué en conséquence ?

À l’intervention prévue sur la halle s’ajoutait la transformation de la tour administrative dont le dessin était rudimentaire et inélégant. Alors qu’elle s’adresse à la ville, qu’elle signale le marché à l’horizon et donne même l’image du projet, elle devait, de fait, être l’objet de la plus grande attention. À mesure que nous avons travaillé à la conception de la halle et à la transfiguration de la tour, nous avons pris conscience que l’enjeu du projet se situait en réalité à l’articulation de ces deux éléments. Il falla certes traiter la cinquième façade mais au fil des études, l’exercice a pris un tour urbain. Plutôt que de proposer la terrasse programmée de quelques dizaines de mètres carrés, nous avons préféré penser un véritable belvédère, une grande place de 3 200 m2. Nous y avons vu le moyen de prolonger l’espace public en offrant d’autres accès, en étage, à la halle, permettant d’éviter les effets de cul-de-sac commercialement préjudiciables aux commerces en mezzanines.

Fiche technique

Projet : Complexe de la République, Pau

Maître d’ouvrage : Ville de Pau

Maîtrise d’oeuvre

Architecte :
Ameller Dubois Architectes et urbanistes
(Collaborateurs : Grégoire Seidel, Lotfi Amara, Jean-François Brecq, Telemaco Galante, Émilie Marx, Vincent Hubert)
BET TCE, économiste : Gruet Ingénierie
Conception lumière : 8’18” François Migeon
Surface : 15 500 m2
Calendrier : Début 2021

Entreprises

Déconstruction / Gros oeuvre / VRD : MAS BTP, Etchart Construction, ETC BTP

Texte : Jean-Philippe Hugron
Photos : Franck Brouillet

— retrouvez l’article Réalisation sur les Halles de Pau, dans Archistorm 115 daté juillet – aout 2022