On pourrait penser que le design et la science s’opposent. Ils partagent pourtant un point commun essentiel : améliorer notre bien-être. En fusionnant ces deux disciplines, le designer Mathieu Lehanneur repousse les limites de la création, transcendant le rationnel pour effleurer le magique. Consacré designer de l’année 2024 par Maison & Objet, il nous dévoile son projet pour la 30e édition : un habitat poétique pensé pour le monde de demain.

 

La thématique de cette édition, Tech Eden, résonne avec votre démarche créative. Comment avez-vous imaginé la scénographie ? 

Tech Eden est un oxymore qui nous invite à revenir aux sources en combinant nature et technologie. Avec le projet Outonomy, j’ai voulu proposer une vision alternative à la représentation moderne de l’homme dominant la nature. L’idée est de penser un habitat innovant et un nouveau mode de vie, construit autour d’une collaboration vertueuse entre l’humain et son environnement. Il s’agit plutôt d’une installation qui montre un projet de vie possible et pose la question implicite aux visiteurs : êtes-vous prêts ?

 Que souhaitez-vous transmettre à travers ce projet ?

Outonomy se construit sur l’idée d’indépendance et de liberté, loin du bruit et de la densité. Vers un ailleurs où chacun peut repenser sa façon de vivre et d’interagir avec son environnement. Vers un ailleurs pour inventer et se réinventer.

C’est un écosystème de vie, à la fois minimal et optimal. L’histoire de la civilisation et de l’architecture est ponctuée de tentatives, de solutions et de propositions d’un habitat isolé : l’igloo, la cabane, la hutte, la yourte. L’enjeu est d’allier nos besoins et les technologies actuelles.

Loin d’une nostalgie ou d’une tentative de revenir sur nos pas, Outonomy tente de répondre à la question : de quoi ai-je vraiment besoin ?

Sans viser une totale autarcie, le désir d’indépendance implique de penser les piliers de nos nécessités premières : l’alimentation, l’énergie, les activités, la sécurité et le confort. Outonomy se nourrit de pensées survivalistes qui émergent actuellement, de la plus douce à la plus paranoïaque. L’idée n’est pas d’emprunter la route du bunker, ni d’envisager l’apocalypse, mais de nous interroger sur la vie que nous souhaitons mener.

Les nouvelles technologies font partie de votre démarche créative. Comment les avez-vous intégrées dans Outonomy ?  

Ce projet comporte de nombreuses caractéristiques techniques et scientifiques. Nous travaillons avec des sociétés spécialisées, notamment dans les éoliennes ou les drones. Ces systèmes sont aujourd’hui opérationnels, et nous devons chercher à les intégrer et les accepter dans nos modes de vie.

La technologie m’intéresse dans sa capacité à se reconnecter à nos physiologies et nos instincts oubliés. Elle devient intéressante lorsqu’elle nous permet de retrouver notre humanité : mieux respirer, mieux dormir, mieux manger. Outonomy est un retour possible à notre caverne originelle, en veillant à y apporter le confort auquel nous ne souhaitons plus renoncer.

Comment la science et les technologies insufflent-elles de la magie dans vos créations ? 

Lorsqu’on maîtrise la part rationnelle, technique et scientifique des choses, on peut les transformer et les pousser plus loin dans l’irrationnel.

Je veux toujours que nos pièces intègrent une part d’inexplicable, qu’elles provoquent une émotion et suscitent l’émerveillement. La dimension « magique » permet de combiner un tout cohérent à partir de concepts et de connaissances multiples, qu’elles soient artistiques, technologiques ou scientifiques.

La science est l’une de mes plus grandes sources d’inspiration. Pour ce qui est des technologies, je ne crée aucune hiérarchie entre elles. Elles sont ou ont été optimales dans le contexte qui les a vues naître. J’aime convoquer des procédés ancestraux et des technologies contemporaines sur un projet, c’est une façon d’intégrer l’histoire de l’humanité dans une création.

Quel a été le défi de ce projet ? 

Dans ce temps court, le plus grand défi est d’accepter de ne pas apporter de solutions fermes et définitives. Il ne s’agit pas d’un projet clé en main, mais d’une idée à semer dans les esprits pour vérifier de quelle façon elle va se développer et nos envies ou capacités pour la faire grandir… Nous sommes donc à mi-chemin entre la fiction et le documentaire.

Cela va aussi s’exprimer par le visuel. L’installation Outonomy sera monochrome. De l’architecture aux objets, l’ensemble sera lié par une surface solaire, d’un jaune clair, radiant et vibratoire.

Texte : Louise Conesa
Visuel à la une : © Felipe Ribon

— retrouvez l’artcicle dans Archistorm 124 daté janvier – février 2024