… ou comment un architecte peut ne pas communiquer pendant 35 ans !

… À l’heure des réseaux sociaux à outrance, de la mise en récit généralisée et permanente, où le temps de l’annonce l’emporte sur le temps du projet, au temps de l’utopie technologique où l’on croit que « l’outil » peut pallier l’incompétence et le déficit de sens ; dans cette époque où il nous semble que le devoir social est moins fort que celui de communication, nous nous demandons quelle est la possibilité, voire la nécessité, d’exposer et de montrer notre travail et nos réalisations, et dans quel but ?

Il est vrai que MP-A n’a jamais « communiqué ». Personne (ou presque !) ne sait que nous avons conçu et réalisé l’Aquarium du Trocadéro[1], la Grande Épicerie, avenue Paul Doumer, avec sa magnifique façade généreusement et totalement végétalisée[2], ou gagné le concours de la réhabilitation des anciennes écuries du château de Fontainebleau[3], réhabilitées en Centre international des arts. Personne ne sait (ou presque !) que nous avons livré plus de 3 000 logements, plus de 1 500 chambres pour étudiants et quelques milliers de mètres carrés de bureaux depuis 2010… Alors, effectivement, après un cycle de 35 ans plongés dans le monde du silence, dans l’objectif de retrouver une dynamique, un œil dans le rétroviseur, un autre tourné vers les 35 prochaines années (!), nous nous questionnons sur le sens que nous voulons donner à la présentation de ce travail accompli et de celui à venir. Existe-t-il une voie intermédiaire entre le black-out et l’omniprésence gesticulatoire sur les réseaux sociaux, l’expression d’un mal-être en pleine crise existentielle ? Un architecte peut-il exister de nos jours sans avoir dans ses rangs un chargé de communication ? Et comment s’adresser aussi à nos clients et à une audience plus large, et non pas uniquement à nos pairs ? Il nous paraît évident que l’architecture contemporaine ne peut prétendre exister en tant qu’œuvre pour elle-même, mais bien comme discipline appliquée aux autres, à ceux qui la vivent, qui l’habitent, qui la regardent… C’est certainement cette voie qui doit nous guider dans notre démarche de monstration.

Les Héronnières – Château
de Fontainebleau, MPA

Quand Paul Andreu écrit, s’adressant à ses commanditaires, « ne croyez pas qu’un bâtiment puisse être seulement au service de cette abstraction momentanée que vous appelez votre image, pas plus d’ailleurs qu’au service exclusif de l’architecte qui en a la charge, ou de ceux qui bourdonnent autour de vous comme autour de tous les pouvoirs[4] », ne nous rappelle-t-il pas notre rôle et notre mission au service d’un intérêt collectif ? Ne nous invite-t-il pas à raconter une nouvelle histoire ?

Le propos, ici, n’est pas de donner des leçons sur les bonnes manières en matière de communication, mais simplement de faire part de nos questionnements sur une période où les pratiques nous interrogent à propos du sens et des messages qu’elles véhiculent… Il est vrai que l’architecture d’aujourd’hui, que l’on aime, n’est pas explicite. Cette architecture est exigeante dans sa compréhension, elle est taiseuse, discrète, voire austère. Elle nécessite explications et pédagogie. Nous ne faisons plus aujourd’hui des « canards » ou des « hangars décorés » tels que ceux décrits et théorisés par Denise Scott-Brown et Robert Venturi[5]. Nous ne produisons plus une architecture ostentatoire, voire caricaturale, sorte de traduction littérale des illustrations de Richard Scarry, même si l’on peut regretter un certain humour ou second degré… Et d’ailleurs, Denise et Robert ne sont-ils pas les inventeurs de la communication « moderne » en architecture, dans le sens où ils ont réussi la mise en récit totale de leur œuvre en qualifiant un mouvement architectural, issu de pures logiques commerciales, tout en le critiquant avec ironie et sans souci du paradoxe ? C’est cette maîtrise dans la démarche, ce masterpiece stratégique, conscient ou inconscient, qui nous convainc qu’une belle pensée communicante peut s’inscrire dans une démarche valeureuse. Si l’envie de partager et de raconter notre travail se fait alors sentir, il est essentiel de s’en donner les moyens pour qualifier notre histoire. D’autant plus que les perspectives (et tant mieux !) semblent nous mener vers encore plus de sobriété, de modestie, de simplicité, vers une forme d’arte povera de l’architecture, essentielle et intrinsèque.

Finalement, le meilleur vecteur de notre communication n’est-il pas le résultat de notre travail, le bâtiment que nous réalisons, dans sa plus simple expression, interne, réelle, brute, sans filtres, sans commentaires, sans analyse et sans « like » ? Le meilleur compliment qui puisse nous être fait sur un bâtiment n’est-il pas celui de l’habitant qui se réjouit d’y vivre ?

Aquarium du Trocadéro,
Paris, MPA

À une époque où il n’y a plus une seule vérité, mais où le doute et l’incertitude s’y substituent, l’architecture ne revêt-elle pas la forme du chemin, de la route qui s’ouvre aux futurs ? Dans cette période troublée et rude que nous vivons (pandémie, guerre, « crise » du logement, « crise » économique), n’est-ce pas le rôle primordial de l’architecte de se consacrer à son métier avec le plus de modestie, d’empathie, d’écoute et de sensibilité à l’endroit de son environnement et de son prochain ?

Texte : MPA – Christian Marina, Matthieu Lesteven
Visuel à la une : Texte : MPA – Christian Marina, Matthieu Lesteven

— retrouvez la tribune libre architecture de Christian Marine et Matthieu Lesteven de MPA dans Archistorm 115 daté juillet – aout 2022


[1] Coupe transversale du projet, annexe 1.

[2] Photo façade avenue Paul-Doumer, annexe 2.

[3] Vue du projet, annexe 3.

[4] Paul Andreu, « Faire et refaire », Alma éditions, 2021.

[5] Denise Scott-Brown, Robert Venturi, Steven Izenour, « L’Enseignement de Las Vegas », 1972, Mardaga éditions, 2008.