Quel nouveau modèle de ville proposer comme alternative à cette surdensité des grandes villes, à ce périurbain éclaté (40 % du territoire), à ce dépeuplement des campagnes et de certaines villes secondaires ?

La voiture, apparue il y a moins de cent ans, a contribué à la fragmentation des fonctions urbaines, en séparant l’habitat, les lieux de travail et les services, et à l’étalement de la ville au détriment de la campagne.

À travers les différentes époques du développement de nos sociétés, les structures de nos villes et notre rapport à la nature ont été transformés par les systèmes sociotechniques. Comme, il n’y a pas si longtemps, par les inventions suivantes :

– L’ascenseur, qui a permis de construire plus haut, des immeubles avec plus d’étages, et de modifier ainsi la densité de la ville.

– L’informatique et le téléphone mobile, qui ont changé les comportements courants, facilité la multiplicité comme la simultanéité des actions, dans un temps compressé, en faisant exploser la notion de distance effective.

– La voiture qui a permis de nous déplacer de plus en plus loin (et de plus en plus vite), contribuant à l’étalement incontrôlable de l’urbanisation. La voiture a disloqué la ville en faisant disparaître des proximités sociales et d’usage ; elle a façonné nos territoires à notre insu.

La densité des grandes villes est un modèle qui est majoritairement rejeté au profit du rêve pavillonnaire. L’étalement urbain est une double peine sociale et environnementale. Les grandes agglomérations se sont majoritairement développées au détriment d’une convivialité de vie par la dissociation des fonctions, la fragmentation sociale de l’habitat et par l’asphyxie des déplacements.

Le mode de vie périurbain est un modèle de rentabilité foncière biaisé au détriment de l’habitant. Il est savamment orchestré par des sondages fallacieux vantant des modèles de maisons standardisés et bon marché, mais loin de tout. Pour finir, ce sont les mêmes qui sont rejetés des centres-villes, pour des questions de cherté de l’habitat, qui sont dépendants de leurs voitures et qui vivent dans des passoires thermiques. Ce sont ainsi les mêmes qui subissent les premiers les contrecoups du changement climatique et de l’augmentation du prix de l’énergie.

Un cycle de développement des territoires à bout de souffle

Les outils d’aménagement comme la ZAC (zone d’aménagement concerté) ont couramment été utilisés en France, contribuant à la financiarisation et à la banalisation de l’aménagement des territoires. La ZAC est un outil d’aménagement du territoire permettant à la puissance publique « d’aménager ou de faire aménager des terrains en vue de les céder ou de les concéder à des utilisateurs publics ou privés ». C’est un modèle fatigué (macrolots, lots, alignements sur espaces publics, etc.) portant un inconvénient majeur : celui de créer des réponses uniformes au nord ou au sud de la France, d’imposer des gabarits de hauteur prédéfinis, des alignements à respecter et des cœurs d’îlot à végétaliser, de figer des répartitions de logements et de bureaux très vite inopérantes.

Mais ce qui n’aurait pas beaucoup de sens, non plus, serait de rejeter les ZAC pour tomber dans le pastiche du régionalisme : réaliser des bâtisses avec des tuiles canal et en enduit au sud, avec des briques vernissées en Bourgogne, etc.

Le pastiche du régionalisme ne serait qu’un avatar formel qui ne permettrait pas de consolider une exigence croisée et inventive entre progrès technique et économie circulaire en adéquation avec les réalités climatiques, sociales, des filières locales. L’urbanisme circulaire pourrait être à l’origine d’une nouvelle esthétique adaptée aux spécificités de chaque région. Il s’agirait avant toute intervention de considérer le ZAN comme un préalable à toute évaluation systématique des gisements bâtis et fonciers de chaque territoire. Transformation, récupération, démolition pour végétaliser ou concevoir des bâtiments réversibles, densification comme impératif pour construire la ville de demain, équitable et équilibrée.

Quelle attractivité pour nos villes de demain ?

On pourrait acter que, dorénavant, l’attractivité d’une ville ne soit pas seulement liée à sa valeur historique ou à son attractivité économique, mais à sa capacité à créer les conditions d’un équilibre entre vie privée et vie professionnelle, avec des déplacements fluides et un meilleur équilibre entre espaces minéral et végétal.

Il s’agit de retrouver un meilleur équilibre de nos modes de vie. Pour cela, il faut inverser la tendance de la fragmentation du temps qui s’est développée dans le quotidien des citoyens tout au long du xxe siècle, dans une course effrénée au rendement. Le développement ultra-efficace de la voiture et des moyens de transport aura permis d’augmenter les distances entre les activités et les lieux de résidence en dégradant l’équilibre positif qui aurait pu s’installer entre activités et temps pour soi.

Changement de paradigme de l’architecture au profit de la ville. La réversibilité

Nous n’avons plus les moyens d’imaginer l’évolution des villes et de ses usages par le classique et récurrent processus de déconstruction-reconstruction, qui pose le double problème des émissions de carbone et de la pénurie de matériaux à terme. Au regard des cycles économiques qui évoluent de plus en plus rapidement, la réversibilité des bâtiments peut offrir des alternatives environnementales et économiques susceptibles d’intégrer le temps long dans le développement de la ville. L’adaptabilité des espaces construits permet d’ajuster les évolutions des villes aux besoins de nos modes de vie. La récente pandémie en est le dernier épisode.

La réversibilité est systémique. En effet, elle permet d’intégrer des valeurs attentives à l’environnement, en avançant des paramètres qu’on considérait jusqu’à présent comme inconciliables. Elle offre une grande diversité d’aménagements adaptée et spécifique à chaque région. La réversibilité ne fait pas, en tant que telle, œuvre d’architecture, mais elle dénonce des habitudes qui ne sont plus adaptées pour offrir des champs de liberté et de création.

Au lieu du plafonnement de hauteur, nous proposons d’établir des droits à construire qui se définiraient en nombre d’étages pour accueillir une programmation ouverte, interchangeable dans le temps.

La hauteur d’étage serait toujours la même. On s’exonérerait d’une hauteur standard arrêtée aujourd’hui à 2,50 m sous dalle pour les logements, qui serait différente de celle du bureau qu’on a coutume de fixer à 3,30 m sous dalle.

Cette hauteur moyenne minimale de 3 m favorisera la conception de bâtiments hybrides, adaptables à l’évolution des usages dans la durée. Les usagers de ces espaces domestiques bénéficieraient du même droit à la lumière.

Elle est également avantageuse pour l’opérateur privé, qui voit là la possibilité de modifier la programmation en la rapprochant le plus près possible des valeurs fluctuantes du marché. La réversibilité favorise également la chronotopie urbaine, les échanges entre les différents utilisateurs et la vie 24 h/24 d’un quartier.

La réversibilité est un outil de renouvellement des standards de bureaux et de logements

Par la réversibilité, on dissocie l’acte de construire de celui d’en préciser le contenu pour retarder l’affectation des espaces construits, ces décisions, trop fluctuantes, étant assujettis à un marché immobilier volatil. Cela permet de regagner une liberté d’action pour révéler les caractéristiques cachées d’un quartier, et de découvrir la face inédite de l’architecture. L’enjeu est de casser la ligne de produits préformatés logements, bureaux, hôtels, au profit d’un support géométrique simple, poreux, solide, hybride, modifiable et confortable.

Il s’agit de cumuler les avantages et les points distinctifs de chacun des usages. Ces dispositions permettraient de faire bénéficier aux logements de plus de hauteur (qualité de l’espace), aux bureaux de plus d’espaces extérieurs (balcons ou coursives).

Ces dispositions prennent une importance majeure à l’heure où le télétravail prend de plus en plus de place dans les familles, et où la frontière entre vie professionnelle et vie privée se fait de plus en plus ténue. Enfin, grâce à la mixité et à la superposition des usages, la réversibilité remet à l’honneur la notion de service partagé et de mise en commun des moyens. On peut ainsi mutualiser l’énergie au sein d’un même immeuble ou favoriser les échanges d’énergie entre différentes parties.

Nous sommes convaincus que la réversibilité constitue l’un des outils du futur pour l’aménagement durable et qualitatif d’un quartier.

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Texte : Anne Démians
Photos : © Architectures Anne Démians

— retrouvez l’intégralité de la Tribune libre d’Anne Démians dans Archistorm 118 daté janvier – février 2023 !