Le rôle de l’architecte comme un engagement social

Le métier d’architecte est l’un des plus beaux métiers qui puisse exister pour changer le monde et son fonctionnement.

Echanger, contribuer, apporter un nouveau regard, relier le passé, le présent et l’avenir mais aussi aider à l’intégration tout un chacun dans la société sont autant de missions que l’architecture doit porter. S’il doit avoir une soif d’apprendre, une soif de la culture des autres et un besoin inextinguible de créer du lien, son art est aussi un merveilleux moyen d’établir le dialogue entre les échelles ; entre les personnes pour qui il conçoit des lieux humains, habités et vivants ; entre l’acte de création et l’intégration des contraintes ; entre aujourd’hui et demain.

Notre habitat représente l’extension de soi, de notre univers, il doit permettre de tisser du lien social dès lors les nouveaux modes de vie(s) nous obligent à des espaces polymorphes. Or, depuis cinquante ans, on observe une réduction de la qualité des logements. Leur taille ne change que dans le sens du plus petit, avec des plafonds plus bas ou des cuisines qui disparaissent au profit de salons ouverts, des chambres réduites à l’espace du lit.

La raison est simple : la création de logements est avant tout motivée par les profits immédiats qu’elle génère. Les dernières décennies ont produit des lois dont l’objectif premier est l’investissement à travers la défiscalisation par exemple, plutôt que de créer des espaces à vivre, pour tous et dans la durée.

Construire mieux doit prendre en compte en premier lieu le coût social à long terme.

L’architecte doit tenir son engagement de concevoir des logements s’intéressant aux besoins de ses habitants et s’adaptant à leur bien-être. C’est cette architecture qui est à mettre au-devant de la scène car sa qualité est inscrite dans son contexte et les enjeux de la ville de demain.

Notre métier invoque la responsabilité de contribuer au développement d’une architecture représentative de notre société mixte, évolutive et mouvante, parfois transgressive mais toujours vivante.

L’architecture comme levier de la transition environnementale

Changer la manière dont le monde fonctionne est une nécessité lorsque l’on fait le constat d’une planète à bout de souffle. Le dérèglement climatique et la chute de la biodiversité nous appellent à consommer moins, mieux, et dans la durée. Il devient alors primordial d’économiser les matières en favorisant la préservation de l’existant, la rénovation et la réhabilitation.

La Règlement environnementale 2020 (RE 2020) doit permettre de redonner la place centrale de l’architecte, comme un véritable chef d’orchestre garant de la transition écologique des bâtiments. Diminuer l’impact carbone sur le cycle de vie des bâtiments neufs, et à terme, les bâtiments existants incitent dès la conception d’un projet, à recourir plus fortement aux énergies renouvelables et aux matériaux biosourcés.

Imaginer des lieux de vie(s) qui se lisent dans leurs relations avec leur environnement immédiat encourage la recherche constante de l’innovation utile et d’une plus grande réversibilité des bâtiments. Le réemploi, l’économie des matières, l’éco-conception ou encore l’utilisation du bon matériau au bon endroit, sont une manière de proposer des espaces chronotopiques permettant d’accueillir différents usages en fonction des temporalités.

Alterner entre les échelles, l’échelle domestique, et celle la ville, du territoire, permet de proposer des solutions cohérentes à un quartier, à ses besoins, aux qualités d’usages qui permettront aux bâtiments de durer et d’avoir plusieurs vies.

Il est alors possible de créer des écosystèmes bâtis sains, impulsant par le positif et la qualité de vie qu’ils procurent, de nouveaux modes de vie(s), de vivre ensemble, en accord avec les enjeux environnementaux d’aujourd’hui.

La transition environnementale avec comme unique objectif de bas carbone ne suffira pas. Elle appelle à une architecture sincère, engagée, prenant en compte l’existant comme son devenir. La réponse écologique nous oblige aussi à replacer le beau au cœur de notre démarche.

L’architecture pensée comme un récit, une poésie pour humaniser nos espaces

L’architecture est l’art majeur.

En proposant des récits, une histoire, en suggérant l’inspiration et l’émotion, en travaillant la lumière, en sculptant les espaces, en tissant du lien avec le vivant, l’architecture fait du bien, procure des émotions, évoque le beau et la poésie.

Comme l’écrivain, l’architecte écrit et façonne une idée. La fameuse page blanche auquel fait face l’architecte lorsqu’il s’attèle à un nouveau sujet n’est qu’une illusion. Le terrain sur lequel nous construisons, les transformations que nous imaginons prennent en compte l’histoire, le contexte géopolitique, l’époque dans lequel il s’inscrit.

Corrélant volonté d’esthétisme et poésie, l’architecte ramène la petite et la grande échelle au même niveau dans la conception de projets en veillant à tisser des liens entre architecture, design et paysage dans lequel ils s’implantent. L’approche sociale et poétique prend alors autant d’importance que l’approche urbaine et environnementale grâce à des projets s’inscrivant dans une architecture durable.

Si la poésie est un acte politique, l’architecture l’est tout autant. Celle-ci doit faire preuve de poésies pour construire le monde de demain et accélérer les transitions.

L’importance de l’enseignement pour ouvrir le chemin vers le mieux

Il y a un peu plus de quarante ans, la loi du 3 janvier 1977 a déclaré l’architecture d’intérêt public.

Les architectes ont le pouvoir de changer le cours de la vie des gens, et donc, le pouvoir de faire évoluer le monde, encore faut-il leur en donner les moyens.

En 1990, les pouvoirs publics investissaient trente fois plus sur un étudiant des Mines que sur un étudiant en architecture : 600 000 francs contre 20 000 francs.

Le constat en 2022 est tout aussi alarmant : si l’envie d’être architecte est très souvent exprimée, le nombre d’architectes en France stagne depuis déjà 20 ans, alors que le nombre d’ingénieurs en sortie d’école a progressé de 30 %.

Les écoles d’architecture sont constituées aux deux tiers de femmes, elles ne sont que 30 % à être inscrites à l’Ordre des Architectes, et moins de 5% à avoir leur agence en nom propre.

Des chiffres en baisse constante, remettant en question la pluralité du métier et son adéquation aux aspirations des populations, des villes et des sociétés alors qu’il est au cœur de la vie de la cité.

Pour y remédier, il est du bon sens de créer des ponts entre les écoles et la profession afin  de  se nourrir des perspectives et expériences de chacun.

L’enseignement doit poursuivre son évolution, sans enseigner des dogmes (le tout bois après le tout béton), proposer de s’intéresser aux espaces délaissés, croiser les disciplines entre les métiers : géographe, écologue, ingénieurs, philosophes..

Et maintenant ?

Si le XXe siècle a été celui de l’industrialisation pour le plus grand nombre, le XXIe siècle est celui de la réparation. Nous devons reconquérir les espaces monofonctionnels, imaginer de nouvelles centralités, transformer le déjà-là.

Dans un monde qui évolue, dont les intérêts géopolitiques se redéfinissent, misons sur l’innovation, les savoir-faire régionaux gages de différence. Ce nouvel enseignement permettra de former les jeunes aux anciennes pratiques mais sera également le moyen de créer de nouvelles réponses aux défis de demain.

Créer du lien, tisser, coudre, réparer, réutiliser : l’apprentissage de cette nouvelle attitude doit se faire dès l’école, et devra permettre dans un court terme la naissance d’une nouvelle génération de réflexes qui embarqueront tous les acteurs – les artisans, les maîtres d’ouvrages, les entreprises ou encore les élus.

Rien ne se perd, tout se transforme.

Faisons enfin preuve de courage et transformons les meilleures volontés en action !

Texte : Maud Caubet, Architecte, Fondatrice de Maud Caubet Architectes Membre de l’Académie d’Architecture
Visuel à la une : Projet Racine : Rénovation de l’ancien siège de L’ONF, Paris 12 Maitre d’Ouvrage : Alderan Chantier en cours, livraison fin 2023 © Maud Caubet Architectes

— retrouvez la Tribune libre architecture de Maud Caubet dans Archistorm 116 daté septembre – octobre 2022