ARCHITECTURE ET MUSIQUE

Esquisse d’une promenade sonore

 

Marie-Jeanne Hoffen, artiste plasticienne et Nicolas Karmochkine, architecte, proposent une nouvelle série d’articles qui offrent une mise en perspective de la relation entre la musique et l’architecture.

L’espace musical de Dominique A suit les saisons, peu coloré, minimal, mais tellement lumineux. Son écriture sobre parle de souvenirs où des lieux réels et fantasmés s’entremêlent depuis 25 ans. Au grès de l’eau eau trouble parfois limpide souvent, son nouvel album « Toute latitude » prolonge cette traversée des courants tous horizons confondus. Dominique A nous raconte simplement son travail, entre voyages, disques et tournées. Son architecture, nous la découvrons par une trilogie évidente : composer, produire et jouer.

 

C’est par les bords qu’on entre dans son travail. Les endroits qui habitent sa musique sont des lieux de l’écho, ses paysages sont de grandes lignes ouvertes sur le ciel sur lesquels il plaque des accords de guitare, dans un glissement de vibrato mêlé de sons électroniques. Dominique A oscille entre rythmique entêtante et lyrisme. Comme un maçon bâti un mur, par strate, couche après couche, comme débarrasser pour remettre lentement. Il redessine son paysage à la façon d’une mise en scène. L’écriture d’un album est constitué de narrations qui s’enchaînent, sa réussite tient à la track list, un morceau tient le rôle de porte d’entrée, on entre, on se promène, on va de pièce en pièce. Cet album-maison a un plan de labyrinthe secret qu’on découvre si seulement nous avons « Le courage des oiseaux ».

Groenland ©Dominique Ané

Dominique Ané parle peu d’architecture, mais il retrouve les principes de Vitruve, un disque comme un édifice, tenu par une charpente et des piliers, parfois même un seul pilier. Le son est la structure et le second œuvre c’est le texte, l’harmonie mélodique termine la composition, dans un ensemble qui fait corps.

 

Son parcours musical dessine une cartographie sensible et fantasque qui traverse les continents, de Valparaiso à l’Ille-et-Vilaine. Il connaît la méthode des lieux, l’art de la mnémotechnique où il associe les mots aux souvenirs, pour n’en retenir que les méandres et s’y projeter mentalement. « Close west » joue à confondre les plaines du grand Ouest Americain avec les collines qui bordent la Vilaine.

 

À 10 ans d’écarts, « L’horizon » puis « Eléor » parcours le Groenland, le Montana, la Nouvelle-Zélande, il y chante « Oklahoma, 1932 » et « Cap farvel ». Une traversée qui prolonge ses inspirations voyageuses nourries des paysages qui l’habitent et qu’il arpente ; elle se poursuit avec deux nouveaux albums cette année, « Toute latitude » et « La fragilité ». Originaire de la Brie, à l’ombre de Provins aux remparts puissants, entre conte de fées et fantasmes de Viollet-le-Duc, il manque d’air. Il retrouvera sa respiration entre mer et fleuve, à Nantes, son second port d’attache. Nantes, allers et retours infinis, avec pour seule verticale – presque un phare – la tour de Bretagne, un point de repère pour les amoureux nantais.

« Né à Nantes, comme tout le monde », cette expression empruntée à Louis Aragon lui convient, rythmée de rencontres et de projets avec Philippe Katerine, Jeanne Balibar, Yann Tiersen, ou même le fantôme de Barbara.

 

Il n’aimait pas vivre à Bruxelles. Besoin d’eau, alors il est parti. Cherbourg lui suggèrerait « je suis une ville dont beaucoup sont partis, enfin pas tous encore mais ça se rétrécit », comme un corps abandonné par ses habitants. Il est revenu vivre à Nantes, le long du fleuve, dominé par l’ombre discrète de l’unité d’habitation de Rezé de Le Corbusier, et se retrouve apaisé dans « l’ouverture que dessine le fleuve, les bras d’eau de l’Erdre ou de la Sèvres ». Les morceaux écrivent une cartographie de rues et de maisons aux portes qui claquent et aux fenêtres ouvertes sur des horizons plus ou moins dégagés. Les expériences physiques des géographies traversées se transforment en texte, les Highlands ou « La rue des marais » littéralement mis en chanson, comme en bouteille.

 

Texte : Marie-Jeanne Hoffner et Nicolas Karmochkine

Visuel à la une : Glencoe ©Dominique Ané

 

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