TRIBUNE D’EXPERT

LA MATÉRIAUTHÈQUE RDAI

 

Comment parler d’un métier méconnu, en décrire le quotidien ? Carole Petitjean est en charge de la matériauthèque de RDAI, un métier assez récent, qui ne s’enseigne pas (encore) dans les écoles. Alors, elle se définit souvent comme une collectionneuse… Rencontre. 

Comment en arrive-t-on à gérer une matériauthèque, lieu où sont collectés des matériaux selon une vision particulière ? Sans doute par la somme de parcours atypiques, de savoirs acquis au fil des expériences et au gré des rencontres. Un métier qui existe parce que des gens en ont fait leur spécialité. Tout au long de mes études en design, ma soif d’apprendre et ma curiosité m’ont toujours guidée. Et si finalement, déjà, j’avais su que chercher allait devenir mon quotidien ? Oui, il s’agit bien de cela : chercher, être une éponge, un réservoir. Trouver aussi, parfois, ce que l’on ne cherche pas. Archiver dans un coin de sa tête des références et des solutions pour plus tard, pour un besoin futur.

J’exerce chez RDAI depuis 2010, après avoir passé deux ans chez matériO, la bibliothèque des matériaux innovants parisienne. Intégrer RDAI a été pour moi une ouverture inattendue à la culture du détail, de l’exigence et de l’élégance. Cette agence, fondée par Rena Dumas en 1972 et dirigée par Denis Montel depuis 2009, réserve depuis toujours une place privilégiée à la matière et aux savoir-faire d’exception. L’équipe d’architectes et de designers y cultive au quotidien cette sensibilité. Chaque projet permet d’aborder cette question sous des angles différents, qu’ils soient artisanaux ou envisagés à travers une approche technologique. Le vrai luxe est de pouvoir passer de matières rares et précieuses à des matériaux plus modestes, considérés comme pauvres, que l’on aime sublimer. La matériauthèque est un laboratoire qui nous permet de pousser les développements jusqu’à parfois même créer nos propres matériaux. Par sa philosophie et ses projets, RDAI offre une incroyable liberté pour traiter de la matière.

Éduquer son regard à la ligne esthétique de l’agence à laquelle nous sommes liés est essentiel car cette culture permet de créer des filtres. Sans ces filtres l’information n’est pas synthétisée. Cet angle permet aux équipes d’accéder à l’information plus pertinente possible. Il est fréquent que nous nous intéressions à un matériau qui ne s’inscrit pas directement dans notre démarche, mais ce qu’il pourrait devenir, ou la projection qu’on en fait nous incite à pousser son potentiel. Notre profession a là un rôle important à jouer, celui de soutenir les savoir-faire. Une facette fascinante de ce métier.

Le sourcing matière arrive très vite dans le projet, dès son commencement. Cette recherche se mène en complète collaboration avec l’équipe d’architectes. Ensemble nous rencontrons des entreprises, des artisans, pesons les alternatives pour atteindre le résultat attendu. L’expérimentation est au cœur du process. Nous essayons de garder une vision très large pour ne rien s’interdire, pour envisager toutes les options et s’assurer de l’impossibilité d’une piste avant de la mettre de côté.

Référencer un matériau passe d’abord par une rencontre. Apprendre de la matière signifie comprendre des techniques, artisanales comme industrielles, parler de cultures et surtout parler d’humain. Notre matériauthèque est un lieu qui regorge d’histoires où bon nombre d’échantillons sont sources d’anecdotes : comment telle initiative a permis à cette manufacture, qui risquait d’emporter dans sa chute un procédé rare et singulier, de renaître ? Ou comment tel savoir-faire traditionnel a inspiré ce développement innovant ?

Veiller en permanence. Chaque situation quotidienne est prétexte à s’inspirer, à s’imprégner et à collecter de l’information. J’envisage notre matériauthèque comme un centre de ressources, jamais figé, et sans cesse en mouvement. Elle est avant tout un lieu d’inspiration, de partage et d’énergie.

On ne peut pas parler de ce métier sans évoquer l’aspect organisationnel, essentiel. Gérer une matériauthèque signifie ranger, référencer, catégoriser, trier, archiver et réfléchir à la meilleure classification. Notre organisation est en perpétuelle évolution. Les moyens informatiques sont incontournables, ils me permettent de décharger ma mémoire et de gagner du temps. Nous avons une base de données, organe indispensable au bon fonctionnement du quotidien, place virtuelle qui fonctionne en parfaite complémentarité avec la matériauthèque physique axée sur le sensoriel.

De par ses projets développés à l’international, RDAI, a depuis toujours collecté des matières venant des quatre coins du monde. Son ouverture au-delà des frontières est sans doute la plus grande spécificité de notre matériauthèque. Les mêmes matériaux existent partout dans le monde, ce qui diffère, ce sont les chemins qu’ils parcourent, selon les artisans et leurs techniques de mise en œuvre. Cette diversité de procédés de transformation pour un même sujet est captivante. À l’heure de la mondialisation, l’enjeu est d’être capable d’identifier toutes ces spécificités, toutes ces techniques particulières qui participent à l’identité d’un projet. Je suis consciente de la chance qui m’est offerte d’évoluer dans cet univers confidentiel et d’exercer ce métier passionnant, grâce auquel chaque jour est un nouveau challenge apportant son lot de surprises, de découvertes et de belles rencontres !

Texte : Carole Petitjean, responsable matériauthèque et documentation

 

Retrouvez la tribune d’expert de RDAI au sein d’Archistorm daté janvier – février 2019