L’ultime peau

L’architecture intérieure est un art du deuxième temps. Le premier, celui du bâti, est pour nous un donné, dont nous devons mettre en valeur les forces et compenser les faiblesses, au service de la fonction. La matière est l’ultime peau qui enveloppe notre démarche, sa partie visible, celle qui est accessible, perceptible et livrée à l’appréciation de tous. Donner une profondeur, accrocher une signification et une identité à la peau du projet deviennent donc des objectifs à part entière.

Exposition

Des échantillons spectaculaires nous entourent, sur une étagère filante le long des postes de travail, comme une inspiration permanente, en attente de projet. Ils sont issus d’un long processus de maturation et de recherche, ayant pour point de départ une émotion picturale et sensorielle ; veine multicolore d’une falaise lors d’un voyage, mur patiné mis à nu en phase de curage, ou bien bâche portant l’histoire des projections qu’elle a reçues. Transposer cette unicité en processus technique fait partie de nos savoir-faire jalousement gardés.

Inspiration permanente, matériaux longuement sourcés et simplement posés sur une étagère filante. Photo © Benoit Linero

Mise en oeuvre

Mais la plupart du temps, le matériau rare ou émouvant ne s’utilise pas tel quel, il doit encore s’incarner dans son projet à travers une mise en œuvre spécifique qui permettra de le faire vibrer et de lui donner toute sa dimension. Cette mise en œuvre est parfois le fruit d’une exploration locale destinée à trouver les artisans d’art et inventer avec eux une expression spécifique, tissage de paille à Djibouti ou bien extrait de roche à Odessa.

Valorisation

La recherche de l’étonnement passe parfois aussi par la valorisation d’une matière banale voire dégradée. Nous sublimons l’asphalte, cristallisation naturelle du bitume, pour en faire le plateau d’une table basse en édition, unique par son grain et sa couleur. La banalité de la matière première MDF sera transcendée par un travail de sculpture qui, répété lame après lame, deviendra l’écriture cannelée d’une salle de réunion. L’incision régulière de la couche supérieure d’une feuille d’étain oxydé nous permet de transposer l’écriture du point de Hongrie sur une façade intérieure.

Photo © David Meignan

Recherche

Le matériau innovant est aussi le fruit d’une exigence personnelle qui consiste à toujours repousser les limites. Avec le procédé ECHO by Ana Moussinet, j’ai mis au point, avec une équipe d’artisans portugais, le principe d’un voile de chrome que l’on peut vaporiser sur tout type de support, pour mettre en valeur la vibration de sa surface, éclatement fractal d’un bois en cours de carbonisation, ou bien sablage dégradé, tout devient imaginable. Le cœur de la matière semble être mis à nu par la magie du reflet argenté.

Au-delà des usages et de la réponse technique aux besoins fonctionnels, la matière, autant que la lumière, est essentielle pour nous, elle permet de véhiculer un supplément d’âme du projet, celui qui emporte l’enthousiasme, l’élégance ultime d’un décor singulier et intemporel.

Visuel à la une : ECHO by Ana Moussinet, Un procédé innovant exposé au Salon Maison & Objet 2020. Pensé comme un voile sculpté à la Richard Serra cette pièce spectaculaire de 8m de long est habillée d’un voile chromé. L’ensemble mis en scène dans un espace de 100 m². Photo © David Meignan

— retrouvez la tribune libre matériaux du Studio Ana Moussinet Interior Design dans Archistorm 114 daté mai – juin 2022