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LE BILLET D’HUMEUR DE PAUL ARDENNE

 

L’éducation publique est un casse-tête permanent. Les programmes ? Jamais assez pensés. Le statut social de l’école ? Jamais assez  sanctuarisé ou, au contraire, bien trop sanctuarisé. Les budgets ? Jamais assez élevés. Tous les pédagogues scolaires vous le diront : la parfaite παιδεία (paideia), la pédagogie ultime et impeccablement adaptée à l’humain, n’existe pas. Que dire alors de l’abri où se dispense la  pédagogie scolaire, l’école physique, le « bâtiment-école », sinon qu’il a toutes les chances d’être inadapté.

Le « bâtiment-école », dans l’histoire de l’humanité, n’est autonome qu’à partir de l’âge classique, lorsque le concept même d’éducation scolaire s’autonomise. Fin des cours, pour notre progéniture, dans des bâtiments auxiliaires – telle annexe d’un monastère ou d’un temple, telle madrasa jouxtant une mosquée, telle partie d’une garderie philanthropique accolée à un atelier. La conception du modèle du « Collège », au xvie siècle, par les Jésuites, signe l’autonomie architecturale de l’école. Celle-ci, dorénavant, n’est plus enclavée dans la chapelle : c’est la chapelle qui se retrouve dans l’école. Cette autonomie du « bâtiment-école » est riche de significations humanistes. Elle fait de l’éducation une production à part  entière avec ses lieux à elle, son cadre de vie spécifique, sa localisation bien marquée dans la ville ou la campagne, son organisation intrinsèque n’appartenant qu’à elle, sans oublier son esthétique propre.

 

 

L’autonomie hétéronome

L’histoire de l’architecture scolaire est une des plus riches qui soient – autrement plus que celle des usines ou des bureaux, par comparaison bien chiche. La raison de cette richesse est la mission, entre toutes décisive, de l’école même. L’école, rien de moins, « produit » de l’humain, un humain éclairé, majeur, paré pour affronter les responsabilités de la vie adulte. Il faut en conséquence à cette production l’écrin le mieux adapté qui soit, un écrin dont la disposition morphologique, avec le temps, a évolué et a connu maintes métamorphoses, au gré des aléas de la théorie pédagogique.

Le bâtiment où s’abrite et s’incarne l’école autonome, en termes ontologiques, est spécifique. Oublions le Philosophe de Rembrandt  étudiant dans la solitude d’un cabinet privé. Le cabinet, cette fois, s’est ouvert à un large public, élèves, instituteurs, professeurs, personnel administratif. Il s’est dilaté et doté d’une hiérarchie d’appareil. S’anime à présent en son sein, rouages essentiels, non plus une seule entité humaine engagée dans l’étude mais deux, le maître et ses élèves. Le « bâtiment-école » est le lieu d’une extension du travail de l’esprit : de l’intime vers le partagé, de l’un vers le multiple, du pour soi vers le « pour tous ». Son but est de mettre en phase ces différentes entrées, si possible harmonieusement, et sans jamais éluder la demande politique. Car qui dit « école », dit « contrôle ». L’école libre est une vue de l’esprit. Toute éducation publique est, par le fait, idéologique, elle forme non pas tant des têtes bien pleines comme s’y adonnait naguère l’impeccable abbaye de Thélème rabelaisienne, mais à tout le moins, des esprits et des corps bien domestiqués.

 

 

L’histoire moderniste du « bâtiment-école », dense au point d’avoir fait l’objet d’encyclopédies, est tout entière réglée par une triple exigence, pas loin d’avoir été rendue universelle : hygiène, luminosité, normalisation. L’écolier est une matière qu’il s’agit de modeler, une plante qu’il faut arroser, un animal qu’il faut parquer. La modernité, sauf en ses expériences éducatives tangentes (Steiner, Montessori…), assimile volontiers l’école à la caserne, selon un modèle archaïque qu’on pense avoir été celui des Spartiates, dans l’antiquité grecque. La rationalisation de la construction (plan type, préfabrication) amplifie chez les modernes cette pulsion à homogénéiser le « bâtiment-école », si univoque d’un bout à l’autre du monde développé qu’il devient un symbole topographique et sémantique, celui de l’intégration de l’individu scolarisé au collectif, et ceci, à quelque écolier par ailleurs qu’il se destine, jeune ou moins jeune. Il n’y a guère de différence visible et d’organisation, de la sorte, entre l’école maternelle Pranard à Mulhouse, l’École de Christ Church Cathedral à Lagos (Godwin et Hopwood architectes, 1956), un collège de type Pailleron dans la France des années 1970 ou encore l’École supérieure de navigation d’Anvers (Josse et Maurice Van Kriekinge, 1931), en vrac, tous « bâtiments-école » conçus dans la lignée du Bauhaus et de ses standards. Bâtiments ouverts par de larges baies  vitrées que ceux-ci ? La lumière n’est pas seule à passer ces ouvrants généreux. L’esprit général de l’uniformisation sociopolitique, tout autant, les traverse. Hétéronomie de l’autonomie.

 

Texte : Paul Ardenne

Visuel à la une : ©Sergio Grazia

 

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