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Pour son exposition inaugurale de ses nouveaux locaux réunis à l’Ambassade, le centre culturel canadien consacre le travail de l’artiste Kent Monkman, sans concession sur les effets dévastateurs de la colonisation sur les autochtones dont il est un éminent représentant. En dialogue avec la collection de taxidermie du musée des Confluences à Lyon, son oeuvre peinte Beauty and the Beasts / La Belle et la Bête est à découvrir au 130 rue du Faubourg Sainr-Honoré dans le 8e arrondissement de Paris. 

 

Profondément ancrée dans l’histoire de la peinture, son oeuvre puise sans complexe dans un registre revival avec des accents grandiloquents, des référents mythologiques revisités et des couleurs aux contrastes presque baroques. Ce refus de l’artiste de suivre les tendances du marché et d’un éventuel bon goût estampillé par une poignée de critiques, est ici totalement assumé. Pointe même une certaine forme d’ironie à travers ces emprunts d’une autre époque, d’une « peinture qui semblait morte et qui se révèle pourtant pertinente » pour traiter de sujets d’actualité fort dérangeants. Son oeuvre n’hésite pas à dénoncer la honte de son pays face aux révélations peu glorieuses sur son histoire. La Commission de Vérité et de Réconciliation a ainsi rendu public la main mise sur les enfants et les effet dévastateurs des pensionnats sur les communautés amérindiennes.

En contrepoint de son exposition au Canada très engagée (« Shame and Prejudice. A Story of Resilience » (2017), Kent Monkman fait reposer ici son travail sur une représentation allégorique joyeuse. D’une culture à l’autre, la perception des histoires, des lectures mythologiques,, des interactions entre l’homme et les animaux (Léda et le cygne, le rapt de Ganymède) et de la sexualité sous-jacente, varie. Pour l’artiste, « la colonisation est toujours vivante aujourd’hui et on en voit la preuve en parcourant les gros titres des journaux. Les malentendus viennent du gouffre qui sépare les idées européennes de la conception du monde des peuples autochtones : notre cosmologie, nos langues, la relation à la terre, la spiritualité, la sexualité, la structure familiale, l’interprétation des traités en fait tout est différent ».

 

Dans la toile monumentale « Miss Chief’s Wet Dream » (2018), il revisite l’histoire du traité signé entre Hollandais et Iroquois en 1613 et symbolisé par une ceinture Wampum dont les eux bandes ne sont jamais amenées à se rencontrer, comme deux bâteaux voguant sur deux routes parallèles. Le tableau met en scène l’impact des deux vaisseaux dont l’un suggère le « Radeau de la Méduse » de Géricault. Mais c’est là le point de vue d’européen … Or Kent Monkman poursuit son exploration de l’art occidental en étranger. Sa « bête noire » (2014) dans l’exposition du Palais de Tokyo « Dioramas » faisait surgir d’un vaste paysage américain un homme juché sur une moto avec une coiffe de Sioux. Le tableau à l’acrylique de grand format procède de ce dispositif plébiscité par les musées notamment nord-américains pour changer l’histoire qui a été jusqu’ici racontée et rétablir une forme de vérité. La toile appelle la revanche des peuples indigènes sur les colons, la fin d’une culture totalement marginalisée.

Grâce à son alter ego Miss Chief alias Miss Chief Eagle Testickle, un personnage à l’identité trouble, Kent Monkman « évolue avec fluidité à travers l’histoire de la peinture, en citant et en s’inspirant des maîtres anciens et modernes ». Son double vient récemment d’épouser le créateur de mode Jean-Paul Gaultier accusé d’appropriation culturelle pour ses coiffes en plumes. La performance est perçue comme un pur acte de réconciliation après l’exposition contestée du Musée des Beaux Arts de Montréal. Le contrat de respect mutuel est ainsi scellé.

 

Texte : Alexandra Fau

Visuels : © Joseph Hartman

Retrouvez cet article au sein d’ArchiSTORM N°91