AIR DU TEMPS

Regards croisés sur une question clé

Jadis, quand l’art de la sculpture communiait largement avec l’architecture, intégrer à une demeure une œuvre sculpturale dont la taille variait selon la fortune des commanditaires était fréquent. Square Montsouris à Paris, Hélène Vans déroge à cette démarche ornementale en créant pour ses clients un bas-relief contemporain et furtif : La Danse du Cosmos. Deux architectes ont contribué à la réussite du projet qui habite la façade d’une maison des années 1920 signée par Marcel Zielinski.

 

Hélène Vans, des géométries vibrantes et furtives  

« Tout en revendiquant l’autonomie de son art, un sculpteur intervenant dans l’espace doit trouver un écho chez les architectes. Pour moi, partager la vie de l’architecte Michel Dayot est essentiel dans l’articulation entre sculpture et architecture », dit Hélène Vans. En association avec lui et l’agence Méristème, elle avait notamment aménagé à l’aube des années 2000, le passage du Ronceray pour la ville de Rennes, en y installant Furtivité solaire, longue sculpture séquentielle, hélas graffité depuis par les angoisses narratives d’adolescents d’aujourd’hui.

« Pour la Danse du Cosmos, Pierre Gommier, architecte du patrimoine, a joué un rôle décisif jugeant que mon travail apporterait une réponse inattendue pour créer un bas-relief sur la façade de la maison atelier édifiée par Marcel Zielinski pour lui-même et sa femme, Marie Giersezynski, artiste peintre polonaise », poursuit-elle.

Dans ce quartier qui fut un creuset pour cet architecte et des artistes modernes, La Danse du Cosmos prend pour matière vive, la lumière du Nord. « Le geste du tournoiement a primé. Faire tourner plans et cercles donne un caractère cinétique à cette œuvre qui capte les couleurs de son environnement et trouve sa part de furtivité », ajoute l’artiste. Partant du texte évangélique « entretien avec la Samaritaine », sur l’eau vive, source de de vie et d’une référence à un corps de femme allongé évoquées par le commanditaire, son travail géométrique a été orienté selon trois axes : le cercle, courant éternel de vie, la diagonale du carré comme ligne fondatrice et une composition ternaire de carrés portant trois cercles sur une diagonale.

Ce bas-relief prolonge les recherches sérielles d’Hélène Vans sur les sculptures furtives en métal tracé, plié et peint ou en acier poli miroir, matériau qu’elle associe volontiers à ses recherches sur les orientations, des équilibres, des écarts ou lorsqu’elle expérimente des sculptures de bord ou d’angles. Si son triptyque monumental Feuilles blanches pour la Justice est positionné avec une précision rigoureuse pour rompre la symétrie du parvis du palais de justice de Béthune, elle offre au contraire à certaines de ces sculptures furtives la liberté de choisir spatialement leur position. « L’art est là pour provoquer le sens établi, déranger et ébranler des espaces confortables. La limite de l’équilibre donne à la forme un caractère instable porteur d’émotions si on la longe ou la traverse. Dans le jardin de l’architecte Michel Foliasson à Clamart, Rencontres furtives, est aussi un éloge de la lenteur qui accompagne le pas du promeneur. Avec Nuit Blanche Elliptik à l’Orangerie du Domaine de Meudon, elle interpelle les voûtes et les demi-cintres dessinées par l’architecte Louis Le Vau en installant au sol douze ellipses pliées qui jouent dans les rayons solaires.

 

Furtivité solaire (2001) © HV et photo Hervé Beurel

 

Investir l’emplacement prévu par Marcel Zielinski

Évoquer l’œuvre avec Pierre Gommier nous renvoie à la source du travail de Marcel Zielinski, architecte oublié né en 1885 et formé aux deux écoles nationales des arts décoratifs puis des beaux-arts.

« C’est avec la conviction qu’au-delà d’une simple restauration, une interaction avec un artiste contemporain s’imposait que j’ai eu l’idée de solliciter Hélène Vans pour investir l’emplacement prévu dès 1925 pour un bas-relief sur le permis de construire et un croquis conservé aux archives de Paris », dit Pierre Gommier. L’actuel propriétaire, ayant confié à l’architecte la restauration de la maison, l’opération a nécessité des ragréages et des ponçages méticuleux, nombre de tests et une analyse des enduits. « Grâce à une stratigraphie, j’ai également restitué la teinte céladon vif des menuiseries et cette campagne de travaux a permis d’établir le corpus construit de Marcel Zielinski », poursuit l’architecte. « Rue Gauguet et rue Georges Braque près du parc Montsouris, on découvre plusieurs villas et ateliers d’artistes de son cru, dessinées d’un trait simple et rigoureux avec leurs verrières plein Nord. »

Au fil du temps, elles accueillirent Derain, Niklos, Hennessy, Zannon, Jallot, Manuel Boccini, Théodore Schemp, Dali, de Staël, Hartung et Hantai. Et Pierre Gommier d’ajouter : « ayant établi le thème et les variations de la maison atelier d’artiste, Zielinski avait acquis et réuni en 1925, deux lots à bâtir dans l’actuel square Montsouris pour y construire la sienne. Dotée d’un atelier de peintre et bureau d’architecte et flanquée d’une habitation bourgeoise à baies paysagères, elle n’est ni cubiste, ni puriste, mais semble inspirée avant l’heure de l’unisme polonais, avec ses jeux de masse et volumes géométriques simples et pour seule valeur décorative l’ocre de d’enduit lithogène de façade qui restitue autant l’aspect de la pierre que la surface lisse des carrosseries automobiles. »

Que l’emplacement du bas-relief soit resté vide si longtemps tient sans doute au fait qu’en réalité, Zielinski n’a guère habité cette maison revendue dès le milieu des années 1930 à la tante de l’actuel propriétaire. « À un âge très avancé, elle me l’a léguée dans un état de délabrement nécessitant d’importants travaux de viabilisation », précise ce dernier qui l’habite lui-même en famille depuis trente ans. « Nous avons fait ces travaux lourds et le ravalement avec la volonté de nous mettre au service de l’art et de cette maison en y intégrant des œuvres », ajoute-t-il. « Le bas-relief n’ayant jamais été réalisée, mon épouse et moi-même avions d’abord songé à une œuvre figurative ou expressionniste mais rien de convaincant n’émergeait. Lorsque Pierre Gommier nous a fait découvrir les sculptures d’Hélène Vans, son approche très contemporaine nous a convaincus. »

 

Texte : Christine Desmoulins
Visuel à la une : Paris in situ inifini sculpture 2012 © Hélène Vans

Découvrez l’article « Air du temps » de Christine Desmoulins au sein du numéro 96 du magazine Archistorm, daté mai – juin 2019 !