TÉMOIGNAGES D’ARCHITECTES ET DE DESIGNERS

 

Ils sont architectes ou designers. Ils ont chacun une relation privilégiée avec la matière qu’ils chérissent, exploitent, louent ou transgressent. À l’occasion des « Rendez-vous de la Matière », ils nous racontent leur matière préférée. 

Denis Montel
Directeur artistique et directeur général, 
RDAI

Museo de arte de Lima, Lima (concours sur invitation 2016) © Artefactory

Matériau de construction simple et ancestral, la brique de par son infinie variété de formats, de teintes et de finitions, offre des multitudes d’expressions architecturales. La brique évoque la masse, la solidité et à l’instar de la pierre, c’est une matière pérenne, stable et sans changement d’aspect. Ce simple parallélépipède de terre cuite est aussi une unité de mesure permettant des combinaisons géométriques complexes. La brique moulée main est une matière que nous affectionnons particulièrement pour la qualité de sa texture et la richesse de ses effets. Dans leur ensemble, les façades sur rue des bâtiments de la Cité des métiers Hermès à Pantin sont en brique moulée main. Nous avons joué avec la matière de sorte à imaginer des peaux vibrantes et versatiles en explorant les irrégularités de la brique associée à des appareillages complexes de différents nus d’alignement.

Pour le projet du Musée d’art contemporain de Lima, nous sommes allés plus loin dans la recherche de texture et de versatilité en concevant des façades en briques blanches moulées main puis « cassées main », conférant au bâtiment un caractère tellurique flottant sur trois poteaux-archés.

Récemment, nous avons réalisé la façade d’un flagship pour Hermès à Toronto en brique moulée main gris clair d’un format allongé inhabituel (60x11x4 cm) – le jeu de dimension nous permettant d’exprimer une recherche sur la «  micro-monumentalité ».

 

Constance Guisset

Designer, Constance Guisset Studio

Apollo. ©Constance Guisset Studio

Aucune matière ne peut avoir ma préférence a priori. Il existe des matières que je choisis de ne pas utiliser dans l’absolu, suivant des principes liés au respect de l’environnement. Mais la matière idéale change selon les projets. Elle doit être au service d’un objet et d’une idée. Chacune a ses avantages et ses inconvénients, ses attraits et ses difficultés. Souvent, ce sont la conception et le dessin qui suggèrent la matière. À l’inverse, c’est parfois la matière et les recherches qui guident la conception de l’objet, comme pour la lampe Apollo, par exemple. Cette matière mystérieuse est née de plusieurs accidents, en jouant avec des billes de polystyrène et du plâtre. Le rendu était surprenant : ce matériau inventé a une apparence organique, entre corail et roche lunaire. Il brouille les limites entre nature et artifice et invite à s’interroger sur ce qu’on est en train de regarder. Il a été longuement travaillé au studio pour pouvoir être moulé sans perdre son apparence aléatoire, et ainsi obtenir la lampe Apollo.

 

Joris Poggioli 

Designer, Ronjat Poggioli Intérieur(s)

Thalie, collection Primo Estate, 160 x 72 x 42 cm © Joris Poggioli

 

 

Mon choix se porte sur la pierre et particulièrement le marbre. Ayant grandi avec un oncle sculpteur et étant aujourd’hui architecte/designer, travailler le marbre massif à la façon d’une sculpture était alors naturel pour moi. L’aspect intemporel qu’une pierre peut apporter à un objet m’a également toujours fasciné. Il peut se dégager d’une pierre ou d’un marbre à la fois une grande force mais une grande douceur. Le process de travail est également intéressant, de la visite de carrière souvent vertigineuse, au choix du bloc puis du dessin.

 

 

 

 

Empreintes de mains d’enfants sur le bardage bois du Centre d’hébergement d’Ivry

Valentine Guichardaz-Versini

Architecte, Atelier Rita

C’est la qualité d’usage qui prime dans notre travail et qui dicte le choix des matières. Nous nous attachons à laisser à l’architecture sa faculté d’appropriation, à la laisser se façonner par l’usage. Nous croyons à une architecture qui porte une part de liberté de choix, une marge de manœuvre dont les matières sont les supports.

Le bois par sa faculté de réemploi, de réinvention dans le temps porte une part de cette liberté que nous affectionnons. C’est une matière vivante, qui fait écho à notre pratique car nous pensons l’architecture comme processus et jamais comme un objet sanctuaire.

 

 

Nicolas Karmochkine, Architecte

Une matière, le corps épais des limites d’un espace, elle architecture la cohérence tactile et sensible d’un édifice. Cela commence par le dessin, s’expérimente, puis se met en œuvre, en chantier. L’aluminium est de tous ces dialogues. La chimie, la production, la filière ou la découpe, la protection, la surface, les techniques définissent sa « narration matérielle » soumise à l’architecture. L’aluminium est riche, plié, structurel (merci M. Prouvé), développé, étiré, brillant, anodisé, profond, protégé, coloré et versatile jusqu’à l’ornement, l’aluminium est vivant, expression de sa vérité. Comme une construction, la matière appartient à celui qui l’habite et à celui qui la met en œuvre.

Visuel à la une : Bains d’anodisation, usine Francano © Nicolas Karmochkine

 Retrouvez cet article au sein du numéro spécial ArchiSTORM #11 !