CHRONIQUE

RUBRIQUE D’ACTUALITÉ PAR BERTRAND LEMOINE

 

Visuel à la une : Éoliennes en mer © Hans Hillewaert

 

Quel est vraiment l’objectif de la transition énergétique, qui est l’un des motifs de la grogne exprimée cet hiver par le mouvement des « gilets jaunes » ? Le gouvernement a affiché en novembre 2018 ses objectifs revus en matière de Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) pour les périodes 2019-2023 et 2024-2028. La transition énergétique telle que redéfinie vise à réduire les consommations de 30 % en 2035 par rapport à 2016 et augmenter la production d’énergies renouvelables de 70 % d’ici 2028, pour atteindre une part de 32 % en 2030. Il ne s’agit donc pas d’un objectif de réduction des émissions de CO2 mais bien de croissance des énergies renouvelables au détriment des autres sources, accentuée par la baisse attendue des consommations.

 

La France ne produit d’ailleurs que 0,9 % des émissions de CO2 dans le monde, grâce à une électricité presque totalement décarbonnée, à 72 % d’origine nucléaire, 12 % hydroélectrique, 7 % éolienne, biogaz et photovoltaïque – encore que celle-ci soit assez fortement carbonée – et seulement 9 % issue du central à charbon ou à fioul ou de turbines à gaz. Cette transition énergétique est censée de manière optimiste améliorer la compétitivité du pays en baissant ses importations de combustibles fossiles – qui s’élèvent aujourd’hui à 40 Mi€ -, augmenter le revenu des ménages grâce à une baisse de leur dépense énergétique – elle est de 2700 € en moyenne par ménage par an, soit 8% de leur budget – et enfin créer 345 000 emplois d’ici 2035.

 

Les possibilités de baisse globale des consommations s’appuient sur trois leviers. L’industrie peut optimiser ses processus pour consommer moins mais beaucoup a déjà été fait pour améliorer les technologies énergétiques. Les dépenses de chauffage du parc immobilier pourraient être sensiblement réduites par une meilleure isolation des logements, et, secondairement, par des appareils plus efficaces. Enfin la mobilité routière qui représente 35 % des consommations énergétiques peut assez difficilement être réduite en l’état de manière non-coercitive compte tenu de la demande croissante de mobilité et de la déjà forte optimisation des moteurs thermiques.

 

Mine de charbon à Hailar, en CHine © Herry Lawford

 

L’enjeu majeur de la transition énergétique est donc de substituer à des combustibles fossiles des énergies renouvelables. Il faut sortir du charbon, du gaz et du pétrole, tout en maintenant notre électricité très faiblement carbonée. L’usage du charbon est aujourd’hui marginal en France, ce qui n’est pas le cas de l’Inde (75 % de son électricité est produite avec du charbon), de la Chine (70 %), de l’Afrique du Sud (92 %), de l’Allemagne (44 %) ou de la Pologne (81 %) ou même des États-Unis (34 %). Le gaz est principalement utilisé dans le chauffage des habitations, avec une accélération récente due à des règlementations énergétiques qui lui sont paradoxalement très favorables. Enfin le pétrole est surtout consommé par les transports routiers, maritimes et aériens. Mais la multiplication des éoliennes, même en mer, et des barrages se heurtent à de vives résistances sociales. L’intégration de panneaux photovoltaïques – aujourd’hui tous importés – dans les bâtiments ou dans des fermes solaires et la mise en œuvre plus systématique de pompes à chaleur qui utilisent les calories gratuites contenues dans l’air sont les pistes les plus prometteuses, de même que les bioénergies. Enfin rappelons que la part du bois dans les ENR est actuellement de 42 % et qu’elle peut encore augmenter, alors que l’utilisation du bois pour chauffer produit plus de CO2 que celui du charbon.

 

Réduire les consommations et produire renouvelable

 

Trois conclusions peuvent être tirées de ce bref constat pour définir une politique énergétique plus ambitieuse et plus réaliste. L’isolation correcte du parc immobilier est le vecteur le plus efficace pour réduire les consommations, mais il faut qu’elle s’assortisse d’une promotion des énergies électriques, en particulier vertes, notamment grâce aux pompes à chaleur ou aux toitures photovoltaïques, pour remplacer les énergies fossiles comme le gaz ou le fioul. La règlementation thermique est complètement à revoir sur ce point. Notons aussi que les ménages précaires font moins de travaux d’amélioration thermique et pour un montant moins élevé que les ménages plus aisés. Or c’est là que se situe le gisement le plus important de travaux rentables. L’autoconsommation est aussi une possibilité attractive à condition de maitriser les technologies de stockage pour pallier à l’intermittence du soleil et du vent.

 

La mobilité routière peut elle-aussi clairement passer progressivement à l’électrique, éventuellement à l’hydrogène. Mais on a sans doute voulu aller trop vite, sans réaliser que les mesures contre l’automobile allaient avant tout à l’encontre de ceux qui vivent à la campagne et dans le périurbain, où elle est indispensable à la vie quotidienne. En six mois, on a durci les conditions du contrôle technique, rendant plus difficile et plus coûteux la possession de véhicules obsolètes, ceux qui précisément permettent aux populations les plus pauvres de disposer d’une voiture ; on a limité la vitesse à 80 km/h, mesure qui touche avant tout ceux qui roulent sur les petites routes de campagne, de plus pénalisés par la multiplication des radars ; on a augmenté par une taxe carbone additionnelle le prix du gazole, le carburant qu’utilisent les rouleurs du péri-urbain, pour qui un véhicule électrique est de toutes façons trop cher et inadapté. Le paradoxe est de voir le gilet jaune – obligatoire dans tous les véhicules depuis 2008 et sur deux-roues motorisés depuis mai 2011 sous peine d’une amende de 135 € -, devenir l’emblème d’une partie de cette France profonde qui a le sentiment d’avoir été non pas négligée mais maltraitée, en partie au moins à cause de ces mesures. La transition vers une mobilité électrique ne peut être que très progressive compte tenu de l’importance du parc de véhicules « classiques » existants et de la faiblesse du réseau de distribution électrique adapté. En réalité, tant qu’une offre de véhicules compétitifs et de stations de charge rapide n’auront pas été déployées, les contraintes imposées pour générer moins de mobilité carbonée resteront à la fois improductives et impopulaires.

 

Vue aérienne de la centrale de Civaux, France © Civaux communication

 

Enfin, en matière de production d’énergie, les investissements importants et prioritaires qu’il faut faire sur les énergies renouvelables doivent s’appuyer sur le maintien du parc nucléaire, voire sur son augmentation à moyen terme, pour continuer à disposer d’une source d’énergie efficace et décarbonnée – et donc climatiquement vertueuse – le temps de monter en puissance dans le renouvelable pour qu’à long terme – quelques dizaines d’années- on puisse se passer du nucléaire tout en étant capable de gérer l’intermittence d’une partie des énergies renouvelables. La fermeture de 14 réacteurs nucléaires (sur 54) d’ici 2035 annoncé dans la PPE ne devrait pas être en soi un objectif prioritaire. C’est bien le sevrage du gaz et du pétrole, importés à grands frais, qui doit être l’objectif numéro un, de même que la fermeture des 4 centrales au charbon existant encore en France, déjà programmée pour 2022. Car les investissements en matière d’énergie renouvelables pèseront lourds et ne pourront être que progressifs, au rythme de la compétitivité de ces nouvelles sources. Gardons les centrales nucléaires actives aussi longtemps que nous en aurons besoin pour investir dans le renouvelable, avec, à moyen voire à long terme, une disparition de ces technologies trop délicates sans doute pour être maintenues durablement, même dans un contexte de forte culture technologique comme c’est le cas de la France.

 

Découvrez l’intégralité de la chronique de Bertrand Lemoine « Transition énergétique et gilets jaunes » au sein d’archistorm daté mars- avril2019