TRIBUNE LIBRE | ARCHITECTURE D’INTÉRIEUR

LA MATÉRIAUTHÈQUE DE STUDIO KO
KARL FOURNIER, FONDATEUR DU STUDIO KO

 

LA LUMIÈRE

Un journaliste a écrit un jour à propos de notre travail que notre premier matériau était la lumière. Ça nous a surpris sur le coup, mais ça nous a plu. Et c’est sans doute vrai, car au commencement de tout projet il y a le besoin de s’imprégner d’un site. Sa géologie, sa topographie, bien sûr, mais avant tout sa lumière, son ensoleillement, les orientations possibles qu’il offre. Il nous est arrivé de refuser des projets parce que le terrain n’avait que quelques heures de soleil par jour. Pas de lever, pas de coucher possibles, et nous savions que vivre là serait dur quelle que soit l’architecture que nous serions capables de produire. Or le but est quand même, non pas de rendre les gens heureux – ce n’est pas du tout de notre ressort –, mais de créer des lieux dans lesquels des gens puissent l’être. Ce qui est déjà beaucoup. Certaines architectures existent contre leurs occupants ; on pense qu’elles rendent triste, mais elles ne sont pas toujours fautives, c’est souvent dû à la lumière ou à son absence. Après, tout le reste en découle.

Présentation des matériaux : un maître d’ouvrage, un livre, le plus souvent un artiste parfois juste une oeuvre servent d’inspiration et de guide pour le projet. Photo Emmanuel Biard © Studio KO

COLLECTE

De ces visites sur le site, nous rapportons un peu de tout. Le sol, en premier lieu : de la terre, bien sûr, ou du sable, des cailloux, bref tout ce qu’on foule du pied. Et puis, nous prélevons quelques végétaux : une branche, des feuilles, des tiges, tout ce qui nous plaît soit par la forme soit par la texture ou la couleur. Parfois pour l’odeur, aussi. De petites choses insolites, une pierre parce qu’elle est belle ou bizarre, des coquillages ; une fois, nous avons même rapporté une boîte de sardines toute rouillée, et là, au Studio, on s’est franchement foutu de nous ! Pourtant, à la fin, l’acier de la porte d’entrée de la maison vient de là. Ce n’est pas toujours aussi explicite et premier degré. Mais c’est évocateur, et ça nous nourrit tout au long du développement du projet. Tout cela est rangé soigneusement dans des boîtes de conservation, que nous ressortons aux moments-clés du projet – comme au muséum d’Histoire naturelle, mais sans les gants blancs…

La matériauthèque, tenue à jour par Guillemette avec les nouveautés, les proto dehors et tout le reste si bien rangé dans les tiroirs. Photo Emmanuel Biard © Studio KO

TENDANCE

Nous ne sommes pas du tout à la recherche du dernier matériau high-tech ou tendance (Guillemette, qui est responsable de la matériauthèque de l’agence, passe son temps à éconduire tous les représentants). Encore moins de celui qu’il faut utiliser parce qu’il vous donne bonne conscience, pour le sentiment de participer au sauvetage de la planète. Ce n’est pas que nous nous en fichions… mais nous ne sommes pas des chercheurs, nous sommes des rêveurs un peu esthètes, nous revendiquons une légèreté à un moment où tout est grave, tout est lourd de conséquences. Depuis notre premier projet, il y a vingt ans, par instinct plus que par idéologie, nous essayons au maximum de travailler avec ce qui est déjà là. Savoir-faire, matériaux. Qu’est-ce qu’on apprend du site ? La pierre quand on peut l’extraire, l’utiliser sans trop de difficultés de taille, la terre quand elle offre les qualités voulues pour construire, le bois quand il est local et de récup’. Et quand rien de tout cela n’est possible, alors nous nous en donnons à cœur joie avec le béton… le matériau le moins écologique du monde ! Ça fait la balance. Nous ne cherchons pas à plaire, à coller à l’air du temps. Quand nous construisons, nous pensons autant à la ruine que notre bâtiment deviendra dans cent ou deux cents ans qu’à la façon dont les gens vont l’occuper demain.

Mais comme, pour l’industrie, tout est question d’échelle, notre démarche est possible tant que nous construisons à échelle humaine : quand on vient nous voir pour une tour à Dubaï, nous sommes très très mal… !

Continuez l’exploration sur le compte Instagram du studio : @studioko

Visuel à la une Soigneusement conservé dans des boîtes le fruit de nos collectes sur un site. Photo Emmanuel Biard © Studio KO

Retrouvez la tribune libre de Studio KO par Karl Fournier, fondateur du studio KO dans le numéro daté novembre – décembre 2020 d’Archistorm