Ville et vivants :
apprendre à regarder les oiseaux 
pour mieux (re)construire la ville après la crise ?

  

Antonin Yuji Maeno, architecte, nous livre comment selon lui, le confinement peut être une opportunité pour développer une attention nouvelle envers ceux qui nous entourent à l’extérieur, et notamment les oiseaux, avec en corollaire une nouvelle vision de la ville.
Il a réalisé un guide en ligne accessible à tous pour mieux observer les 55 espèces d’oiseaux qui peuplent nos villes. https://bit.ly/2XnwcTe

Cutwork, Birds of Paris 4, Water Birds

Un déficit d’attention envers le vivant non humain

« En France, 61% de la population humaine habite aujourd’hui dans des villes. Avec nos modes de vie majoritairement citadins, nous avons mis de côté notre sensibilité à la diversité du vivant avec lequel nous cohabitons. Notre expérience et l’imaginaire de la nature sauvage sont très encadrés et nous ne prêtons plus vraiment attention aux espèces avec lesquelles nous partageons les espaces : nous avons pris l’habitude de traiter les sons de la nature comme un bruit blanc, un fond sonore qu’on n’entendrait plus vraiment. Sans la circulation des voitures et le bruit gris de nos activités, la ville n’est pourtant pas silencieuse. Elle roucoule, babille, piaffe, jase, pleure, craille, siffle, hulule, trisse… “ Imaginez cette fable : une espèce fait sécession. Elle déclare que les dix millions d’autres espèces de la Terre, ses parentes, sont de la “ nature ”. À savoir : non pas des êtres, mais des choses, non pas des acteurs, mais le décor, des ressources à portée de main […] Cette fiction est notre héritage ” nous alerte Baptiste Morizot philosophe et praticien du pistage dans Manières d’être vivant.
Il existe un véritable déficit d’attention envers le vivant non humain. Nous avons appris à nier l’activité du vivant non humain en l’opposant aux activités humaines dont les temporalités et les systèmes sont maîtrisés.
En témoigne ces plaintes autrefois considérées comme insolites qui aujourd’hui ne font que se multiplier : on cherche à interdire au coq de chanter (procès contre un coq qui chantait un peu trop fort, à l’île d’Oléron). Nos sociétés aseptisées nous poussent à devoir préserver un « patrimoine sensoriel des campagnes », pour laisser vivre les effluves et bruits du monde rural face aux plaintes des touristes et nouveaux venus citadins. Et donc, à préserver une forme de friction, indispensable à la cohabitation avec le vivant. L’architecte a un rôle à jouer dans la préservation de cette friction. Et celle-ci passe peut-être d’abord par une rééducation du regard.

Cutwork, Shared Architecture, Point 3 – Seasonal Envelope

Le confinement, un moment pour développer une attention nouvelle envers ceux qui nous entourent à l’extérieur.

Alors que chacun de nous sait reconnaître instinctivement la silhouette d’un logo même de très loin ou très petit en bas d’une affiche, on peut s’interroger sur notre manque de connaissance des vivants qui nous entourent. Une étude américaine menée en 2014 par Discover the Forest, l’US Forest Service et l’AD Council montre qu’un enfant nord-américain entre 4 et 10 ans est capable de reconnaître et distinguer en un clin d’œil expert plus de mille logos de marques, mais n’est pas en mesure d’identifier les feuilles de dix plantes de sa région. Ce que cela révèle de notre société, c’est moins la pollution visuelle qui sature notre champ mental et physique que la nécessité de réapprendre à développer un regard alerte sur le vivant. Or le confinement semble paradoxalement révéler une forme de nouvelle d’attention : les hashtags récemment lancés sur les réseaux sociaux, #BWKM0 (pour Bird watching Kilometer zero, ou observer les oiseaux de chez soi), ou encore #lockdownbirding en témoignent. Le réflexe d’apprendre à regarder les oiseaux est une opportunité offerte par cette situation exceptionnelle pour repenser notre relation au vivant, en comprendre et en accepter toute sa diversité.
Alors, observons les oiseaux ! Ce n’est pas seulement l’envie de savoir reconnaître ces multiples espèces que l’on veut provoquer. C’est une ouverture, depuis chez soi, sur d’autres possibles, sur la découverte de ceux qui existent avec nous et nous entourent. Une façon de porter attention à la multitude des mouvements qui nous entourent. Observer les oiseaux dans la ville, c’est réapprendre à voir. Pas pour nous dire comment voir, mais pour déployer notre champ de vision au sens propre comme au figuré.
La ville doit redevenir un environnement propice à l’éclosion et la prolifération naturelle de la vie, et sur ce point, les architectes sont en première ligne. Être architecte et aimer observer les oiseaux participe en effet de la même impulsion : regarder le monde, être sans cesse à l’affût de son changement, avoir les sens éveillés et toujours liés à l’environnement dans lequel nous sommes et aux territoires que nous partageons entre vivants. »

Antonin Yuji Maeno est architecte et associé fondateur de l’agence d’architecture et de design Cutwork spécialisée dans les nouvelles façons d’habiter et de travailler.

Le guide : L’agence d’architecture et des design Cutwork, a réalisé un guide en ligne accessible à tous, afin de savoir reconnaître les 55 espèces d’oiseaux de ville que l’on peut voir facilement depuis chez soi. : https://bit.ly/2XnwcTe
La tribune d’Antonin Yuji Maeno : http://cutworkstudio.com/windowbirds

À propos de Cutwork
Cutwork est un studio d’architecture et de design, spécialisé dans le coworking et le coliving, fondé en 2016 par Kelsea Crawford, CEO, et Antonin Yuji Maeno, architecte.
S’appuyant sur une expertise des nouvelles générations dont ils sont issus, ils conçoivent des espaces partagés, des chambres d’hôtel, des maisons en kit, des hubs d’innovation ou des meubles pour les entreprises qui souhaitent réinventer les modes de vie et de travail. Leurs concepts architecturaux et leur design sont flexibles, fonctionnels, polyvalents et savent favoriser les interactions.
En 2018, Cutwork a été référencée par l’EIT Climate-KIC parmi les 30 premières start-up CleanTech d’Europe. Ils ont régalement reçu un label de l’Observeur du Design.