Architecture intérieure : France-Italie, une histoire de « goût » ?

 

Au-delà de la mondialisation, à l’heure du partage, que représente la notion de « goût » dans la civilisation occidentale ? Qu’est-ce que « avoir du goût » ?

Est-ce l’une de ces valeurs impalpables, dont on aurait reçu la grâce, sans l’avoir vraiment choisie ? A l’image des distinctions aristocratiques surannées ; et dont certains portent encore les délicieux « stigmates » ? Est-ce cette capacité des créateurs à produire une sorte de beauté inclassable… …offrons-nous le luxe de citer parmi les œuvres hors du temps : la pietà de Michel-Ange, ou plus énigmatique car pas si joli, le visage de la Joconde de Léonard de Vinci ?  Baudelaire affirmait que « le beau est toujours bizarre » !

 

Fabrizio Casiragui, Hotel Expérimental Chalet Verbier / photo : Romain Laprade

 

En architecture et a fortiori dans le domaine de l’architecture intérieure, le goût s’exprime-t-il aujourd’hui ? Les agences qui ont le vent en poupe en véhiculent-elles certaines valeurs ?Spontanément, de manière instinctive, avec une irrationalité 100% assumée, nous serions tentés de dire oui et tant mieux ! Qui n’a pas été surpris il y a peu, en déambulant sur des salons français tendances, d’avoir à constater que le « mauvais goût » avait lui, une capacité de résistance hors norme, et que davantage d’esthétique pure et simple serait bienvenue ! Où sont les Carlo Scarpa, Charlotte Perriand et les Gio Ponti du XXIème siècle ? Ces quelques noms choisis parmi tant d’autres démontrent encore aujourd’hui, oh combien la France et l’Italie ont joué un rôle de tout premier plan dans le grand référencement moderne. Est-ce utile de rappeler que plus avant, l’histoire européenne ancre l’essentiel de ses valeurs dans la Rome antique, puis en France avec les fameux échanges France-Italie : François 1er importe le « goût » italien et en protège l’un de ses plus illustres génies : Léonard de Vinci.

 

Fabrizio Florentino

 

A l’occasion d’un voyage d’étude, Viollet-le-Duc raconte à sa famille l’Italie : « Tu ne peux t’imaginer comme l’Italie développe le goût que l’on peut avoir pour l’histoire. On vit ici triplement ; on vit dans le présent, dans l’avenir (car l’imagination sans cesse en mouvement, créé et renchérit sur ce qu’elle voit), et surtout dans le passé […]. Il faut étudier et comprendre ses maîtres, il faut, pour ainsi dire, vivre longtemps parmi eux pour sentir tout ce qu’il y a de science et de génie dans leurs productions » .

Pour Andrea Tognon, « ce n’est pas une question de goût. Bien sûr que non. Il s’agit plutôt d’une sorte d’esprit qui influence une grande partie des productions culturelles des deux pays. (…) Le design italien relève avant tout de singularités. C’est toujours l’expression d’une approche très personnelle. On ne peut jamais voir un projet loin de la personnalité qui le produit. Le design italien est rarement « programmatique ». (…) Dans le design français, je vois que prédomine ce que l’on peut appeler « un style français ». Entre différentes personnalités, je vois beaucoup plus une continuité, je vois un langage commun. De cette façon, je peux aussi voir une école française. (…) »

 

Andrea Tognon, Jil Sander Berlin / photo : Jan Kapitan

 

Et de témoigner sur la valeur du savoir : « Italien, j’ai grandi à Padoue et j’ai étudié à 30 km de là, à Venise. Ce sont ces lieux qui m’ont influencé et qui m’ont donné le goût de l’architecture. Giotto, Palladio, Scarpa ont créé ici leurs chefs-d’œuvre et ils font partie du paysage, un paysage mental. Ce n’est pas seulement une influence visuelle, mais l’esprit à la source de leur travail qui m’a beaucoup influencé.  A la chapelle Scrovegni, Giotto, la rotonde de Palladio, la Tomba Brion ou le magasin Olivetti de Scarpa, ces œuvres me font une grande impression depuis mon enfance et jusqu’à présent, je vais les visiter de temps en temps…mais encore davantage… Le Teatro Anatomico (…). Ce sont les chefs-d’œuvre intemporels qui ont nourri mon imagination depuis mon enfance et dont je rêve encore… ».

 

Gilles & Boissier, maquette Atlante, lower salon

 

Aujourd’hui, les agences d’architecture intérieure de renoms ont, de près ou de loin, un ancrage français et/ou italien, et leurs créateurs ne cessent d’entretenir des échanges, favorisés par l’IA. Beaucoup d’italiens œuvrent en France car la commande s’y révèle plus prospère. En témoignent les réalisations de deux noms émergeants : Fabrizio Casiraghi et Fabrizio Fiorentino dont les structures sont implantées à Paris. Fabrizio Casiraghi, est qualifié de doublement chic. Fabrizio Fiorentino, d’abord architecte, aime les matières nobles, le mobilier sur mesure, le travail avec les artistes. L’exception confirmant la règle, il arrive que des entités ‘très’ françaises réalisent des projets en Italie, à l’image de Gilles & Boissier. Ces derniers ont été lancés grâce à un illustre client italien : Remo Ruffini, le propriétaire de la marque Monclerc avec lequel ils ne réalisent pas moins de 180 boutiques, toutes différentes.

 

Texte : Anne-Charlotte Depondt

Photo de couverture : Joseph Dirand, Girafe / photo : Adrien Dirand

Vous trouverez la suite de cet article dans le numéro 99 du magazine Archistorm, disponible en kiosque.