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RÉALISATION : CENTRE COMMERCIAL B’EST

Le 11 avril 2018 marque un événement que Laurent Kleinheitz attendait depuis le… début des années 1990. En ce mercredi de printemps, le maire de Farébersviller inaugure enfin ce « pôle de loisirs et de commerces » dont il a si longtemps rêvé et pour lequel il s’est tant battu. Il fait beau, la foule est venue en nombre, les flashes des photos crépitent.

 

 

B’Est, un temps d’avance

On n’imagine pas, en remplissant son caddie ou en arpentant une galerie marchande, à quel point un centre commercial peut représenter une aventure. Surtout celui-là, il est vrai. Tout a commencé, donc, voilà près de 30 ans, à une époque où les mines de cette petite localité de l’est mosellan amorcent leur déclin. Laurent Kleinhentz, alors tout jeune maire de la ville, a une conviction : il est plus que temps d’envisager la suite.

Et une idée : pourquoi ne pas aménager cette prairie campée sur les hauteurs de la commune, idéalement située à la sortie de l’autoroute ? Il songe, déjà, à ériger un centre d’un nouveau genre associant commerces et loisirs, avec un grand cinéma et des brasseries. Il n’imagine pas une seconde qu’il vient d’entamer un parcours du combattant d’une incroyable complexité, une épreuve qui lui vaudra parfois de terribles angoisses, mais qu’il saura mener à bien contre vents et marées.

Non seulement le projet a fini par voir le jour, mais ce n’est pas n’importe quel projet. Le visiteur le moins attentif le remarquera : si B’Est présente les dehors d’un centre commercial, ce n’est pas un centre commercial. Ou plutôt, c’est bien davantage qu’un centre commercial. Bien sûr, on y trouve un hypermarché, des restaurants, une galerie marchande mais aussi un parcours d’accrobranche, des murs d’escalade, des jardins potagers… Et puis, il y a le cadre. Ici, pas d’enseignes criardes, pas de béton à perte de vue, pas de parkings sinistres comme l’on en croise tant sur les routes de France, mais des matériaux nobles, des courbes douces rappelant les vallons alentour, des espaces verts à foison.

Ce n’est pas tout. B’Est se singularise aussi par sa mixité, avec un équilibre quasi-parfait entre l’hypermarché, les commerces non alimentaire et les loisirs, une spécificité du centre qui a fait l’objet des soins les plus attentifs. Ailleurs, on aperçoit parfois un vague bowling dans un recoin mal éclairé ? À Farébersviller, tout a été fait pour valoriser la tyrolienne, les salles de foot et le mur d’escalade : emplacement stratégique, modernité des installations, qualité architecturale.

Pour dessiner ce lieu pas comme les autres, le promoteur, Codic, a su faire appel à une agence réputée, SCAU, dont les architectes ont notamment réalisé le nouveau stade vélodrome de Marseille. En Lorraine, ils ont su prendre le temps d’étudier le territoire, de dessiner des lignes ambitieuses, d’éviter le mauvais Disney ou le faux mosellan. Un subtil mélange entre modernité, agrément et douceur, donnant priorité au bois et l’horizontalité.

Même rigueur pour le paysage, dont la responsabilité a été confiée au bureau d’études de Christian Fournet, Architecture et Jardins. Frênes autour des ronds-points, poiriers d’ornement pour la galerie commerciale, grands chênes de 7 mètres de hauteur aux deux entrées… Au total, 18 des 30 hectares sont consacrés aux espaces verts, avec des corridors écologiques pour faciliter la circulation de la faune ; des dispositifs ingénieux pour récupérer les eaux de pluie ; des toitures végétalisées… Une démarche récompensée par l’obtention de plusieurs labels écologiques.

Pour ajouter encore à la difficulté, B’Est s’est donc implanté sur un site a priori improbable : Farébersviller. Longtemps, ce territoire éloigné des grands centres urbains, meurtri par l’Histoire (deux annexions par l’Allemagne) et bousculé par l’économie (la fermeture des Houillères), a eu l’impression de vivre à l’écart de la France triomphante des métropoles. C’est ce sentiment d’abandon que ce pôle de commerces et de loisirs vient aussi corriger. « Depuis l’ouverture, les gens me disent : «  Ah, monsieur le maire, ça y est, on est vraiment dans la ville ! », se réjouit Laurent Kleinhentz.

Les architectes l’ont parfaitement compris. « Dans notre travail, nous avons cherché avant tout à apporter de l’urbanité car ce dont la population de cette région avait besoin avant tout, c’était de retrouver des lieux vivants, soulignent Guillaume Baraibar, Maxime Barbier et Luc Delamain. Commercer, toute l’histoire des marchés depuis l’Antiquité le montre, ce n’est pas seulement acheter des marchandises, c’est aussi rencontrer, échanger, créer du lien entre les individus. »

 

La réussite de B’Est est d’autant plus remarquable que, ces dernières années, tout a semblé se conjuguer pour priver l’hypermarché des notions de plaisir et de modernité qui lui ont longtemps été associées : essor du commerce en ligne, rejet de la consommation de masse, concurrence des grandes surfaces spécialisées et des enseignes très bon marché… Beaucoup en avaient conclu à l’épuisement du modèle traditionnel des centres commerciaux. Pas Christophe Sirot, le directeur général de Codic France. « Le commerce physique a encore un avenir, à condition qu’il sache se réinventer », résume-t-il. On comprend mieux, dès lors, la place réservée à Farébersviller aux activités de détente, le soin apporté à l’architecture et au paysage, le souci presque maniaque du détail. Une voie escarpée, sans doute, mais la seule possible pour faire de B’Est ce qu’il est : un site précurseur de ce que sera demain le commerce en France.

 

 

Pour Farebersviller, un tournant décisif

Des vergers, une vaste prairie, au loin une poignée de bourgs et de villages… Pour transformer la colline de Farébersviller en un immense pôle de commerces et de loisirs, il fallait sans doute être visionnaire – ou un peu inconscient, selon les points de vue. Car l’est de la Moselle ne présente pas exactement les atours qui, d’ordinaire, font rêver les financiers penchés sur leurs tableaux Excel… Un territoire mi-rural, mi péri-urbain ; une région économiquement dévastée et pas la moindre grande ville à l’horizon. Autant dire la quintessence de ce que les géographes dénomment désormais « la France périphérique ». C’est pourtant ici qu’a été inaugurée le 11 avril 2018 ce centre d’un nouveau genre dénommé B’Est.

Thiery Behiels, le directeur général de Codic International, coupe alors le ruban au côté Laurent Kleinhentz. Le soleil est de la partie. La foule aussi. On se presse pour découvrir le centre, arpenter les allées de l’hypermarché, scruter les vitrines, s’étonner devant les équipements de loisirs, prendre les premières photos. Bref, on s’approprie un peu plus le lieu.

Cette notion est essentielle tant B’Est n’est pas un ovni tombé du ciel, mais un projet conçu avec les acteurs du territoire et en lien avec la population. Partenariat avec Pôle Emploi pour favoriser les recrutements sur place ; recours à des matériaux du cru pendant le chantier ; priorité donnée au bois par les architectes, en écho aux forêts lorraine, et aux végétaux mosellans par les paysagistes… Une boutique « circuit court » prend même place sur le site, tandis qu’Auchan met en valeur les produits locaux, avec quelque 2000 références.

Pour Farébersviller, on le devine, il y aura un avant et un après B’Est. Sur une terre marquée par le chômage (plus de 13 % dans la zone d’emploi) le centre a d’abord la vertu de créer 750 postes (en équivalents temps plein), sans compter les emplois indirects. Il contribue également à réinjecter 2 millions d’euros dans l’économie locale, que ce soit pour l’entretien des espaces verts, le nettoyage ou les travaux de maintenance. Au passage, il gonfle les recettes fiscales de la ville (qui vont quasiment doubler) et celles de la communauté de communes. Quant aux tarifs, ils ont été adaptés avec soin au pouvoir d’achat de la population, notamment pour la partie loisirs. « Il est essentiel que tout le monde puisse y accéder », souligne Christophe Sirot.

 

Texte : Michel Feltin

Photos : SCAU architecture. Luc Boegly