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LE CHOIX DU PEUPLE ARCHITECTURE ET APPROPRIATION SOCIALE

Une des formes du triomphe de l’individualisme consiste à construire sa propre demeure. Ou, à défaut, à convier un architecte à réaliser sur commande, en praticien appliqué et obéissant, la demeure rêvée. Cette pulsion à l’autoconstruction est, politiquement parlant, démocratique. « Un humain, une voix », exige le pacte démocratique, pour lequel la décision est une affaire débattue en commun. « Un humain, une demeure spécifique », exige en conséquence l’architecture à l’âge démocratique, âge de l’individu-citoyen, âge du choix du peuple, le seul vrai « choix ».

1 — Autoconstruire

L’autoconstruction est un phénomène immémorial, aussi vieux que l’art de construire lui-même. Elle connaît cependant, le temps passant, une quasi-disparition. Relevons un paradoxe : plus s’affirme, dans l’histoire, le pacte démocratique, plus la construction architecturale se fait autoritaire. Celle-ci, tant et plus, va échapper au citoyen, sauf s’il possède de solides moyens financiers, la capacité de dicter ses choix en la matière ou de s’agréger à une rare communauté de bâtisseurs fonctionnant en mode autogéré. Pourquoi cette dépossession ? La technique de construction, d’abord, se complexifie. Les contraintes démographiques, aussi, peuvent s’avérer de nature à restreindre la liberté territoriale et d’implantation. Les normes locales et administratives, encore, peuvent imposer un gabarit, un style, un matériau, un bilan carbone spécifique, le recours à un maître d’œuvre intermédiaire. De ces différentes contrariétés résultent l’uniformisation, la banalité de l’habitat universel.

Ce contre quoi lutte l’esprit citoyen, depuis les années 1960, puis de plus en plus avec le XXIe siècle, à travers notamment l’autoconstruction participative. L’architecture ? Une affaire commune, de laquelle déposséder les architectes.

Photographies de chantier menés par les acteurs et les actrices de Twiza, réseau d’entraide pour un habitat écologique, oeuvrant pour la découverte de l’écoconstruction et l’enseignement sur des chantiers participatifs. https://fr.twiza.org/

De l’appropriation

Une architecture est « appropriée » (convient bien) quand, précisons en ce sens plus ouvert, ses usagers peuvent se l’approprier ou quand ils se la sont appropriée. Il importe, avant tout débat sur ce thème, de préciser ce que signifie cette « appropriation », cette « place des usagers dans le processus de projet », pour reprendre les termes de l’urbaniste Jean-Jacques Terrin[1].

Comment s’approprie-t-on une architecture ?

Première réponse : en la concevant, et si possible, mieux encore, en procédant à la construction soi-même. L’autoconstruction, dans ce cas, est la meilleure preuve d’appropriation qui soit.

Deuxième réponse : en participant à l’élaboration de cette architecture dans le cadre d’une enquête publique ou d’un chantier commun. L’opinion personnelle, dans ce deuxième cas, concourt à la conception, l’individuel influe sur le collectif.

Troisième réponse : en m’adaptant, moi, citoyen, à une architecture préexistante dont j’accepte les caractéristiques. L’adaptation, dans ce cas, est le facteur-clé de l’appropriation. Si je ne conçois pas l’architecture, si je n’agis pas sur la collectivité ou les professionnels de la construction pour donner à celle-ci des caractéristiques qui m’importent, du moins ai-je accepté ce qu’elle est.

Photographies de chantier menés par les acteurs et les actrices de Twiza, réseau d’entraide pour un habitat écologique, oeuvrant pour la découverte de l’écoconstruction et l’enseignement sur des chantiers participatifs. https://fr.twiza.org/

Ces trois cas, pour qui veut « s’approprier » l’architecture, expriment un rapport chaque fois différent à la question du « bâtir ». Où l’autoconstruction est a priori satisfaisante (on construit dans ce cas selon ses attentes), la participation à la conception architecturale l’est déjà moins : je dois accepter le point de vue des autres, qui n’est pas forcément rigoureusement le mien. Le troisième cas de figure, l’adaptation, voit la décision m’échapper. L’adaptation sous-tend que je me suis soumis à une architecture que je n’ai ni conçue ni construite, elle exprime l’éventuelle défaite de ma volonté devant la volonté d’autrui, que j’ai choisi d’accepter. Choix du peuple ? Plutôt un non-choix que pacifie un processus d’assimilation.

Autoconstruire : contre la spécialisation corporatiste et pour l’autonomie

Il y a « choix du peuple », en matière architecturale, dans ce cas seulement : lorsque l’individu ou la collectivité décident, en amont de tout geste de construction, dans quel type de logement il leur faut habiter ; lorsque cet individu ou cette collectivité, mus par le volontarisme, prennent le contrôle de la construction même du logement, soit qu’ils se mettent à la tâche eux-mêmes, soit qu’ils mènent le chantier de A à Z depuis la conception jusqu’à la livraison. L’appropriation, alors, est optimale : on crée soi-même les murs dans lesquels on va s’installer, que l’on va posséder et dont on va jouir. (…)

[1]. Jean-Jacques Terrin, La Conception en question. La place des usagers dans les processus de projet, Paris, éd. de l’Aube, 2015.

Texte Paul Ardenne
Visuel à la une Maison autoconstruite (briques crues, enduit argileux, bois FSC) près de la zone protégée du quartier E.V.A. Lanxmeer (écoquartier construit près de la gare de Culemborg, aux Pays-Bas, au sud-est d’Utrecht). C’est un projet semi-public d’environ 250 maisons écologiques (à vendre ou à louer en habitat social à loyer modéré), incluant aussi plusieurs immeubles de bureaux et d’une ferme urbaine. Le projet est basé sur la participation constante de représentants des habitants et de leur association (BEL) © (c) Lamiot – CC BY-SA 4.0

Retrouvez l’intégralité du Blockbuster Le choix du peuple, Architecture et appropriation sociale dans Archistorm daté juillet – aout 2021