Il fut, au début des années 1990, à la tête de la plus importante agence d’architecture et d’urbanisme en France ; son nom ainsi que ses réalisations sont pourtant absents des revues d’architecture. Le parcours de Pierre Lesage s’est construit en dehors du système médiatique, dans une approche la plus complète possible de son métier, avec une prédilection pour les études d’urbanisme.

Fils et petit-fils d’architectes, Pierre Lesage est né en 1935 ; il aurait pu se contenter de suivre la voie tracée par son grand-père Victor – auteur entre autres de la Maison de la Mutualité à Paris, avec son associé Charles Miltgen – et son père, Robert, qui de 1900 à 1960 avaient œuvré dans le domaine des lotissements parisiens et du logement dans le Grand Paris. Conscient que la profession d’architecte devait s’adapter à l’évolution de l’économie et de la société, il a cependant choisi d’explorer d’autres modèles et d’autres méthodes. En marge d’une scolarité classique à l’École des beaux-arts de Paris, dans les années 1950, il « fait la place » dans une agence bien établie, celle de Guy Lagneau, boulevard Saint-Germain, qui a l’avantage d’être proche de la rue Bonaparte. Il complète surtout sa formation à l’Institut d’urbanisme, où enseigne alors Roger Puget, mais surtout Robert Auzelle, figure clé de cette discipline d’après-guerre, dont la pensée n’a cependant pas réussi à infléchir le mouvement quasi général d’adhésion aux théories modernistes. Sans pour autant se poser en disciple d’Auzelle, Pierre Lesage partage l’un de ses principaux combats : en finir avec la grande échelle du logement et retrouver un urbanisme « à dimension humaine ». Des planches de la fameuse Encyclopédie d’urbanisme publiée par Auzelle pendant plusieurs années, il recopie soigneusement celle consacrée aux parcs et aux places de Paris.

Pierre Lesage traversera la seconde moitié du xxe siècle à travers cinq agences. La première est celle de son père, entre 1964 et 1969 : concentrés sur les opérations de logements dans la banlieue parisienne, les Lesage s’associent par la suite, à sa demande, au Grand Prix de Rome Jean-Claude Dondel. Ce dernier termine alors une brillante carrière en scellant avec ses confrères une association principalement destinée à un partage de réseaux et de commandes, jusqu’en 1977. C’est cette année-là que Pierre Lesage prend sa totale indépendance, avant d’engager, dans les années 1980, une spécialisation dans les études d’urbanisme. Pour garder la main sur toutes les échelles et toutes les étapes de son métier, Pierre Lesage crée cinq pôles de compétences, tous inscrits dans une logique de synergie et de complémentarité. Le secteur d’administration des biens (la gérance) permet, sur le plan financier, de réguler le décalage entre les dépenses et les recettes des activités d’architecture et d’urbanisme ; il est aussi un moyen de travailler à la rénovation de très nombreux bâtiments. L’agence d’architecture bénéficie de ces travaux en même temps qu’elle répond à l’important volume de commandes que lui rapporte l’atelier d’urbanisme. Clé de voûte du dispositif, celui-ci est composé d’une équipe pluridisciplinaire et associe une dizaine de spécialistes. D’abord focalisée sur l’urbanisme opérationnel, cette structure se spécialise peu à peu dans les études préalables, dans de très nombreuses ZAC. Au plus fort de son activité, l’agence cumulera 75 employés dans les locaux de l’impasse Guéménée à Paris. C’est ce qui lui vaut un succès que le secteur du BTP scrutera avec intérêt : en 1992, l’un des leaders de ce secteur lui propose ainsi – sans succès – de racheter son agence au prix fort, avec pour objectif premier de s’approprier un savoir-faire dont il ne disposait pas.

Pierre Lesage, relevés d’ensembles de logements à l’Institut d’urbanisme, 1964, coll. part.

Particulièrement active dans certaines communes de la région parisienne, notamment Le Kremlin-Bicêtre et Bry-sur-Marne, l’agence y entre en réalisant de petites opérations de logements, puis en proposant des études d’urbanisme qui ouvrent elles-mêmes sur d’autres commandes d’architecture. Le cas de Bry-sur-Marne est d’autant plus intéressant que ce travail est conduit sur une vingtaine d’années. Inscrits dans la politique des modèles, les 160 logements PLA de la rue du Quatrième-Zouaves (1975), répartis dans de sobres plots autour d’un jardin, marquent l’entrée de l’agence dans la commune. Suit une seconde opération, un petit groupe de 87 logements : autour d’un immeuble collectif (49 HLM) accueillant également une médiathèque, trois « grappes » de maisons (38 logements), de tailles et de formes différentes, s’organisent à la manière des volumes d’une casbah, tout en rappelant par certains aspects le graphisme cubiste de la rue Mallet-Stevens à Paris. Avec leur enchevêtrement de toitures à pente unique, leurs escaliers extérieurs, leurs terrasses équipées de bacs à fleur en béton, les Coudrais se rapprochent ainsi des meilleures réalisations de l’habitat intermédiaire.

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Texte : Simon Texier
Visuel à la une : Pierre Lesage, avec Jean-Pierre Vergier et Philipe Duprat, ZAC du Colombier, Bry-sur-Marne, 1984-1987 : le passage Paillot

— retrouvez l’intégralité de l’article Patrimoine sur Pierre Lesage dans Archistorm 119 daté mars – avril 2023 !