CRÉATION

DÉAMBULATION, LA SAMARITAINE

La Samaritaine a rouvert ses portes au public le 23 juin dernier. Fermé depuis 2005, l’emblématique grand magasin du cœur de Paris a été entièrement restauré et repensé. Un travail titanesque a été réalisé pour retrouver les éléments d’époque. La nouvelle Samaritaine reste ainsi un vibrant hommage à l’Art déco et l’Art nouveau, mais aussi à l’avant-garde architecturale et même à l’art contemporain.

Nous n’y croyions plus ! La livraison de la Samaritaine s’est fait attendre. Le 16 janvier 2020, nous avions fait une visite de chantier avec un des cabinets d’architectes de la rénovation, Yabu Pushelberg. En attestent les photos retrouvées dans nos smartphones, casque vissé sur le crâne, bottes obligatoires, déambulation dans la poussière et sourire confiant… Ça, c’était avant la pandémie de covid-19. Et puis, plus rien, un arrêt brutal de tout. La réouverture de l’illustre magasin, qui devait avoir lieu en 2020 pour fêter majestueusement ses 150 ans, n’a pas pu se faire. Tout a été décalé dans un temps suspendu. Ce sera donc 150 + 1 an, en 2021. Une sorte de re-renaissance. Le 19 juin dernier, quelques happy few ont eu la chance de visiter en preview cet ancien-nouveau temple de la consommation.

Restauration des laves émaillées par l’atelier Socra © Vladimir Vasilev

Il faut ici se replonger dans quelques dates et faits historiques pour bien comprendre l’œuvre, la réfection et ses extensions. Quand Ernest Cognacq s’installe en 1870, rejoint très vite par sa femme Marie-Louise Jaÿ, il a tout de suite compris l’atout géographique et le potentiel financier de ce cœur de la capitale. Le couple commence avec une échoppe au coin des rues de la Monnaie et du Pont-Neuf, qu’il étend petit à petit dans les boutiques mitoyennes. Cinq ans après l’ouverture, le chiffre d’affaires dépasse le million de francs. Colossal, pour l’époque ! En 1910 est inauguré́ un bâtiment Art nouveau signé Frantz Jourdain ; les ambitieux volumes, la structure métallique et les ornementations travaillées en font un véritable chef-d’œuvre. Vient s’ajouter, en 1928, un édifice Art déco conçu par Henri Sauvage. On comprend alors les racines des ajouts successifs historiques jusqu’à et y compris aujourd’hui. Ces prouesses architecturales montrent bien la vision avant-gardiste du couple. La Samaritaine devient rapidement le lieu où l’on vient acheter les robes à la dernière mode, dîner au bien nommé Le Toupary, ou tout simplement flâner et être vu. Le groupe LVMH fait l’acquisition de la Samaritaine à hauteur de 55 % en 2001, puis à 100 % en 2010. En 2005, pour des questions de sécurité, le magasin doit fermer ses portes. En 2015, son nouveau propriétaire décide de lancer un ambitieux projet de rénovation, qui s’inscrit dans la transformation de ce quartier parisien devenu un poumon vert de la capitale, piétonnisé pour partie, mais aussi une plateforme arty du fait de l’ouverture de nombreuses galeries. Rappelons ici que la nouvelle fondation Pinault pour l’art contemporain n’est qu’à une encablure de la Samaritaine et qu’elle a entraîné la migration, voire l’éclosion de galeries.

Façade sur rue de Rivoli

Aux édifices Art nouveau et Art déco d’origine, entièrement restaurés avec minutie, a été adjointe, côté rue de Rivoli, une nouvelle construction moderne, de l’agence d’architecture japonaise Sanaa. À l’intérieur, à côté du futur palace Cheval Blanc, des bureaux, des logements sociaux et une crèche. C’est à DFS que LVMH a confié́ la conception et la gestion de la Samaritaine Paris Pont-Neuf (20 000 m2). DFS est le leader mondial de la vente de produits de luxe destinés aux voyageurs. Pour sa première implantation en Europe, cette filiale de LVMH a choisi Venise en inaugurant, en 2016, le Fondaco dei Tedeschi. Pour les différents espaces de la Samaritaine Paris Pont-Neuf, elle s’est entourée de grandes agences d’architectes internationaux. Ainsi Sanaa, pour les structures existantes et le nouvel édifice, a rénové entièrement le bâtiment Art nouveau (désormais appelé « Pont-Neuf »), créé des patios pour creuser des puits de lumière, et imaginé une nouvelle structure dont la façade ondulante en verre tisse un véritable dialogue entre passé et présent, par un subtil jeu de réflexion des immeubles en regard. Le duo canadien Yabu Pushelberg, pour l’aménagement intérieur du bâtiment Pont-Neuf, a mis en valeur la structure Eiffel et sa luminosité tout en apportant son style à la fois raffiné et chaleureux à tous les étages, hors étage « Beauté » : un dialogue entre l’enveloppe historique du magasin et une approche contemporaine. Le visiteur est invité à une expérience d’achat intimiste, conviviale, pleine de surprises et de découvertes, sous forme de flânerie chic parisienne. Yabu Pushelberg a choisi des matériaux nobles comme ce terrazzo, clin d’œil aux pavés parisiens. L’agence a également dessiné le mobilier et les tapis, associés avec goût au bronze et aux touches de ce gris-bleu emblématique du décor d’origine. « Nous nous sommes basés sur l’idée de déambulation et de la flânerie et de reprendre son temps. Les formes du mobilier créé reprennent l’idée d’un parcours que nous avons tridimensionalisé », commentent Glenn Pushelberg et George Yabu. Hubert de Malherbe, quant à lui, a créé l’espace « Beauté́ », imaginant au sous-sol l’aménagement de ces 3 000 m2 qui en font le plus grand d’Europe, étendu entre les bâtiments Pont-Neuf et Rivoli. Hubert de Malherbe a également conçu une déambulation citadine inspirée de Paris et du passé Art nouveau du bâtiment, à l’image du parquet, des mosaïques au sol personnalisées, des structures en laiton doré rappelant les serres florales ou encore des clins d’œil à la structure Eiffel. Le cabinet Ciguë a été appelé pour les espaces urbains du bâtiment Rivoli. L’agence française a imaginé́ un décor avant-gardiste faisant écho à la modernité́ du concept store et de l’offre streetwear proposés coté Rivoli. En prise avec l’époque pour séduire la génération des millennials. Ciguë y a illustré son approche à la fois artisanale et radicale par des matériaux bruts ou recyclés. Des structures façon colonnes Morris, des fragments d’intérieurs ou de façades haussmanniennes invitent la ville dans le magasin. Les architectes d’intérieur Chloé Nègre, Karine Chahin et Virginie de Graveron se sont connues chez India Mahdavi. Reformé pour la Samaritaine, le trio Atelieramo a signé les espaces de « L’Appartement » et des deux salons privés dédiés à la joaillerie. Leur inspiration ? Le style hétéroclite des appartements parisiens qui mélangent mobilier classique français et codes plus contemporains, comme ce léopard colorisé et ces tables de drapiers détournées. Elles ont également chiné une partie du mobilier du magasin, dont un lit du XVIIIe siècle en fer forgé, transformé en banquette. Des laves émaillées sur l’édifice Art nouveau aux prouesses techniques du nouveau bâtiment, en tout, ce sont cinq gestes architecturaux que l’on redécouvre au sein de l’édifice : la fresque des paons, les ondulations de verre, la façade Art nouveau, le grand escalier, la verrière et sa structure Eiffel. (…)

Texte Yves Mirande
Visuel à la une Façade sur la rue Jourdain, l’espace Pont-Neuf © We are contents

Retrouvez l’intégralité de l’article Création Déambulons dans Archistorm daté septembre – octobre 2021