Tombé en désuétude dans les années 2000, le papier peint revient en force depuis très peu de temps, en se rebaptisant « décor mural », « panneaux décoratifs »… Les créateurs et même les artistes s’emparent de ce support d’évasion et le transposent jusque dans les nouvelles technologies. État des lieux !

« Apparu à la fin du XVIIe  siècle, en France, sous forme de dominos grâce, en particulier, aux productions de la famille de Jean-Michel Papillon conservées dans le fonds du département des Estampes de la Bibliothèque nationale de France, au musée du Papier peint de Rixheim et au musée des Arts décoratifs, trouvé également sous forme de feuilles imprimées en taille-douce, le papier peint se développe d’une manière significative au XVIIIe siècle, et plus particulièrement dans la seconde moitié́ de ce siècle », explique Véronique de la Hougue, ex-conservatrice au MAD (musée des Arts décoratifs) reponsable de la collection des papiers peints. Ces feuilles de papier « dominotées » étaient imprimées à la planche pour les contours, puis coloriées au pinceau ou au pochoir. Leur usage ? Orner les murs bien sûr, mais aussi décorer les meubles, les boîtes, les couvertures de livres, etc. C’est au début du XVIIIe siècle, en Angleterre, qu’on commence à coller des feuilles les unes à la suite des autres pour former un rouleau, avant de l’imprimer. C’est la naissance du papier peint tel que nous le connaissons. Ce processus d’abord artisanal devient industriel avec la mécanisation au XIXe siècle, ce qui entraîne un développement de la pose du papier peint même dans les intérieurs modestes. Il traverse magnifiquement le XXe siècle jusqu’à devenir, dans les années 1980, la première décoration murale au monde ! Un succès fulgurant qui va connaître une accalmie à la fin des années 1990 et dans les années 2000 avec l’arrivée d’une tendance plus minimale et un travail des maisons sur les couleurs de peinture (Farrow & Ball, Ressources…). Depuis quelques années, le papier peint retrouve ses lettres de noblesse. Il est aujourd’hui un outil essentiel en décoration d’intérieur, avec des innovations tant dans la manière de le poser que dans la manière de le créer.

Au salon Maison & Objet qui s’est tenu du 19 au 23 janvier dernier ou en arpentant Paris Déco Off, le papier peint explose littéralement et devient un fait de société tout à fait intéressant à mettre en lumière. La Maison Iksel est née de la rencontre, au Rajasthan, de Mehmet et Dimonah, un 1er avril 1988, lors d’un petit-déjeuner partagé à la terrasse d’un charmant palais. Ils ne se sont plus quittés et ont donné́ naissance, quelques mois plus tard, à leurs premiers panneaux décoratifs. Ce sera l’essence de la maison qui excelle dans la « disparition des murs et même des plafonds en proposant de se reconnecter à son imaginaire et de voyager en restant immobile », explique Paul-Éric Hanquet, président-directeur général de Iksel Decorative Art. Les décors sont peints à l’échelle 1/1 (environ 3 m de haut) dans leur studio en Inde, offrant ainsi « la possibilité́ de peindre les détails les plus fins, d’assurer l’équilibre des compositions, et d’imprimer nos décors sur mesure jusqu’à̀ 7 m de haut (avec des arbres agrandis à cette mesure) », poursuit Paul-Éric Hanquet. Grâce à ce travail d’art et de sur-mesure, les murs disparaissent, les petits espaces en paraissent le double. Le décor peint Arcadia peut même aller jusqu’à 70 m de long et la plupart des décors sont aussi disponibles et sur demande, en panneaux à la mesure des murs.

A World of Tales – L’arbre aux secrets – Les Dominotiers
© Les Dominotiers

Toujours dans l’idée du panoramique, la maison Les Dominotiers, a pris le parti de mettre les contes à l’honneur dans ses collections. Son Studio de design a dévoré une foultitude de recueils de contes séculaires, voire millénaires, issus toute la planète. Afrique, Asie, Europe, Scandinavie… certains contes, peu connus, inspirèrent davantage le Studio. Avec leurs crayons, leurs pinceaux, leur palette de gouache, d’aquarelle, mais aussi d’encre de Chine, le Studio a retranscrit en décors la sensation, l’émotion et les couleurs que la lecture des contes leur avait procuré.

À partir de 1896, M. Martin Morel puis ses fils ont accompagné́ et créé les tendances mode du XXe siècle, dans l’usine familiale d’ennoblissement textile, dans la région de Lyon, en imaginant des collections de tissus imprimés. Aujourd’hui, sous l’impulsion d’Emmanuel Foyatier, sixième génération de la famille, les archives textiles de l’entreprise se réveillent avec audace, avec pour ambition de créer un véritable art de vivre graphique et onirique. Le motif devient une passerelle entre un temps passé et le présent. Textile, mais aussi… décors. Chez Maison Martin Morel, les décors sont vendus en 3 m x 4,5 m et sont tous modulables. Mots d’ordre : jouer, créer. Car « on peut transformer à volonté le décor en jouant sur les teintes, mais aussi imaginer un décor unique et sur mesure en demandant un mélange de motifs particuliers. La particularité de MMM est l’utilisation et la transformation d’anciens motifs textiles des années 1890-1980 en papier peint ». Emmanuel Foyatier reprend des motifs textiles imaginés à l’origine par sa famille pour le monde de la mode et les incorpore dans des décors qu’il a imaginés pour créer des univers divers et colorés.

« Je suis ravie de présenter “The Gardensˮ, une collection à la beauté́ intemporelle et inspirée du monde de l’art. Le premier volet dévoile une série de papiers peints, dont trois dessins panoramiques, aux couleurs chatoyantes. Laissez “The Gardensˮ vous transporter dans un endroit secret. Chaque paysage transcende les intérieurs, par son énergie vibrante et colorée. Avec cette collection, vous pourrez imaginer votre jardin intérieur », explique avec passion Marie Karlsson, directrice créative et directrice générale de Cole & Son. S’inspirant du monde de l’art, « The Gardens » recrée de fantastiques paysages, tel un artiste avec son pinceau. Le studio de design de Cole & Son parvient à capturer avec une grande justesse la lumière et les palettes de couleurs changeantes au fil de la journée ainsi que le mouvement organique des jardins, complétant l’illusion de toiles dessinées et peintes à la main.

Colibris, Lombok, Jubea, Palmea… les décors muraux sur mesure de LGD01 participent aussi de cette transformation en panoramique à travers des « bijoux » de tapisserie végétale et animalière. De grandes feuilles s’entremêlent avec des fleurs aux longues tiges surmontées de ronds délicats, des colibris s’envolent de branches de cerisiers en fleurs…

En 2005, la designer franco-belge Pascale Risbourg retravaille la toile de Jouy avec une collection de papiers peints aux motifs érotiques. Mais, quand ils ne sont pas sur une balançoire ou en partie de chasse, que font les charmants couples du XVIIIe siècle qui ornent ses célèbres toiles de Jouy ? Pascale vient d’apporter sa réponse grâce aux nouvelles technologies. Sa Toile de Jouy érotique s’anime en réalité́ augmentée via l’application Admented®. Aujourd’hui, les aventures galantes de personnages aux mœurs légères se dévoilent et s’animent. Risbourg nous permet d’extraire notre regard du plan 2D et de laisser aller notre imaginaire avec trois histoires qui se racontent avec délicatesse, dès lors que le smartphone se place sur l’un des trois groupes libertins. L’animation des saynètes suggestives est un petit miracle de volupté́.

Plus pragmatique, la technique permet d’introduire le papier peint dans… la salle de bain et même dans la douche. La maison italienne Wall&Deco a créé une collection « WET System » qui peut être appliquée sans souci sur les murs de la salle de bains. Toujours plus loin dans la construction d’un nouvel imaginaire, « Art in Rolls » est la nouvelle collection de revêtements muraux de Mezzaluna Italia. Peints à la main et enrichis d’éléments 3D en porcelaine et verre de Murano « incrustés » sur les décors. Ces nouveautés sont manufacturées en Italie, par les artisans d’excellence de la maison. Les artistes ne sont pas non plus en reste pour s’approprier ce support et cet espace de création. À l’image de Mark Dion qui a présenté sa collection de sculpture et d’objets à Art Genève sur un papier peint qu’il avait créé pour l’occasion. Ainsi le papier peint devient plus que de simples laies assemblées et masquant pauvrement les murs. Il se fait décor et permet l’évasion, le rêve, la rêverie. Il fait disparaître les murs, agrandit les espaces par le truchement des histoires racontées. Il est intéressant de constater combien ces décors peints sont signifiants, ils ne sont plus uniquement des papiers que l’on vient poser, mais ils mettent en lumière la notion de réappropriation de l’espace, du rêve, du jeu, du temps pour soi, de la respiration, de l’envie de liberté, de l’envie d’ailleurs, de l’envie d’histoires racontées… Si maintenant on « metaverse » tout cela, arriverons-nous à traverser les murs… et nous affranchir d’un réel pour être dans une autre réalité ?

Texte : Yves Mirande
Visuel à la une : The Gardens Vol. 1 – Cole & Sons – chez aufildescouleurs.com © DR

— retrouvez l’article Création Evasion sur les papiers peints dans Archistorm 119 daté mars – avril 2023 !