Dans les maisons de luxe, les grands groupes, les institutions nationales et régionales, les initiatives privées et même dans les associations d’étudiants, la création de prix pour l’art contemporain foisonne et se multiplie de façon exponentielle. Retour.

Le 17 octobre dernier, le prix Marcel Duchamp 2022 a été attribué à la plasticienne Mimosa Echard, 36 ans, pour son œuvre Escape More. Ce prix prestigieux de collectionneurs a été créé en 2000 par l’ADIAF (association pour la diffusion internationale de l’art français, fondée en 1994 par le grand collectionneur Gilles Fuchs) et organisé dès l’origine en partenariat avec le centre Pompidou. Il est considéré comme l’un des plus pertinents vecteurs d’information sur l’art contemporain en France. Il a acquis une notoriété et un prestige qui le placent parmi les grands prix de référence dans le monde.

Depuis sa création, on n’arrive plus à compter le nombre de prix décernés par tous.

En 2006, Florence et Daniel Guerlain décidaient de se recentrer sur leur passion du dessin et créaient le « prix de dessin contemporain » destiné aux artistes pour qui le dessin – œuvres sur papier, collages, dessins muraux – constitue une part significative de leur travail. Tous les moyens graphiques sont admis – crayon, fusain, encre, lavis, gouache, aquarelle, pastel, feutre ou sanguine – à l’exclusion des procédés informatiques ou mécaniques. Les trois artistes nommés chaque année sont sélectionnés par une commission de six experts. Le lauréat est choisi par un jury de collectionneurs français et étrangers renouvelé chaque année.

Côté maisons de luxe et grands groupes, Ruinart fait l’effet d’une locomotive à grande vitesse. Les prix créés s’appuient très efficacement sur les valeurs de la marque qui s’enracinent très simplement dans celles de la famille Ruinart, passionnée de Beaux-Arts dès le xviiie siècle. Depuis cinq ans, le développement et la multiplication des prix de la Maison s’appuient sur une stratégie internationale d’image à travers l’art contemporain très bien rodée et huilée.

Quelques exemples très éloquents. Le directeur Art & Culture de Ruinart, Fabien Vallérian, a ainsi déniché le Palazzo Roca pour la première exposition de la maison de champagne à Venise, une carte blanche au plasticien danois Jeppe Hein. « L’idée est de participer à la vie artistique en dehors de tout événement commercial parce que nous sommes aussi un acteur culturel », explique-t-il. En 2018, Ruinart a créé le prix Maison Ruinart, avec le soutien de la fondation Picto. Chaque année, ce prix distingue un photographe émergent dont les œuvres, réalisées lors d’une résidence artistique à Reims, sont présentées pour la première fois à Paris Photo. En témoigne le lauréat du prix Ruinart cette année, présenté à Paris Photo (du 9 au 13 novembre). Au cours de sa résidence artistique l’été dernier, le photographe suisse Matthieu Gafsou a parcouru la Champagne à vélo. Il a utilisé du pétrole brut comme pigment pour « donner à voir ce qui est invisible et témoigner d’un grand paradoxe de notre temps : tout semble si normal alors que notre milieu change très brutalement ».

OEuvres par ordre d’apparition de gauche à droite : Sandra Rocha, Roberto Barrios 4, Chiapas, Mexique, 2022 ; Sandra Rocha, Le Saut 1, Chiapas, Mexique, 2022. Crédit photo : Annaëlle Peyre

Très en avance et visionnaire, la plus ancienne maison de champagne multiplie les initiatives pour valoriser les artistes émergents ou confirmés, et relayer son engagement en faveur de l’environnement, inhérent à l’importance de la préservation de la qualité de la terre, des raisins, etc.

En juin dernier, l’entreprise a permis à l’association Art of Change 21 de monter le prix Planète Art Solidaire afin d’accompagner une vingtaine de jeunes artistes déployant des pratiques en lien avec l’environnement. « Ils ont un rôle de vigie et nous voulons que leur vision éclairée fasse réfléchir le public », précise Fabien Vallérian. La maison de champagne Ruinart a annoncé qu’elle finançait l’action Planète Art Solidaire à hauteur de 42 000 euros.

Depuis 2011, le prix Drawing Now permet de soutenir un artiste dessinateur et de saluer le travail de sa galerie. Décerné à l’occasion de Drawing Now Art Fair, le prix était jusqu’alors doté de 10 000 euros, dont 5 000 euros pour l’artiste et 5 000 euros de budget de production pour une exposition au Drawing Lab, le centre d’art dédié au dessin contemporain. Le prix Drawing Now est soutenu par le mécène principal Soferim. L’objectif est d’encourager le travail d’un dessinateur en milieu de carrière, qui est un moment complexe pour la création. Pour le prix Drawing Now 2022 (le onzième ), la formule évolue pour donner plus d’envergure et de visibilité à la pratique de l’artiste lauréat et implanter cette récompense comme une bourse d’aide à la création : 5 000euros de dotation, 10 000 euros d’aide à la production, une exposition de trois mois au Drawing Lab et l’édition d’un catalogue monographique.

Cette année, c’est l’artiste Karine Rougier qui a remporté le prix Drawing Now 2022.

La prochaine édition du salon Drawing Now se tiendra du 23 au 26 mars 2023.

« L’engagement constant de Pernod Ricard en faveur de la création remonte aux origines du groupe, sous l’impulsion de cet insatiable entrepreneur et artiste qu’était mon grand-père, Paul Ricard. La récente ouverture du nouvel espace de la fondation d’entreprise Pernod Ricard, au sein même de notre nouveau siège parisien, témoigne d’un principe qui demeure cardinal pour nous tous : l’art n’a de sens que s’il est partagé avec le plus grand nombre », explique Alexandre Ricard, président-directeur général du groupe Pernod Ricard.

En 2022, Pernod Ricard, numéro deux mondial des vins et spiritueux, poursuit son soutien à la création en donnant naissance à un nouveau programme de mentorat artistique dont l’ambition est de favoriser le dialogue entre des artistes de différentes cultures et générations, en collaboration avec les Rencontres de la photographie d’Arles. Ce dialogue artistique a fait l’objet d’une exposition pluridisciplinaire durant la 53e édition du festival international de la photographie (du 4 juillet au 25 septembre 2022) à la commanderie de Sainte-Luce, une ancienne demeure provençale du Moyen Âge. Ce nouveau programme de mécénat artistique au long cours s’inscrit au cœur de ce que les membres de Pernod Ricard sont : « des créateurs de convivialité » animés par la volonté de transmettre, d’innover et de rassembler.

Les universités et les associations étudiantes ont créé également leurs propres prix. Soutenu par l’université, le prix Dauphine est une initiative étudiante créée en 2014 dans le but de promouvoir le travail créatif des élèves en école d’art et des artistes de moins de 30 ans. En 2022, et pour la neuvième année consécutive, le prix adopte une formule devenue partie intégrante de son identité, qui, en plus de l’artiste, met également à l’honneur la figure du mécène. En se concentrant sur cette association, le prix a pour but de mettre en avant l’importance de la complémentarité de leurs démarches respectives.

L’association du master 2 marché de l’art (AMMA) de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne a créé le prix pour l’art contemporain, qui a pour vocation de mettre en lumière et de diffuser la jeune création contemporaine. Quinze candidats sont préalablement sélectionnés par les membres de l’association et ont la chance de voir leurs œuvres exposées au Bastille Design Center (Paris 11e), lieu historique gracieusement prêté chaque année à l’organisation. Chaque année, le jury chargé de sélectionner le lauréat du prix Paris 1 Panthéon-Sorbonne pour l’Art Contemporain est composé d’importantes personnalités du monde de l’art. Pour la 6e édition du prix, Kamel Mennour (galeriste spécialisé en art contemporain), Elias Crespin (artiste spécialisé en art cinétique), Judith Benhamou-Huet (journaliste et conservatrice indépendante), Paul-Emmanuel Reiffers (fondateur de Mazarine groupe et de Reiffers Art Initiatives) et Joséphine Wanecq (Head of Day Sale – Post War and Contemporary art chez Christie’s) se sont prêtés au jeu.

Giulia Andreani, Sentinelles, 2019, verre de Murano, collection particulière, Berlin ; HEX(E), 2021, acrylique sur toile, collection particulière. Courtesy de l’artiste, de la galerie Max Hetzler Berlin – Paris – Londres. Crédit photo : Bertrand Prevost

Ces faits dépassent les frontières franco-françaises. En Suisse par exemple, sept artistes suisses provenant de cantons différents reçoivent le prix culturel Manor, une distinction dans le domaine de l’art contemporain dotée de 15 000 francs suisses. En Suisse romande, la Genevoise Lou Masduraud et la Valaisanne Aurélie Strumans ont été primées. La fondation Prince Pierre de Monaco présente les deux œuvres sélectionnées par le conseil artistique pour le prix international d’art contemporain (PIAC). Attribué pour la première fois en 1965, le PIAC récompense, tous les trois ans, une œuvre récente proposée par le conseil artistique placé sous la présidence de la Princesse de Hanovre. Le lauréat de ce prix se voit attribuer la somme de 75 000 euros. En 2022 ont été retenues pour le prix international d’art contemporain Nguyen Trinh Thi pour son œuvre How to improve the world proposée par Zoe Butt et Christine Sun Kim pour sa performance The Star-Spangled Banner proposé par David Horvitz. En plus du prix et pour la première fois cette année, l’attribution d’une bourse de recherche a été initiée. Elle a pour but de soutenir un artiste, une institution, un collectif, un historien de l’art, dans son travail de recherche, en cours ou à venir, en lien avec le bassin méditerranéen. Proposé par le conseil artistique, ce prix triennal ne fait l’objet d’aucun dépôt de candidature et est doté d’un montant de 10 000 euros.

Au Royaume-Uni le plus prestigieux des prix a été créé bien avant les années 2000.

Le prix Turner a été décerné pour la première fois en 1984. Il a été fondé par un groupe appelé les « Patrons du New Art » sous la direction d’Alan Bowness. Ils se sont rassemblés pour encourager un plus grand intérêt pour l’art contemporain et aider la Tate Gallery à acquérir de nouvelles œuvres. Pour eux, la Grande-Bretagne devait avoir son propre prix pour les arts visuels. Tous les deux ans, le prix Turner est décerné à un artiste britannique. Entendez : un artiste qui travaille principalement en Grande-Bretagne ou un artiste né en Grande-Bretagne qui travaille à l’échelle mondiale. Le prix se concentre sur leurs récents développements dans l’art britannique plutôt que sur la réalisation de toute une vie. Le prix est de 40 000 livres. 25 000 livres pour le lauréat et 5 000 livres aux autres artistes présélectionnés. Le prix Turner de cette année sera diffusé en direct sur la BBC en décembre 2022.

La maison Ruinart, qui soutient 35 événements et foires d’art contemporain de par le monde, a également créé des prix à l’international comme RU.in.Art (avec un jeu de mots décalé : Are re you in art), qui commande une œuvre à un jeune artiste de la scène californienne au moment de Frieze LA (avec exposition à la foire). Ruinart Japan Award, un prix pour un jeune photographe japonais à l’occasion de Kyotographie.

Si on porte un regard sociologique sur l’ensemble de ces faits, tous domaines de création confondus, il est intéressant de constater que l’engouement pour l’art contemporain est exponentiel et définitivement passé dans l’usage. Pour autant, il est essentiel de distinguer les valeurs de la maison, de l’institution, etc., qui « collent » avec celles de l’art contemporain, de l’art ou du beau inhérents à leur histoire, du pur marketing dont certains opportunistes se serviraient pour construire un « arty » storytelling sans racine. Par-delà la notion marketing ou celle des vraies valeurs, il y a celle de l’aide financière à la création qui est vitale – plus encore depuis la période Covid. Par concaténation, aider la création permet de faire émerger les talents qui vont contribuer à éduquer l’œil de tous dans l’idée d’ouvrir les esprits à la réflexion, à l’esthétique, au beau… à l’art sous toutes ses formes. Plus les prix se multiplieront, plus grandes et meilleures seront les chances de se confronter à des sujets sociétaux plus profonds. « L’art contemporain déplace les frontières », nous dit la sociologue Nathalie Heinich.

Texte : Yves Mirande
Visuel à la une : Vue de l’exposition Le Saut, Sandra Rocha et Perrine Géliot à la Commanderie-Sainte Luce à Arles Dans le cadre du programme de mentorat Pernod Ricard Arts Mentorship en collaboration avec les Rencontres d’Arles © Rapolaya. Crédit photo : Annaëlle Peyre

— retrouvez l’article Création : Foison, sur les prix pour l’Art Contemporain dans Archistorm 118 daté janvier – février 2023 !