CRÉATION

RÉHABILITATION
LES ESPACES D’ABRAXAS

Quarante après, l’architecte catalan Ricardo Bofill revient en France et travaille à la réhabilitation des espaces d’Abraxas et de leurs alentours. Au programme : mise en lumière, réaménagement des extérieurs, revégétalisation et pas moins de 600 nouveaux logements.

Les Espaces d’Abraxas à
Noisy-le-Grand : le Palacio, l’Arc et le Théâtre © RTBA

Vu de Google Earth, on distingue clairement un hexagone parfait situé à l’entrée de Noisy-le-Grand. Si l’on trace une horizontale fictive, se trouvent d’un côté Les Mares Dimanches (à l’est), de l’autre… les espaces d’Abraxas (à l’ouest). Pour Bofill, l’objectif initial de ce lieu atypique était de mélanger les populations et de créer une cité idéale… une résidentialisation avec des gens motivés pour aller les uns vers les autres et pour vivre ensemble. « Mon projet initial a toujours été de créer un centre d’intégration globale », clame Bofill, qui souhaitait renouveler l’habitat social et proposer un havre de paix pour une mixité sociale réussie. Pour construire sa vision, il prend le contrepied des barres HLM des années 1960 et va puiser dans les racines de l’Antiquité. Cet ensemble résidentiel « rétro-futuriste » inauguré en 1982 — choisi à maintes reprises comme décor pour le cinéma (Brazil, Hunger Games, etc.) et ultra connu des étudiants en architecture — se compose de trois bâtiments d’habitation : Le Palacio (18 étages), L’Arc et Le Théâtre. Pourtant, malgré la vision architecturale très avancée de Bofill, le projet n’a pas tenu ses promesses. La mixité sociale ne s’est pas faite. Pire, au fil du temps, les espaces ont même créé de nouvelles tensions entre les habitants, amplifiées par une dégradation liée au manque d’entretien et une pénurie de commerces. Bofill a considéré ce projet comme un programme n’ayant pas fonctionné et n’a plus voulu en entendre parler. Il n’a même plus accepté de projet en France pendant des années. L’histoire bascule ici. En 2014, ce patrimoine était quasi voué à la destruction par l’ancien maire. C’était sans compter sur l’opiniâtreté de la nouvelle, Brigitte Marsigny. Dans sa campagne et dans son programme était inscrite la défense de ce patrimoine architectural en béton. Une fois élue, lors de son premier mandat en 2015, elle est immédiatement partie à Barcelone voir Ricardo Bofill. « Je lui ai expliqué qu’on souhaitait faire évoluer cet endroit, le réhabiliter et faire des espaces totalement nouveaux. Et je souhaitais que nous puissions faire cela ensemble. Il a réfléchi quelques semaines, puis il a finalement accepté de revenir à Noisy et de s’intéresser à la question », raconte la maire. Une réunion publique sur place avec Bofill, les habitants et Brigitte Marsigny a été un élément déclencheur. Un processus de réhabilitation s’est alors mis en place, tant pour un projet global et colossal que pour les habitants et pour Bofill lui-même, qui est ainsi le maître d’œuvre de l’ensemble. Les objectifs sont clairs : ouvrir le quartier sur la ville, renouveler le cadre de vie, simplifier les accès. Pour ce faire, une valorisation des espaces d’Abraxas verra le jour, avec une mise en lumière des bâtiments : installation d’un nouvel éclairage linéaire intégré́ dans les rainures de la façade intérieure, éclairage des colonnes concaves, éclairage des majestueuses colonnes, volonté également d’éclairer la façade ouest comme un bijou, tout en assurant en même temps la mise en sécurité́ des habitants et la mise en valeur du bâtiment. Ce renouveau d’Abraxas passe aussi par une réhabilitation des espaces verts. En effet, le sol souvent à̀ l’ombre a été soumis à̀ une situation d’anaérobie. Les érables doivent être abattus et remplacés par des arbres à feuilles persistantes et par des fleurs, des espèces adaptées au climat et à l’environnement, le tout bellement mis en lumière. Outre ce travail sur les Espaces initiaux, le projet comprend également la création des jardins d’Abraxas en lieu et place du groupe scolaire du Clos-des-Aulnes et la destruction des rampes droites d’accès au parking. Ce programme immobilier s’inscrit dans le prolongement des espaces d’Abraxas au nord. « Pour les jardins d’Abraxas qui jouxtent les Espaces, j’ai opté pour une vaste architecture d’accompagnement », explique Bofill. Ainsi les nouvelles constructions ne perturberont en rien les anciennes, mais viendront les porter et même redorer leur blason. « Aujourd’hui plus que jamais, je veux mélanger les populations. » Les mélanger, mais aussi redonner la confiance en chacun. Cerise sur le gâteau, les habitants deviendront des guides pour faire découvrir leur quartier aux futurs touristes, étudiants en architecture, etc. Un programme a en effet été initié et lancé par Camillo Gorleri, chef de projet urbain au sein du groupe Action Logement. Il est notamment chargé du développement social urbain, de l’amélioration du cadre de vie et de l’amélioration de la qualité des quartiers. « Faire que les habitants deviennent de véritables ambassadeurs est un projet pilote pour ce site. L’idée est vraiment de donner une fierté aux habitants vivant dans des logements sociaux qui sont aussi un habitat architecturalement intéressant et patrimonial », souligne Camillo Gorleri. À ce jour, neuf personnes (six jeunes et trois adultes) ont participé pendant deux mois à une formation hebdomadaire (en partenariat avec le CUAE de Seine–Saint-Denis), animée par un architecte du patrimoine pour réfléchir sur les notions d’architecture, et par une comédienne pour les questions de posture, de langage. Alors, même s’il est reproché à la mairie un « nouveau bétonnage » — Brigitte Marsigny avait précisément fait campagne en 2014 sur la lutte contre le bétonnage —, il est bon de rappeler que ce projet global (qui comprend également le renouvellement des axes routiers et un nouveau quartier Maille Horizon Nord, de l’autre côté du boulevard du Mont-d’Est) fait la part belle aux espaces paysagers, laissant la nature s’insérer entre les immeubles, mais aussi à cette notion qu’il est capital de remettre au cœur de la réflexion : l’utilisateur n’est autre que l’habitant lui-même…

Les futurs espaces d’Abraxas © RTBA

Espaces d’Abraxas

– Le Palacio : 440 logements en copropriété mixte, dont 330 logements sociaux gérés par CDC Habitat (Groupe Caisse des Dépôts) et 110 logements privés.

– L’Arc : 20 logements sociaux gérés par Seqens (ex Domaxis, groupe Action Logement).

– Le Théâtre : 129 logements en copropriété mixte, dont 28 logements sociaux gérés par Seqens et 101 logements privés.

Texte Yves Mirande
Visuel à la une Les Espaces d’Abraxas à Noisy-le-Grand : le Palacio, l’Arc et le Théâtre © RTBA

Retrouvez l’espace Création sur la réhabilitation des Espaces d’Abraxas, dans Archistorm daté janvier – février 2021