Inclus dans les objectifs du Plan climat lancé en 2017, le plan de rénovation énergétique des bâtiments vise à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 tout en poursuivant un objectif social de lutte contre la précarité énergétique. Les leviers d’action reposent en partie sur la mise en œuvre de techniques constructives et technologiques où prime la comptabilité des kilowattheures. Toutefois, les architectes jouent un rôle majeur dans la transformation du bâti : intégrer l’habitabilité de tous les programmes et valoriser la dimension culturelle de l’architecture.

Présentée à la Cité de l’architecture et du patrimoine en 2015, l’exposition visionnaire « Un bâtiment, combien de vies ? » affirmait l’idée de la transformation comme acte de création à part entière et hissait au premier plan le débat « transformation versus destruction ». Presque une décennie plus tard, le projet de rénovation du collège Anne Frank à Antony est un exemple de la pertinence, plus vivace que jamais, de cette thématique. Inauguré en 1980, l’équipement dessiné par Jean Nouvel est reconnu comme une référence architecturale, il est d’ailleurs labélisé Architecture contemporaine remarquable. Œuvre critique de la standardisation du programme d’école, qui était à l’époque imposée aux architectes, en l’occurrence, les écoles en kit sur le modèle Pailleron, Jean Nouvel proposait un bâtiment d’une grande expressivité avec par exemple une trame déclinée jusqu’à l’absurde. L’introduction d’éléments perturbateurs – tels qu’un Modulor posé la tête en bas, des tracés au sol, des fausses colonnes doriques, des façades pixellisées, des néons de couleur ou encore des parpaings numérotés – mettait également en crise la fabrique de l’architecture et son histoire. Cette esthétique éclatante, extrêmement datée, n’en conserve pas moins une pertinence culturelle intacte.

Toutefois, après quarante années d’utilisation, les conditions climatiques ayant évolué, le coût des énergies atteint des sommets affolants, le bilan énergétique du collège s’avérait désastreux. De plus, l’impact du projet originel s’était vu amenuisé par des modifications successives, au coup par coup, comme l’installation de faux plafonds, la fermeture des patios du hall, ou encore la suppression de certains détails tels que les fausses colonnes. Pour la survie de l’œuvre architecturale, il était devenu nécessaire d’actualiser l’isolation, le système de chauffage et de ventilation et aussi la forme et les usages.

Le collège Anne Frank est une critique du post-modernisme et de l’architecture standardisée de type Pailleron © Nicolas Grosmond

Patrimoine critique

À l’issue d’un concours lancé en 2019, par le conseil départemental des Hauts-de-Seine, pour la rénovation énergétique du collège, les architectes de l’agence Mars remportent la mise. À travers leurs interventions, Sylvain Rety, Julien Broussart et Raphaël Renard ont développé une notion de patrimoine critique et ont initié une leçon de thermique appliquée à la préservation d’une architecture d’auteur. L’enjeu de réhabiliter un manifeste d’architecture est relevé avec brio grâce à une fine compréhension du projet originel. Les travaux sur la thermique sont l’occasion de l’agrémenter avec, par exemple, de nouvelles circulations, larges et éclairées naturellement, ou encore de nouvelles salles, qui étaient autrefois inutilisables car mobilisées pour contenir de la technique.

Particulièrement inventifs dans leurs choix constructifs, les architectes de l’agence Mars ont imaginé une nouvelle trame de façade en caillebotis qui a permis de conserver la rythmique existante tout en ajoutant une isolation par l’extérieur. L’habileté est également de mise tant pour la réorganisation spatiale que pour la réactivation de la fonction critique des lieux. Un manifeste sur un manifeste en quelque sorte, où les architectes sont parvenus avec humilité à se glisser dans la peau de Jean Nouvel.

« Qu’attend-on de l’architecture sinon qu’elle nous enchante : un désir immédiat, une sensation d’évidence qui vous dit que là, peut-être, quelque chose pourrait accueillir la douceur de nos rêves les plus profonds », déclarait l’architecte Duncan Lewis lors d’une conférence en 2022 au parc des expositions de Nantes. Cette déclaration se transpose facilement à l’architecture du collège Anne Frank, dont la portée intellectuelle n’aura pas échappé à la principale de l’établissement ainsi qu’à l’un de ses professeurs d’histoire-géographie : Matthieu Remblière, assurant par ailleurs la fonction de chargé de mission académique à l’éducation au développement durable – Mission EDD, a mené un atelier d’architecture au sein de l’établissement portant sur la question écologique. À l’issue de ce travail de sensibilisation à l’architecture, une exposition fut réalisée. Depuis, la réouverture du collège, le CDI s’est étoffé d’ouvrages sur l’architecture pour les collégiens. L’architecture remplit ici plus que pleinement son rôle, notamment sur le plan culturel.  (…)

Texte : Sophie Trelcat
Visuel à la une : Réhabilité par l’agence Mars architectes de 2021 à 2023, le collège Anne Frank à Antony, livré en 1980, avait été imaginé par Jean Nouvel en collaboration avec l’artiste Pierre Jacot. © Nicolas Grosmond

— retrouvez l’intégralité du dossier sociétal Palimpestre d’architecture dans Archistorm 124 daté janvier – février 2024