Regards croisés

Le Grand Prix la Tuile Terre Cuite Architendance fête ses dix ans, comment se porte-t-il ?

ASK : Le panorama offert par  les lauréats de cette décennie illustre combien la matérialité de la tuile de terre cuite donne du sens et du caractère à une architecture mais aussi à un lieu. Autrement dit, la tuile sert une architecture du quotidien, située, sensible et sobre ; elle est un matériau d’architecture contemporaine, qui, en plus de sa diversité formelle, porte dans son ADN un lien étroit avec les territoires et l’histoire. Elle contribue aussi à une démarche intelligente à travers des valeurs d’écologie, de recyclage, de ressources locales et de mise en œuvre des savoir-faire présents localement. La toiture en tuiles forme des lieux et, plus avant, une relation de proximité avec le monde. Appropriable, ce matériau se révèle présent aussi bien à l’échelle de la vie privée qu’à celle de la vie en commun.

JBF : Depuis sa création en 2012, en partenariat avec le Réseau des maisons de l’architecture, ce sont plus de 400 agences qui ont proposé des réalisations au Grand Prix la Tuile Terre Cuite Architendance. Au travers des réalisations primées, nous observons combien les mises en œuvre évoluent : faible pente, formes complexes et retournement du toit en façade où la tuile est utilisée en bardage pour, par exemple, protéger des ossatures légères notamment en bois. Du point de vue formel, nous observons combien la palette de teintes et de finitions s’est enrichie : large, elle propose un spectre allant des coloris naturels et nuancés aux rendus allant du blanc au noir mat ou brillant, émaillés et vernissés, sans compter les créations sur mesure… La tuile permet donc aux architectes de jouer avec des enveloppes différentes, non pas d’adapter l’architecture au matériau, mais d’apporter avec le matériau des réponses architecturales pertinentes et ajustées sur des sites et dans des contextes différents. Il me semble aussi que le toit redevient un « objet d’architecture », un sujet pour les architectes. Les périodes troublées – que nous avons traversées et que nous connaissons encore – appellent à une forme de réassurance, à une réhumanisation de notre cadre de vie. Le toit et la tuile y ont toute leur place.

ASK : Le point commun à tous les lauréats est leur engagement pour une architecture située. Les bâtiments écoutent leur contexte et répondent au territoire dans lequel ils prennent place. Il n’y a pas de démonstration formelle mais une singularité, qui inscrit le projet dans son contexte avec une réponse et une écriture contemporaine fortes qui mettent en valeur des enjeux vertueux que ce matériau peut révéler. Je pense particulièrement au Grand Prix 2022, le restaurant scolaire de Charles-Henri Tachon à Saint-Léger-sur-Dheune. Cet équipement s’inscrit dans toutes les valeurs que nous souhaitons porter aujourd’hui ; il allie l’intelligence à la sobriété en plus de porter les valeurs essentielles – vitruviennes – de solidité, d’utilité et de beauté.

Anne-Sophie Kehr, architecte, Présidente du jury du concours la Tuile Terre Cuite Architendance, Présidente du Rma
Jean-Baptiste Fayet, Président du Groupement des tuiliers de la Fédération Française des Tuiles et Briques

Cérémonie de remise des prix du Grand Prix la Tuile Terre Cuite Architendance 2022, Lorient

Au fil de cinq palmarès

Les architectures se construisent au rythme de leur époque et leur matérialité souvent les date. Il y a, pourtant, quelques exceptions à cette règle. Parmi elles, les tuiles et les briques de terre cuite. En témoigne le concours Architendance de la Fédération Française des Tuiles et Briques organisé depuis dix ans. La redécouverte de ses palmarès successifs ne laisse pas d’étonner ; de nombreuses réalisations se révèlent en effet tout aussi contemporaines aujourd’hui qu’elles ne l’étaient hier. S’il y a, en cause, le talent des architectes, le matériau choisi explique aussi l’atemporalité de propositions exemplaires.

Chaque réalisation primée laisse entendre les arguments sans cesse mobilisés pour justifier le choix d’un parti pris architectural, plus encore de sa matérialité : les maîtres d’œuvre se remettent à un désir d’« intégration ».

Depuis plusieurs décennies maintenant, la « contextualité » d’une opération est devenue une règle à peine discutée tant elle semble désormais évidente. Chacun l’adopte cependant à sa manière et la liberté demeure de mise à ce sujet. Aussi, la lecture d’un environnement naturel ou bâti est, loin des dogmes, laissée à l’appréciation de tout un chacun.

Pour autant, le « contexte » livre autant d’indices permettant à une construction récente de se positionner délicatement, sans rupture, et parfois même en hommage aux traces laissées par les générations passées.

Loin de toute brutalité, l’architecture contextuelle se saisit de formes mais aussi de matériaux. La tuile de terre cuite, dans bien des régions, du sud-ouest à la Bourgogne, de la Provence au Grand Est et au Nord, répond de traditions constructives ; elle est employée dans de récentes réalisations comme un écho subtil à cette profonde histoire constructive.

L’inventivité des professionnels suggère dès lors, non pas la retranscription nostalgique, aussi parfaite que scolaire, de propositions héritées d’autres temps, mais la « réinterprétation » ingénieuse et créative. De par sa diversité mais aussi de par sa mise en œuvre simple, la tuile de terre cuite autant que la brique autorisent, en milieu urbain comme en milieu rural, des expérimentations plastiques. En quête de nouvelles esthétiques, les fabricants enrichissent leurs propositions. Main dans la main avec les architectes, ils imaginent des produits nouveaux, ajustant formes, textures et coloris.

De la même manière, ils proposent aussi des matériaux laissant deviner la main de l’homme ; si ces produits servent bien souvent une approche patrimoniale juste, ils sont aussi à l’origine de propositions contemporaines iconoclastes.

Grâce à ces solutions, des architectes peuvent s’exprimer ainsi librement dans des environnements aussi contraints que Vézelay ou encore Versailles, deux sites attentivement observés par les autorités compétentes de l’UNESCO soucieuses de cohérence.

Il y a dès lors, dans cette décennie de réalisations primées par la FFTB, l’origine d’un enthousiasme et, plus encore, d’une confiance à l’égard de l’avenir ; l’art de bâtir, tel qu’il se pratique à travers ces palmarès, est source de qualité. Briques et tuiles de terre cuite n’y sont pas étrangères. Utilisées et mises en œuvre selon des techniques aussi bien ancestrales que nouvelles, elles permettent un haut niveau de finition. Pour certains architectes, elles sont même l’occasion de réaliser des géométries pures.

Ainsi, du minimalisme au maximalisme, de l’approche patrimoniale à la pratique contextuelle, la richesse d’un matériau assure toutes les possibilités et toutes les formes. Elle fait souvent « la peau » d’une architecture sensible, qui recherche beauté et harmonie.

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Texte : Jean-Philippe Hugron
Visuel : © Atelier Bettinger Desplanques

— Retrouvez l’intégralité du dossier dans le numéro spécial Terre d’architecture, Architecture et Terre Cuite, Grand Prix la Tuile Terre Cuite, Architendance 2022.