EXTRAIT

HORS SÉRIE : TECTÔNE

tectōne, l’usage plus que l’image

Depuis plus de 30 ans, l’agence tectōne s’est construite discrètement sur un ensemble de valeurs et suivant une histoire singulière. Un certain nombre de convictions ont forgé son identité. Elles se sont renforcées et enrichies avec le temps, à travers la diversité des réalisations et des expériences. De l’implication sociale à la démarche participative, il s’agit toujours de concevoir une architecture au service de l’homme, de ses façons de vivre et de son environnement.

La trajectoire de l’agence est marquée par les personnalités de ses associés. En 1986, Pascal Chombart de Lauwe et Jean Lamude lancent une activité commune en collaboration libérale. Ils se sont rencontrés chez Jean-Pierre Buffi, où ils sont entrés aussitôt diplômés, au début des années 1980. Là, ils ont appris à travailler ensemble et, parallèlement à leur activité dans l’agence, commencent à répondre à des concours. Ils réalisent notamment en leur nom propre une école et des logements remarqués dans la Zac Sainte-Lucie à Issy-les-Moulineaux.

Ils créent leur agence en 1989, lorsqu’ils obtiennent la commande de 83 logements dans la Zac de Bercy, une grosse opération pour des architectes tout jeunes à l’époque ! Entre les deux associés, une dynamique s’instaure. Ils conçoivent ensemble quelques projets qui synthétisent des questions pour eux essentielles autour de l’image et de l’usage. Jean, plus artiste, imprime à ces premiers bâtiments une vision plastique caractéristique des projets de cette époque, tandis que Pascal s’attache avant tout à l’usage en proposant déjà des parties communes éclairées naturellement.

Cette entente professionnelle et amicale sera rompue par la mort de Jean Lamude en 1996. La tour de l’avenue de Flandre, emblématique de l’étroite collaboration entre les deux architectes, décline un certain nombre de principes qui seront adoptés par la suite.

Terrasse privative des duplex en attique

Après le décès de Jean, Pascal s’associe avec Sabri Bendimérad pendant 11 ans, de 1998 à 2009. C’est une période d’approfondissement pour l’agence, principalement sur des programmes de logements, et d’exploration sur les matériaux, avec une prédilection pour la brique. Deux ouvrages issus de recherches menées pour le Puca témoignent de la réflexion des architectes sur l’habitat.

avec Étienne Chevreul-Demas, entré sept années auparavant dans l’agence. Ce dernier, formé chez Philippe Prost, défend une grande sobriété dans le dessin des projets ainsi que des préoccupations marquées pour une construction durable et l’emploi de matériaux locaux ou recyclés. Il partage l’approche « sociologique » de Pascal, et ensemble ils ont mené à bien depuis une décennie plusieurs opérations d’habitat participatif.

Logements villa Chevalier à Saint-Denis, brique hauteur d’étage Terreal

Comme il aime à le dire, Pascal est tombé tout petit dans le chaudron de la sociologie. À l’École des hautes études en sciences sociales, il suit pendant trois ans le séminaire donné par son père, Paul-Henry Chombart de Lauwe, éminent sociologue de l’urbain, et y puise son intérêt pour le logement. Il rencontre aussi grâce à lui quelques personnages charismatiques de l’architecture du moment, parmi lesquels Le Corbusier, Zehrfuss, Pingusson. De sa mère, Marie-José Chombart de Lauwe, résistante et rescapée de Ravensbrück, psychosociologue, il reçoit un sens de l’engagement indéfectible.

Fort de cet héritage, Pascal ne se satisfait pas d’une formation classique à l’école puis en agence d’architecture. Pour son diplôme consacré à ce qu’on appelait à l’époque les foyers de délinquants, il rencontre des jeunes en très grande difficulté : écouter avant de concevoir lui semble déjà indispensable. Plus tard, alors qu’il est déjà salarié chez Jean-Pierre Buffi, il part travailler dans des bidonvilles en Côte d’Ivoire, à Abidjan, à des projets d’autoconstruction ; il convertit cette expérience quotidienne d’un an et demi en un DEA d’anthropologie.

Parallèlement à sa pratique en agence, l’enseignement a toujours été pour lui une autre forme d’engagement : responsable scientifique du DSA mention Architecture et risques depuis 2014 à l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville, il emmène ses étudiants dans les bidonvilles de Calais, de Colombie, de Casablanca ou de Mayotte, dans des pays sinistrés par un tremblement de terre comme le Népal, ou dans un camp palestinien au Liban. Partout, il s’agit de réparer, de consolider, d’améliorer l’existant, de répondre à l’urgence, aux besoins et aux capacités des habitants, jamais en s’imposant avec l’autorité d’un soi-disant « sachant ». (….)

QUELQUES PROJETS RÉALISÉS PAR L’AGENCE

LOGEMENTS COLLECTIF, LES ULIS

Pour ce projet situé dans une Zac en bordure du centre-ville, l’approche contextuelle se double d’exigences environnementales. Un socle en rez-de-chaussée relie les deux bâtiments, ce qui permet d’augmenter la surface des façades exposées au sud ainsi que l’ensoleillement du jardin collectif, de créer une porosité entre l’est et l’ouest et d’ouvrir des percées visuelles.

Les halls possèdent deux accès pour que soit établie une traversée entre l’espace public et le jardin intérieur. Largement vitrés, ils font dialoguer la rue avec le cœur d’îlot.

Une attention particulière a été apportée au traitement paysager des abords du bâtiment, avec l’utilisation de matériaux nobles et durables. Les soubassements de la grille périphérique sont en pierre et les cheminements en béton teinté bouchardé. Les espaces privatifs du rez-de-chaussée sont en platelage bois, et les séparatifs composés d’un lattis de bois garantissent l’intimité des habitants sans réduire l’apport lumineux dans les logements. (…)

Cadre en bois englobant menuiserie, garde-corps et volet coulissant en bois

 

100 LOGEMENTS DONT 15 EN PARTICIPATIF À NANTES

Pour répondre à la consultation de maîtrise d’œuvre, tectōne a formé, avec l’agence nantaise tact architectes, une équipe pluridisciplinaire. Celle-ci a été désignée pour son approche du programme et son appréhension du contexte, ainsi que pour la méthodologie envisagée afin de favoriser l’implication des futurs occupants.

Dirigés par Wigwam Ingénierie, assistant à la maîtrise d’usage, sur la base de sa méthode MICMAC®, six ateliers ont été organisés avec les familles et tous les acteurs du projet (maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’œuvre, architecte de Zac, élus, géomètre et notaire au besoin). Chaque atelier s’est déroulé sur une journée entière. L’objectif était de choisir une implantation sur le site en expliquant ses caractéristiques et son orientation, de concevoir les espaces communs partagés et d’en décider le fonctionnement ainsi que la gouvernance. Concomitamment aux séances en groupe, des temps personnels ont été accordés pour la conception et le dessin du logement de chacun.

Émergence de la tour et sa façade en brique

Texte : Valérie Thouard, avec tectōne

Ce hors série est disponible en libriaries spécialisées et au sein du daté Mai-Juin 2020 pour les abonnés