Sous la direction de Karine Trébaticky

Dans l’immobilier et le bâtiment, une métamorphose s’opère : l’avènement de l’économie circulaire. Bien plus qu’une alternative, c’est une vision audacieuse qui redéfinit notre approche de la construction et de la réhabilitation, mais aussi notre manière de concevoir et vivre les projets.

Cette notion vise à créer un cycle infini pour les matériaux et les produits, transcendant les modèles traditionnels. Dans un secteur majeur, classé parmi les plus importants émetteurs de gaz à effet de serre, l’immobilier et le bâtiment se transforment. Au-delà des pratiques habituelles telles que le réemploi et le recyclage, une myriade d’initiatives vertueuses et durables s’expérimentent et se pérennisent.

Nécessité impérieuse de la transition énergétique et environnementale, l’économie circulaire a été consacrée par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte publiée au JO du 18 août 2015. Éradiquer le tout jetable du modèle de l’économie linéaire (extraction / production / consommation / déchets) et revenir à un cycle respectueux des ressources mais aussi des consommateurs. Oui, « revenir », car si ce concept est né dans les années 1970 aux États-Unis, sa philosophie est loin d’être nouvelle : user de la bonne ressource au bon moment, au bon endroit, se contenter, réparer, ne pas gâcher… cela n’évoque-t-il pas, pour bon nombre d’entre vous, quelques souvenirs ?

L’ADEME donne une définition de l’économie circulaire basée sur trois domaines (offre des acteurs économiques / comportement des consommateurs et gestion des déchets) et sept piliers (extraction et exploitation durable / éco-conception / écologie industrielle et territoriale / économie de la fonctionnalité / consommation responsable / allongement de la durée d’usage / recyclage). Comment cela se traduit-il dans le secteur de l’immobilier et du bâtiment ?

Nous vous proposons de le découvrir avec une dose de pragmatisme mais pas que… en laissant la parole à celles et ceux qui la pratiquent dans leur quotidien : un collectif éclectique donc, pour tenter de mettre l’économie circulaire dans l’immobilier et le bâtiment à la portée de tous.

 

AUDACE

Charlène Durand, chef de projet économie circulaire, Premys

L’audace en économie circulaire se caractérise chez les différentes parties prenantes qui ont la volonté d’aller au-delà de la demande actuelle dans nos marchés de construction / réhabilitation / déconstruction.

De manière générale chez les cureurs et dé-constructeurs engagés, cela implique d’être force de proposition pour mettre en place des solutions vertueuses sur le chantier : réemploi, réutilisation et recyclage poussé sont devenus des impératifs. Nos équipes se forment et s’adaptent aux nouveaux métiers (et aux contraintes inhérentes) liés à la dépose soignée et au conditionnement des matériaux de réemploi.

Les équipements sanitaires à bon potentiel par exemple sont aujourd’hui déposés soigneusement à la main, emballés et mis sur palette pour être acheminés vers un espace de stockage tampon dédié sur le chantier. En comparaison, sans objectif de réemploi, ces matériaux en céramique étaient auparavant majoritairement démolis mécaniquement et recyclés avec les autres déchets inertes.

Autre exemple, les éléments de charpentes (bois ou métalliques) peuvent être réemployables / réutilisables. Pour cela, il faut apprendre à les caractériser, déterminer la bonne méthode de dépose, mettre les moyens humains et matériels adéquats, puis éventuellement retravailler la matière en atelier.

Cela bouleverse nos habitudes, nos plannings, et nous oblige à repenser complètement notre manière de travailler sur un chantier.

L’objectif commun : tester, échouer, rebondir pour mieux réussir collectivement. L’exemple des cloisons vitrées est assez parlant : les produits ne sont pas tous constitués de la même manière, leur méthode d’assemblage (et donc de désassemblage) varie. Les premiers essais de dépose peuvent être fastidieux : sécurité des opérateurs vis-à-vis du risque de casse, manutention et coltinage de panneaux lourds et encombrants, fragilité des rails à conserver, récupération ou non de la visserie, conditionnement efficace du verre, etc. Nous avons également rencontré le cas de repreneurs qui avaient mal anticipé le poids des cloisons qu’ils venaient récupérer et qui ont finalement abandonné la reprise. Nous testons donc en parallèle des solutions de démontage par des poseurs ou fabricants eux-mêmes intéressés par la démarche. C’est cette audace partagée qui fera de nous, actuels détenteurs de (trop de) déchets, les futurs gestionnaires des ressources de demain.

 

COOPÉRATION

Clotide Champetier, responsable économie circulaire, Orée

Le terme de coopération revient fréquemment dans les échanges, les débats et les politiques publiques nationales et internationales, ainsi que dans la sphère économique privée. C’est un mot aux multiples définitions, qui concentre les vœux pieux des dirigeants économiques et politiques, pourtant l’efficacité de sa mise en œuvre met tout le monde d’accord, avec un réel consensus autour de son utilité.

Dans un système coopératif, chaque acteur se renforce par son appartenance au système. La majorité des systèmes de notre société sont complexes, c’est-à-dire qu’ils interagissent les uns avec les autres, et ce de nombreuses façons. Par conséquent, la perturbation d’un élément du système aura des répercussions sur l’ensemble des autres éléments, et la coopération est impérative pour maintenir la stabilité du système. Dans les systèmes naturels, les écosystèmes dits « matures » valorisent la diversité et préfèrent la coopération à la compétition, leur garantissant ainsi une plus grande résilience face aux crises et évènements imprévus.

En effet, dans l’ensemble des écosystèmes, les relations de compétition sont possiblement préjudiciables pour l’ensemble des partis impliqués, avec un coût énergétique conséquent, en se concurrençant pour l’exploitation d’une ressource ou d’une partie d’un territoire.

Or, dans les sociétés post-modernes industrielles, il existe une prédominance des relations compétitives entre les organisations économiques. Considérées comme stimulantes, elles bénéficient d’une image positive. Dans un tel contexte, Patrick Beauvillard pose deux enjeux majeurs : comment guider vers une œuvre commune des acteurs dont les objectifs et intérêts sont différents, voire divergents ? Comment engager les parties prenantes vers davantage de coopération, en passant de simples « contributeurs » à de véritables « co-auteurs » ?

Nous pouvons considérer que la coopération est un prérequis indispensable pour répondre aux enjeux environnementaux actuels. Si l’économie circulaire est un facteur favorisant la coopération, cette dernière est nécessairement au cœur des démarches d’économie circulaire. Peu de projets solitaires peuvent aboutir. Ainsi, dans e secteur de l’immobilier et du bâtiment, nous constatons qu’une coopération est nécessaire notamment entre maîtres d’ouvrage, entreprises et architectes pour mettre en œuvre du réemploi tant en amont, pour définir des gisements de ressources potentielles générées lors de déconstruction, qu’en aval pour trouver une sortie à ces gisements.

 

ÉCOLONOMIE CIRCULAIRE

Élise Mahieu, chargée de mission économie circulaire, Ekopolis

L’écoLOnomie, c’est un néologisme très explicite, construit à partir de l’association et de la fusion des mots « écologie » et « économie ». Ce terme traduit ainsi l’idée fondamentale qu’il est plus économique de produire de manière écologique, et ce, à court et à long termes. Emmanuel Druon, chef d’entreprise dans le Nord, a popularisé le concept dans ses ouvrages à travers lesquels il défend le principe qu’une entreprise peut adopter des solutions écologiques tout en faisant des économies et en améliorant dans le même temps sa compétitivité. C’est une opinion qui va à contre-courant de certaines idées préconçues puisque l’on pense généralement que ce qui est écologique coûte nécessairement plus cher. Il démontre que plus une démarche est globale, plus elle entraîne de gains et d’améliorations sur différents plans. L’écoLOnomie, en tant que vision systémique qui réinterroge les paradigmes de production et de consommation, entre donc en résonance avec les principes mêmes de l’économie circulaire dans cette nécessité absolue de changer collectivement le modèle linéaire actuel. Découpler l’activité économique et la sollicitation de la géosphère est en effet un enjeu incontournable qui se fait de plus en plus pressant. La création lexicale « écoLOnomie circulaire » insiste donc sur le fait que l’économie circulaire, qui prend en compte les limites écologiques de notre planète, est plus que jamais indispensable pour réussir une transition écologique obligatoire. Elle n’est pas un frein à la croissance, mais elle permet au contraire de réconcilier activité économique et prise en compte des capacités finies de notre planète.

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Texte : sous la coordination de Karine Trébaticky

Visuel à la une : Couverture du livre Les 101 mots de l’économie circulaire dans l’immobilier et le bâtiment, paru le 24/01/2024

— Lire l’intégralité de l’article dans Archistorm 126 daté mai – juin 2024