L’université : un patrimoine architectural et urbain

 

L’enseignement supérieur et l’université en particulier constituent un patrimoine architectural et urbain de premier plan. Beaucoup de campus ont, ces dernières années, fait l’objet d’études monographiques, qui mettent notamment en évidence des relations riches mais complexes de l’université avec la ville : la démocratisation de l’enseignement a en effet impliqué un éloignement des centres qui n’est plus souhaité aujourd’hui.

 

Paul Bigot, Institut d’art et d’archéologie, Paris, 1925-1928 © Anne Jea

 

Au moment où, à Paris, Henri-Paul Nénot reconstruisait la Sorbonne sur son site historique (1882-1901), l’université américaine créait ses universités à la périphérie des villes et inventait le principe du campus. Implanté à Palo Alto, au sud de San Francisco, celui de Stanford est ainsi créé en 1885 par Leland Stanford, président de la Central Pacific Railroad et ex-gouverneur de Californie, et son épouse Jane, en souvenir de leur fils. Le plan d’ensemble est confié au célèbre paysagiste Frederick Law Olmsted et à Charles A. Coolidge, de l’agence Shepley, Rutan & Coolidge basée à Boston. Le campus est situé à l’extrémité d’une longue séquence paysagère débutant au niveau du Camino Real, la route conduisant à San Francisco. Le plan rassemble autour d’une cour principale (le Main Quad) les différents départements au moyen de cours et d’arcades, produisant ainsi une synthèse entre l’autonomie des disciplines et leur rassemblement dans un ensemble pédagogique commun. Ouvert en 1891, le campus de Stanford se distingue par l’unité de son style néo-roman, l’église (la Stanford Memorial Church) construite en 1903 présentant une façade à mosaïque d’inspiration romano-byzantine ; il s’enrichit avec la construction de la bibliothèque en 1906, reconstruite après le tremblement de terre de la même année. Mais Stanford est aussi le prélude à un retour en grâce des plans compacts et à la monumentalité de l’architecture universitaire américaine au début du xxe siècle.

 

Frederick Law Olmsted et Charles A. Coolidge, le campus de Stanford, San Francisco, 1885-1891 © Jason Leung

 

Pendant ce temps, Paris explore outre-Atlantique les moyens de répondre au développement de son université. Concentrée dans le quartier latin, celle-ci se décline bientôt en instituts (Institut d’art par Paul Bigot, de géographie par Henri-Paul Nénot, de paléontologie humaine par Emmanuel Pontremoli) qui s’éloignent peu à peu de la montagne Sainte-Geneviève. Car un mouvement semble alors naturel pour l’opinion : c’est au sud qu’est l’avenir de l’université parisienne. La Cité internationale universitaire, qui illustre l’influence américaine et celle du mouvement de la City Beautiful des années 1890-1900, en est la traduction. Sur 9 ha constructibles hérités du dérasement de l’enceinte de Thiers, auxquels s’ajoutent 19 ha à aménager en parc sur la zone non ædificandi, Lucien Bechmann et le paysagiste Jean Claude Nicolas Forestier conçoivent, à partir de 1920, le premier « campus » français. Dans la revue La Vie urbaine, en 1920, Henri Sellier note que la plupart des projets d’université proposés pour Paris sont inspirés de Harvard, Columbia ou Berkeley, « qui ont servi de modèle à d’autres comme Buenos-Aires ou Rome ». Bechmann présente en 1923 des bâtiments dont le style Old English ou « oxfordien » emprunte avant tout, selon lui, à l’architecture médiévale française. Noyau de la Cité, la Fondation Émile et Louise Deutsch de la Meurthe est inaugurée en 1925. Forestier esquisse quant à lui, en 1923 puis en 1929, l’aménagement des terrains de sports et du parc. La construction des pavillons nationaux, avec notamment ceux de la Suisse de Le Corbusier ou des Pays-Bas par Willem Marinus Dudok, fera peu à peu de la Cité un superbe musée d’architecture en plein air, mais ne résoudra que très partiellement l’insuffisance d’équipements universitaire de Paris.

 

Lucien Bechmann, Fondation Deutsch de la Meurthe à la Cité internationale universitaire, Paris, 1920-1925 © Pierre Selim

 

L’accroissement spectaculaire des populations estudiantines à partir des années 1950 – de l’ordre de 1 000 à 2 000 % selon les pays –, comme le besoin de relations interdisciplinaires, incitent alors des regroupements qui ne sont possibles qu’en périphérie. Sur des terrains vierges de toute construction favorisant une disposition libre des bâtiments, mis en réseau au moyen de galeries ou de cheminements piétons, les bibliothèques jouent souvent le rôle de pivot. Aux États-Unis, le principe des campus et de leurs collèges connaît également une expansion remarquable : l’État de New York se dote d’un ambitieux programme comportant pas moins de 450 nouveaux bâtiments, tandis que l’Amérique latine crée plusieurs cités universitaires où la modernité plastique s’exprime largement. Pensée comme une ville en miniature, l’université est aussi un lieu d’expérimentation constructive, où la trame permet d’unifier le projet et de réduire les coûts. La clarté des compositions se dissout en revanche avec la recherche de flexibilité : la Freie Universität (Université Libre) de Berlin-Ouest, dont l’agence Candilis, Josic et Woods remporte avec Manfred Schiedhelm le concours en 1963, s’apparente ainsi à une casbah construite comme un Meccano.

 

Texte : Simon Texier

Photo de couverture : Frederick Law Olmsted et Charles A. Coolidge, le campus de Stanford, San Francisco, 1885-1891 © Jorge Fernandez

Retrouvez l’intégralité de cet article dans le numéro 100 du magazine Archistorm, disponible en kiosque.