RÉALISATION

OPÉRATION MOUZAÏA, PARIS
CANAL ARCHITECTURE

Au-dessus des anciennes carrières de gypse qui, par conséquent, ne pouvaient accueillir d’immeubles de rapport, on dessina à la fin du XIXe siècle un ensemble de maisons ouvrières destiné à lutter contre le manque de logement et l’insalubrité de la capitale. Largement remanié dans les années 1970, ce territoire s’oriente désormais vers une nouvelle reconversion. Extraits d’entretien avec Patrick Rubin de CANAL Architecture, le maître d’œuvre de la transformation du 58-66 rue de Mouzaïa, dans le 19e arrondissement parisien.

Simon Texier : Depuis le début des années 1980, l’atelier CANAL Architecture s’est en partie spécialisé dans des projets de reconversion comme récemment le carré Saint-Lazare à Paris. L’opération Mouzaïa présente-t-elle des caractéristiques propres par rapport à ces projets antérieurs ?

Patrick Rubin : Le point commun à ces projets, c’est la clé, l’approche : il faut trouver la clé et ensuite, comme on dit, on peut « armer le bateau ». Tout découle de cette compréhension de l’existant et de ses potentialités, intérieures notamment. Nous sommes d’ailleurs nés de l’architecture intérieure. Contrairement aux autres agences de la même génération, nous n’avons pas fait nos armes dans les ZAC. Nous sommes proches des artisans, des ateliers, de la matière. Notre intérêt pour le bâtiment de la rue de la Mouzaïa est notamment dû au fait qu’il existe peu de réalisations de Claude Parent dans Paris ; or c’est une personnalité qui a marqué notre discipline.

Quels sont les atouts du bâtiment de Parent et Remondet ?

PR : L’opération porte sur deux bâtiments différents mais l’un et l’autre ont de vraies qualités. Celui de Parent et Remondet nous a impressionnés par la clarté de son plan. Même dans cette architecture brutaliste, il y a un génie du lieu : un bâtiment épais, avec au centre un escalier à la Chambord ; ce dispositif, que nous avions mis en œuvre à Blois, et que l’on retrouvait également dans l’ancienne école d’architecture de Belleville (UP8), rue Rébeval, s’est un peu perdu alors qu’il a beaucoup d’intérêt. Ce dispositif permet en l’occurrence de créer une sorte de « barrette active », un volume central très fonctionnel. De part et d’autre de cet outil, il s’agissait de remplacer des bureaux par des logements. Glisser 288 unités au total imposait évidemment quelques compromis, d’où les plans baïonnettes qui permettent d’optimiser les surfaces. La nécessité de créer des espaces de collocation a par ailleurs été facilitée par les géométries du bâtiment. Quant au système constructif, l’enjeu était d’en faire le bon diagnostic : les façades porteuses et les refends ont été conservés.

Intérieur d’un logement.
© CANAL Architecture

Le choix de menuiseries en chêne, qui détermine en grande partie l’identité du bâtiment rénové, a-t-il été fait après que d’autres options aient été étudiées ?

PR : C’est la question spécifique de l’enveloppe : là, on évalue le risque de ne pas suivre le dogme d’une approche de type Monuments historiques. Le changement de programme laissait une liberté d’écriture, plus domestique en l’occurrence. Le choix du bois a fait l’objet de débats entre nous. Des prototypes ont été réalisés en cours d’étude, avant la consultation des entreprises ; le maître d’ouvrage en avait perçu l’intérêt. À l’origine, un élément de béton préfabriqué était percé par deux ouvertures intégrant des tringles métalliques horizontales, qui recevaient la menuiserie extérieure en aluminium. Ce principe déterminait des fenêtres carrées, avec allège et impostes fixes. Nous avons décidé de préserver ce dessin carré, offrant des ouvrants sur toute la hauteur, en ajoutant une barrière thermique totale à l’intérieur. En façade, nous avons par ailleurs remplace les cassettes métalliques, situées entre chaque fenêtre, par des panneaux d’aluminium strié. C’est un choix graphique : ces panneaux prennent davantage la lumière et assurent une partie de l’isolation thermique. Cette réinterprétation de la fenêtre est la « politesse du passeur » à l’adresse de Claude Parent ; quant à l’assemblage chêne-béton, c’est un grand classique, on le retrouve par exemple chez Jean Dubuisson ou André Wogenscky.

Autre choix déterminant dans ce projet : vous avez conservé le maximum des graffitis réalisés sur les murs du bâtiment lors de son occupation comme squat. C’est une première ?

PR : Il n’y avait aucune volonté de muséifier ces œuvres éphémères par nature ; il y a un côté sauvage dans ces peintures qui ne peut être totalement préservé. Nous avons opté pour une solution médiane, dans le sens où nous sommes restés attentifs à les protéger, mais en partant du principe que le projet n’était pas commandé par la mémoire des traces. Une partie des œuvres a donc dû disparaître. Un reportage général a été réalisé et certaines ont été reproduites dans les circulations sur un médium photo. Une spécialiste du street art, Valériane Mondot, en a par ailleurs fait l’inventaire.

« Cet immeuble suscitait beaucoup d’interrogations, jusqu’au jour où l’État a annoncé vouloir s’en séparer. Nous avions l’intuition que non seulement il était possible de transformer cet immeuble, mais aussi que nous avions le devoir de le faire. » Serge Contat, directeur général de la Régie immobilière de la Ville de Paris

La 9e édition du concours du Geste d’Or a distingué en 2019 l’excellence opérationnelle de VINCI Construction France en lui remettant le Geste d’Argent du Grand Prix d’Architecture, Urbanisme et Société pour le 58-66 rue de Mouzaïa.

Fiche technique

Maître d’ouvrage : RIVP
Maître d’œuvre : CANAL Patrick Rubin
Utilisateurs : RIVP, CROUS
Entreprise générale : GTM Habitat Bâtiment Île-de-France
Entreprise fenêtres, cadres et pose : Novomodelo
Entreprise menuiseries alu : Technal Gros Œuvre Facade
Entreprise Linoleum : Forbo Second Œuvre
BET : structure : Khephren ; fluides : Espace temps ; qualité environnementale : Citae ; acoustique : Itac

Surface : 10 500 m2 SDP
Coût travaux : 20 M €HT
Calendrier : études : 2015 – 2016 ; chantier : 2017 – 2020 ; 1e phase : 2015-2019 ; 2e phase : 2019-2020

Retrouvez l’article au sein d’Archistorm daté Mars-Avril 2020