Appréhender l’étrangeté architecturale de L’EssenCiel impose d’y séjourner.

Propriétaire du Château des Pères depuis 2011, Jean-Paul Legendre aspirait à ce que son indispensable adjonction hôtelière fasse événement. Il était essentiel qu’elle soit tout à la fois unique mais aussi une vitrine de l’audace et de l’esprit d’initiative du groupe leader du BTP breton portant son nom.

© Germain Herriau

Le rêve armoricain

Sis sur la commune de Piré-Chancé à une trentaine de kilomètres de Rennes, le château du Plessis-Guériff n’a conservé – malgré ses origines médiévales – que les deux ailes bâties aux XVe et XVIIIsiècles. Son changement de dénomination date de son acquisition par la Congrégation des Pères du Saint-Esprit en 1923 qui y installa un centre d’apprentissage, puis une maison de retraite.

Après avoir su faire croître – non sans mal – la petite entreprise artisanale de son père de trois à plus de mille collaborateurs, Jean-Paul Legendre souhaitait, à l’aube d’une retraite bien méritée, acquérir un domaine – impérativement non classé – où pouvoir simultanément poursuivre la transmission des savoir-faire tout en assumant sa passion pour l’art contemporain figuratif. Situé à quelques encablures à peine de son village natal, le Château des Pères et son parc de 31 hectares (possiblement paysagé par Le Nôtre) répondaient à ses attentes.

Restaurée dans les règles de l’art, la propriété est devenue un centre de formation et de séminaires avec une vingtaine de chambres d’hébergement, bientôt complété par une vaste orangerie de 1 000 m2 à structure métallique où accueillir événements et réceptions. Une brasserie puis un restaurant gastronomique permirent de conquérir une clientèle davantage touristique attirée par le parcours de sculptures – en libre accès – installé dans le parc et les cinq ateliers d’artistes en résidence.

En 1999, la fréquentation croissante incita à en développer la capacité d’hébergement tout en offrant un cadre plus prestigieux à La Table des Pères. Bref de remodeler le complexe événementiel en un véritable resort. Mais l’absence locale en pôles d’attraction historique, patrimoniale, culturelle ou touristique milita en faveur d’une opération atypique, hors normes, devant impérativement constituer en elle-même un lieu de destination !

Entre poésie et prospective

Pas insensible aux aspirations de certains en faveur d’un rapprochement, voire d’un retour à la nature, exacerbées par les confinements, le commanditaire fut interpelé par l’appétence actuelle de plusieurs opérateurs hôteliers et leur clientèle pour les lodges, les habitats vernaculaires ou encore les cabanes dans les arbres. Si la tentation du « Baron perché[1] » avait rétrospectivement réveillé ses souvenirs d’enfance, les envies de l’entrepreneur l’orientaient vers un concept architectural bien plus prospectif que nostalgique. En collectionneur de sculpture contemporaine, il inscrirait sa démarche ici davantage dans l’héritage du GIAP, le Groupement international d’architecture prospective fondé en 1965 par le critique et historien Michel Ragon qui militait alors pour un urbanisme prospectif et des architectures alternatives.

Inédit en France, le concept – imaginé par Jean-Paul Legendre et développé par l’agence nantaise Unité et breveté – s’inspire de la structure d’un arbre supportant sur chacune de ses branches une bulle suspendue. Émergeant au cœur du potager et du verger, il s’affirme en contrepoint à la tour toscane érigée en 1903 à l’entrée du domaine pour abriter le premier château d’eau de la région. « Ce projet prend la forme d’une arborescence, transposant en volumes le concept de nid douillet, de la bulle régénératrice, commente l’architecte Anthony Rio. Il réinterprète et interroge le concept de la chambre d’hôtel et le restitue sous la forme d’un cocon qui évoque l’intériorité, le calme et la contemplation. Cet effet est décuplé par sa lévitation : tenu uniquement par une passerelle en porte à faux, le plus haut d’entre eux flotte à 28 mètres du sol. »

© Apolline Poulain

Mise en « œuvre »

Le challenge constructif n’était pas des moindres. « La prouesse technique la plus complexe fut d’intégrer les normes de sécurité, sismiques, d’accessibilité, d’évacuation, de stabilité au feu, au vent avec une structure atypique qui ne correspondait à aucune autre existante », rappelle le maître d’ouvrage-constructeur. Il s’agissait en effet d’arrimer 36 chambres de 10 tonnes chacune sur des poutres en porte à faux défiant le vide jusqu’à 15 mètres, juste tenues par deux haubans inox stabilisateurs. Initialement prévues en métal mais réalisées en béton à la demande des pompiers, ces passerelles de 15 tonnes sont ancrées – telles les pales d’un immense ventilateur hélicoïdal – au fut central hébergeant la cage d’ascenseur et la circulation de tous les fluides. Au sommet de ce dernier, la coiffe débordante à laquelle sont suspendues les 36 paires de haubans (16 tonnes d’acier) a nécessité le coulage de 80 m3 de béton.

Ce technologique mât émerge du socle parallélépipédique où sont implantés la réception, le lobby et le bar-salle des petits déjeuners, le complexe bien-être avec piscine (70 m2), hammam et spa, ainsi que tous les locaux techniques.

Quarante-deux bulles ovoïdes de 26 m2 constituent les chambres de ce quatre étoiles, 36 d’entre elles étant nichées dans l’arborescence. Elles ont toutes été préfabriquées au sol. Les cintres acier de leur charpente sont revêtus de panneaux en aluminium thermolaqué champagne à joints debout. Dissimulant l’isolant et les réseaux, des coques cintrées pré-moulées en staff de 70 cm de large façonnent l’habitacle intérieur. Les finitions intérieures ont été mises en œuvre une fois les nids « branchés ».

© Dimitri Lamour

Cocooning (r)assuré

En charge de l’agencement général, l’agence Wunder a su maîtriser la quadrature du cercle avec subtilité et grâce, dans une palette de tons naturels. Le généreux oculus central éclairant naturellement la cellule met chacun de ses espaces (couchage, salon, salle d’eau) en relation avec le paysage rural et patrimonial environnant.

Également en lévitation, l’anneau de la salle du restaurant gastronomique lui confère des allures de mandala panoramique à la façon d’un satellite mis en orbite autour de la station spatiale L’EssenCiel !

Atypique sans être utopique, ce complexe architectural rétro-futuriste a toute sa place ici et aurait parfaitement trouvé la sienne sur la dalle du fameux Front de Seine pompidolien !

Fiche technique :

Maîtrise d’ouvrage : SNC Le Château des Pères
Maîtrise d’œuvre : Agence d’architecture Unité (architecture), Wunder Architectes (architecture intérieure), Legendre Construction (MOE)
BET Structure : Legendre Ingénierie
Gros Œuvre : Legendre Ouest

Texte : Lionel Blaisse

— Retrouver l’article dans Archistorm 125 daté mars – avril 2024


[1] Le Baron perché, fameux roman d’Italo Calvino (1957)