A Bordeaux, Christohe Hutin défend une architecture vivante, qui part de l’existant et improvise de nouveaux modes constructifs au service  des besoins et désirs des habitants.

Rendez-vous est pris à l’agence de Christophe Hutin au troisième étage d’un immeuble des années 70, à deux pas des boulevards de Bordeaux. Une porte blanche, anonyme, s’ouvre sur un appartement vaste et lumineux. L’entretien se déroule dans un bureau-bibliothèque avec vue sur la mer de tuiles des échoppes bordelaises. Dans un autre bureau, une affiche de campagne de Mandela et un portrait de l’écrivain américain Jim Harrisson. Deux collaborateurs travaillent dans d’autres pièces, l’atmosphère est plutôt calme. «Sur nos grands projets, l’équipe s‘installe directement sur le chantier afin d’être au plus près des gens » tient à préciser Christophe Hutin.

Le goût du voyage, comme une envie de faire le mur, au sens propre et au sens figuré, a conduit Christophe Hutin à l’architecture. Au départ, c’est l’histoire d’un jeune homme qui rêve de marine marchande. Son échec au concours d’entrée de la marine, le pousse à prendre le large, malgré tout. En 1994, il part en Afrique du sud s’engager auprès de l’African National Congress (ANC), le parti de Nelson Mandela, en campagne électorale pour les premières élections libres du pays. Durant ces quelques mois, le jeune expatrié partage la vie des habitants d’un township de Soweto. « Le samedi, comme j’étais l’étranger du quartier, j’étais toujours invité aux fêtes de mariages, et le dimanche, on se réunissait pour construire une maison pour les jeunes mariés. Avec des tôles, des planches de récupération et des clous, nous construisions une maison en deux ou trois heures. »

Si le bidonville ne saurait être érigé en modèle d’habitation, l’expérience est fondatrice : elle révèle l’acte de construire dans sa relation avec un projet et un cadre de vie. De retour en France, le jeune homme obtient son diplôme d’architecture à Bordeaux puis il ouvre son agence en 2003. Ses premières réalisations sont des maisons individuelles. « Je n’avais pas de carnet d’adresses, mais des idées et de la bonne volonté. Je me retrouvais souvent face à des gens avec un projet de vie mais sans les moyens pour le réaliser. A Soweto, on construisait des maisons avec 100€ qui rendaient les gens heureux. En France, on pouvait dépenser 300 000 € pour construire une maison avec des chantiers qui souvent finissent mal. Ce décalage me semblait anormal. C’est là où je me suis dit que si l’architecture était raccord avec le projet de vie des gens, ce serait une source de bonheur supplémentaire. L’objectif étant d’inventer des modes constructifs pour faire des choses généreuses et un peu inattendues.»

De l’improvisation en architecture

En parallèle sont arrivés d’autres projets comme la rénovation de l’Estaminet, la salle de concerts de Bernard Lubat à Uzeste. Il a fallu comprendre l’histoire des lieux et s’immerger dans l’univers artistique du musicien. Cotoyer Lubat l’a sensibilisé à l’improvisation, thème essentiel dans sa conception de l’architecture. « Comme dans le jazz, le principe est de partir d’une structure qui définit quelques règles et offre ensuite une très grande liberté. Il s’agit de créer des espaces avec des capacités plus grandes que les attendus dans lesquels l’habitant a une liberté d’usage. Pour reprendre les mots de Herman Hertzberger, l’architecture est la rencontre entre la compétence de la structure et la performance de l’habitant. »

Improviser c’est aussi s’affranchir des anciens modèles et des standards de masse. Dans le contexte de la crise climatique, la distinction entre le neuf et la réhabilitation ne lui semble pas pertinente. « Plutôt que de démolir pour reconstruire du neuf, dans la lignée du mouvement moderne, mieux vaut partir de l’existant pour le transformer. » Christophe Hutin prend l’exemple de la transformation des immeubles du Grand Parc à Bordeaux, menée entre 2011 et 2016 avec Anne Lacaton & Jean Philippe Vassal, et Frédéric Druot. « Nous sommes intervenus en site occupé, sur trois barres regroupant 530 appartements. » L’intervention a constitué à étendre les appartements en rajoutant à chaque étage des planchers béton préfabriqués de quatre mètres, posés à la grue. Cet agrandissement permet de nouvelles circulations dans les appartements tout en offrant protection solaire et ventilation. « C’est un espace non programmé que l’on peut aménager à sa guise, avec un coût de revient quatre fois moins cher qu’une démolition-reconstruction.» Plusieurs fois primée, la transformation des immeubles du Grand Parc « n’a pourtant pas fait jurisprudence » regrette-il.

Rénovation et récits de vie

Autre projet emblématique, sur lequel l’agence bordelaise est engagée depuis 2019 et qui entre en phase chantier : la rénovation d’une ancienne cité d’urgence à Mérignac Beutre. Composée de 93 maisons, elle fut édifiée entre 1968 et 1970 pour accueillir de façon provisoire des travailleurs migrants ou des habitants exclus de la rénovation urbaine de Bordeaux. Avec le temps, chaque locataire s’est approprié son habitation par des extensions, des chambres, des appentis. Un relevé précis des maisons et de chaque extension a été réalisé et un anthropologue a raconté l’histoire de toutes les habitations, depuis cinquante ans. « Chaque personne compte, je les connais tous personnellement. Je ne peux pas travailler autrement : l’architecture on la fait pour des gens. » Il y a par exemple cette veuve d’origine portugaise dont le mari était maçon et a construit une deuxième maison avec une cuisine et un séjour, la maison officielle servant d’espaces de nuit. La parcelle comprend un potager et un olivier qui vient du village des locataires au Portugal. « Quand on raconte cette histoire, on ne peux plus démolir cette maison dont la valeur est d’abord immatérielle, constituée par la vie de ses habitants » souligne l’architecte. Pour résoudre les problèmes de vétusté et de dégradation technique, la proposition est celle d’une grille commune, qui ne nie pas les particularités. Une extension devant la maison, avec une nouvelle salle de bains et des toilettes, va résoudre cet aspect technique. « Ce n’est pas un projet simple » reconnaît l’architecte. « On invente de nouvelles méthodes, de nouveaux outils de conception avec un système de production qui n’est pas du tout adapté. Dans ce projet en site occupé, on essaie de faire le moins de travaux possibles. Le modèle économique dans lequel l’architecte est payé au pourcentage du montant des travaux ne correspond pas à cette approche. »

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Texte : Mathieu Oui 77
Photos : Mathieu Oui, Philippe Ruault et Christophe Hutin